La hausse des inégalités de revenus a suscité un intérêt considérable ces dernières années de la part du monde académique, des décideurs politiques et du grand public. Pourtant, notre capacité à mesurer l’évolution de la distribution des revenus et du patrimoine au sein d’un pays, entre différents pays et au niveau mondial, reste limitée. Au cours des dernières décennies, des études montreraient dans la quasi-totalité des pays une hausse de la part du revenu et du patrimoine détenue par les plus riches. Richesse et consommation sont étroitement liées. Mais l’ampleur de cette hausse varie fortement, ce qui suggère que les institutions et politiques des différents pays jouent un rôle. En France, les inégalités de revenus sont ainsi plus faibles pour le revenu disponible disponible ajusté qui prend en compte les transferts sociaux en nature (santé, éducation, aides au logement,..) que pour le revenu disponible brut.
On présente la méthodologie des comptes nationaux distributifs, qui ventile le revenu national total et le patrimoine total entre résidents. Ces comptes permettent d’estimer des statistiques d’inégalité et de croissance par catégorie de revenu et niveau de patrimoine cohérentes avec la croissance agrégée des comptes nationaux. Cette méthodologie a récemment été appliquée à plusieurs pays. Au cours des dernières décennies, on observe dans la quasi-totalité des pays une hausse de la part du revenu et du patrimoine détenue par les plus riches, mais l’ampleur de cette hausse varie fortement, ce qui suggère que les institutions et politiques des différents pays jouent un rôle. Il est possible de combiner les statistiques nationales pour estimer les inégalités de revenus mondiales depuis 1980. Malgré le rattrapage de grands pays émergents comme la Chine et l’Inde, les inégalités de revenus mondiales ont augmenté depuis 1980. Cette évolution s’explique par la croissance des revenus des personnes les mieux payées au niveau mondial.
Les fluctuations économiques ont une forte incidence sur la taille de la population menacée de pauvreté ou d’exclusion sociale. Dans l’UE, la part de la population menacée de pauvreté et/ou gravement démunie et/ou vivant dans un ménage à très faible intensité de travail est passée de 23,9 % en 2010 à 24,9 % en 2012, avant de diminuer pour atteindre 20,9 % en 2019, puis de 21,5 % en 2020 (comme en Allemagne du fait d’une forte hausse en 2020). Il existe de grandes différences entre les États membres ayant les taux les plus élevés en 2020 observés en Bulgarie (32,1 % de la population), en Roumanie (30,4 %) et en Grèce (28,8 %), tandis que les taux les plus bas ont été observés en Tchéquie (11,9 %), en Slovaquie (14,8 %) et en Slovénie (15,0 %). Ce ratio est de 18,2% en France.
Rising inequality of income has attracted considerable interest in recent years from academics, policy makers and the general public. Yet our ability to measure changes in the distribution of income and wealth within a country, between countries and at the global level remains limited. In recent decades, studies show that in almost all countries the share of income and wealth held by the richest people has increased. Wealth and consumption are closely linked. But the extent of this increase varies greatly, suggesting that the institutions and policies of different countries play a role. In France, inequality of income is lower for « adjusted » disposable income, which takes into account social transfers in kind (health, education, housing subsidies, etc.) than for gross disposable income.
One present the methodology of Distributional National Accounts (DINA), which distributes total national income and total wealth among all individual residents. With DINA, one can estimate inequality statistics and growth by income and wealth groups that are consistent with aggregate growth from National Accounts. This methodology has been recently applied to a number of countries. One observe rising top income and wealth shares in nearly all countries in recent decades, but the magnitude of the increase varies substantially, thereby suggesting that different country‑specific institutions and policies matter. It is possible to combine countries’ statistics to estimate global inequality since 1980. Global inequality has increased since 1980 in spite of the catching up of large emerging countries like China and India. This has been driven by the income growth of top world earners.
Economic fluctuations have a strong impact on the size of the population at risk-of-poverty or social exclusion. In the EU, the share of the population being at risk of poverty and/or severely materially deprived and/or living in a household with very low work intensity increased from 23.9 % in 2010 to 24.9 % in 2012, before decreasing to reach 20.9 % in 2019 and then increasing to 21.5 % in 2020 (like in Germany due to a large growth in 2020). There are large differences between Member States with the highest rates in 2020 observed in Bulgaria (32.1 % of the population), Romania (30.4 %) and Greece (28.8 %), while the lowest were found in Czechia (11.9 %), Slovakia (14.8 %) and Slovenia (15.0 %). This atio is 18,2% in France.
«Laissés à eux-mêmes, les marchés se révèlent souvent incapables de produire des résultats efficaces et souhaitables, et dans ce cas l’État a un rôle à jouer: corriger ces échecs du marché, autrement dit concevoir des mesures ( impôts et des réglementations) qui alignent les incitations privés sur les rendements sociaux. (Certes, il y a souvent des désaccords sur la meilleure façon de le faire. Mais aujourd’hui rares sont ceux qui croient aux marchés financiers sans entraves – leurs échecs sont trop coûteux pour le reste de la société – ou qui pensent qu’il faut laisser les entreprises piller l’environnement sans restriction). Quand l’État fait bien son travail, la rémunération que perçoit un travailleur ou un investisseur est égale à l’apport bénéfique de son action pour la société. Si rémunérations privées et rendements sociaux ne sont pas alignés, nous disons qu’il y a échec du marché, c’est-à-dire que les marchés n’aboutissent pas à un résultat efficace», Joseph E. Stiglitz
« La grande taille des unités de production et de leurs groupes, les rigidités des structures, les imperfections de la concurrence, l’extension des investissements publics […] ont transformé les économies contemporaines de manière telle que leur fonctionnement et la distribution des ressources qui s’y opère ne peuvent pas être abandonnées à la régulation par le seul marché. » François Perroux
Sommaire
I – INÉGALITÉS DE REVENUS OU DE PATRIMOINE OU DES CHANCES ?
II – DÉFINIR ET MESURER LA PAUVRETÉ : UN EXERCICE DÉLICAT
III – MÉTHODE ET DÉFINITIONS DES COMPTES PAR CATÉGORIES DE MÉNAGES
IV – LA REDISTRIBUTION EST DEUX FOIS PLUS AMPLE EN INTÉGRANT LES SERVICES PUBLICS
V – EN ÉVOLUTION, LA REDISTRIBUTION ATTÉNUE AUSSI LA CROISSANCE DES INÉGALITÉS DE REVENUS PRIMAIRES
VI – MAIS LES INÉGALITÉS DE PATRIMOINE SE CREUSENT ENTRE 1998 ET 2018
VII – INÉGALITÉS DE REVENUS EN EUROPE
VIII – COMMENT ÉVOLUENT LES INÉGALITÉS DE REVENUS DEPUIS LA CRISE DU COVID EN FRANCE ET EN EUROPE?
IX – PAUVRETÉ ET INÉGALITÉS DE REVENUS DANS LES PAYS DU NORD ET DU SUD
X – LES INÉGALITÉS DE REVENUS AUX ÉTATS-UNIS
Introduction
° Cette page aborde surtout la question des inégalités de revenus. Comme souvent, les données sont complexes à collecter et à interpréter. Quels sont les ordres de grandeur de l’inégalité des revenus ? Plusieurs questions se posent. Tout d’abord quelle variable utilisée pour mesurer les inégalités de revenus ? Elles peuvent porter sur des variables de revenus, de salaires, de niveau de vie, de patrimoine, de consommation en période d’inflation, etc. Aujourd’hui, L’Insee s’intéresse souvent au niveau de vie. C’est le revenu disponible par unité de consommation.
° Ensuite, l’inégalité séparant les pauvres et les riches dans un pays donné peut-elle se mesurer par un écart du revenu allant de 1 à 2, de 1 à 10, voire de 1 à 100 ? Enfin comment ces écarts se comparent ils dans le temps et l’espace ?
° Des études récentes ont présenté la méthodologie des comptes nationaux distributifs, qui ventile le revenu national total et le patrimoine total entre résidents Ces comptes permettent d’estimer des statistiques d’inégalité et de croissance par catégorie de revenu et niveau de patrimoine cohérentes avec la croissance agrégée des comptes nationaux. Cette méthodologie a récemment été appliquée à plusieurs pays et les données produites sont disponibles dans WID.world, base de données sur les inégalités de revenus mondiales. Elles combinent les statistiques nationales pour estimer les inégalités de revenus depuis 1980. Malgré le rattrapage de grands pays émergents comme la Chine et l’Inde, les inégalités de revenus ont augmenté depuis 1980. Cette évolution s’explique par la croissance des revenus des personnes les mieux payées au niveau mondial .
1 – L’inégalité des revenus
° Quelles sont les différentes sources revenus effectivement perçus par les ménages ? Le tableau suivant présente les revenus des ménages en France en 2019, en termes de salaires, revenus des travailleurs indépendant (agriculteurs, commerçants, professions libérales,..), retraites, autres revenus de transfert (allocations familiales, allocations chômage, ..) et revenus du patrimoine (dividendes intérêts, loyers,…) [1] (les nombres entre crochet renvoient à la bibliographie en bas de page).
Composition du revenu disponible moyen selon le type de ménage en 2019 en %
° On voit que 58,8% du revenu brut total des ménages (avant impôts) sont perçus sous forme de salaires. Si l’on y ajoute les 4% constitués par les revenus des indépendants, on obtient près des deux tiers du revenu total pour les revenus d’activité. Ensuite les revenus sociaux (prestations sociales et pensions et retraites mais hors allocations chômage ) représentent autour de 29% du total du revenu brut des ménages, dont l’essentiel par les retraites. Enfin les revenus du patrimoine des ménages représentent 8,1%.
° Les revenus d’activité non salariaux ont une nature intermédiaire entre revenus du travail et revenus du capital, car ils rémunèrent à la fois le travail du non-salarié et le capital investi par ces derniers. Les revenus salariaux constituent cependant de représenter une part très importante des revenus des ménages de moins de 65 ans.
° Les analyses de l’inégalité et de la redistribution partent des « revenus primaires » des ménages, à savoir leurs revenus avant tout prélèvement obligatoire. S’agissant des salaires, le revenu primaire correspond au salaire « global », y compris cotisations sociales employeurs. Mais les inégalités de revenus sont souvent mesurées en retenant les revenus primaires après déduction des cotisations de retraite pour les actifs et après ajout des pensions pour les retraités (un traitement identique est appliqué aux cotisations et allocations de chômage).
° Il existe de multiples indicateurs de la « distribution des revenus » et des inégalités de revenus. La plus fréquente méthode consiste à classer les ménages par « quantiles » (déciles, centiles…) de revenus croissants et à rapprocher les revenus moyens ou médians des quantiles extrêmes (le premier et le dernier décile par exemple) ou les plafonds et planchers des quantiles extrêmes ou encore de les rapporter au revenu moyen ou médian de l’ensemble de la population. Il est également possible d’estimer la part du revenu total perçue par les 10 % ou les 20 % les plus aisés, les 20 % ou les 40 % les plus pauvres etc. Selon l’indicateur retenu, la mesure des inégalités de revenus est différente : le rapport entre les revenus du dernier et du premier décile est toujours bien plus élevé que le rapport entre les revenus du dernier et du premier quartile.
° Il existe toutefois un indicateur synthétique de mesure des inégalités de revenus et de la redistribution qui est très utilisé au niveau international : le « coefficient de Gini ». l est calculé à partir d’un graphique représentant la distribution des revenus, dit « courbe de Lorenz », qui met en relation les x % de ménages les plus pauvres avec leur part du total des revenus. Si la distribution est parfaitement égalitaire, ils perçoivent x % du total des revenus et la courbe de Lorenz est une droite faisant un angle de 45° avec l’horizontale.
° L’impact redistributif d’un prélèvement obligatoire, ou d’une prestation, est mesuré par l’écart entre le coefficient de Gini de la distribution des revenus avant ce prélèvement, ou cette prestation, et celui de la distribution des revenus après ce prélèvement ou cette prestation. Sur le graphique ci-joint, il correspond à la surface de la partie hachurée entre les deux courbes.
Les courbes de Lorenz avant et après redistribution (exemple fictif)
2 – La redistribution des revenus
° Le graphique précédent n’est pas anodin. À coté du « revenu primaire », on s’intéresse au « revenu disponible (ajusté) » : c’est le revenu primaire, pensions de retraite et allocations de chômage comprises, dont sont déduits les prélèvements obligatoires et auquel sont ajoutées les prestations sociales. La redistribution est opérée par les prélèvements obligatoires et les transferts sociaux en espèce et en nature (voir page Dépenses publiques en Europe).
° Les instituts statistiques retiennent une liste limitée de prélèvements et prestations sociales qui est harmonisée au niveau international de façon à permettre les comparaisons. L’Insee, l’OCDE et Eurostat retiennent ainsi :
° Comment mesurer la redistribution fiscale effectivement opérée par les États contemporains ? En pratique, la redistribution fiscale moderne résulte en effet d’un ensemble complexe de prélèvements (impôt sur le revenu, TVA, cotisations sociales…), de transferts (allocations familiales, allocations chômage, RMI, retraites…) et de dépenses prises en charge directement par l’État (santé, éducation…). Dans l’objectif de mesure des inégalités de revenus en France et entre pays, ou dans le temps, on choisit donc souvent de considérer les revenus primaires comme la somme des revenus d’activité super-bruts (salaire net plus cotisations sociales, salariales et patronales), des revenus du patrimoine, et de certains revenus de remplacement, notamment les retraites, publiques ou privées. Le système de retraite français est en effet principalement assurantiel. Les pensions peuvent donc être considérées comme des « revenus différés ».
° Quant à la redistribution, elle se mesure en comparant la répartition (plus ou moins inégale) des revenus primaires des ménages à celle (plus ou moins inégale) de leurs revenus disponibles, ces derniers intégrant par définition les prestations sociales en espèces et les prélèvements obligatoires directs. Mais on peut aller plus loin et prendre en compte les impôts indirects et surtout les transferts sociaux en nature (éducation, santé,..).
° À la base, les 10 % les plus aisés ont en moyenne un revenu 20 fois plus élevé que les 10 % les plus modestes en France, 6 600 euros par mois contre 340 euros, pour une personne seule selon l’Insee en 2021. On parle revenu primaire, c’est-à-dire celui perçu avant de payer des impôts ou de recevoir des prestations sociales. Une fois les impôts retirés et les prestations sociales versées, le rapport entre les 10 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres se réduit de 19,6 à 5,5. Après redistribution, les inégalités de revenus ont donc été divisées par 3,5.
° Pour éviter qu’une partie de la population vive dans la misère absolue, la solidarité fonctionne à travers des aides comme les minima sociaux pour les plus modestes (RSA, aides aux personnes handicapées), les allocations familiales, les aides au logement, la prime d’activité, etc. Au total, les prestations sociales en espèce procurent presque 600 euros mensuels aux 10 % les plus modestes, presque deux fois leurs revenus du travail. Leur revenu moyen s’établit ainsi à 900 euros après redistribution. Il s’agit de leur revenu dit « disponible ».
° À l’autre bout de l’échelle des revenus, les 10 % les plus riches touchent en moyenne près de 6 600 euros par mois : des salaires, des revenus du patrimoine et, là aussi, des pensions de retraite ou des allocations chômage, par exemple. Il s’agit toujours du revenu « primaire ». En moyenne, les plus aisés versent 1 643 euros à la solidarité nationale, dont 700 euros de cotisations sociales et 942 euros d’impôts. Logiquement, ils touchent peu de prestations sociales (12 euros par mois), essentiellement des allocations familiales. ll faut noter qu’en dépit des progrès réalisés, une partie des revenus du patrimoine demeure mal prise en compte dans les statistiques de l’Insee, ce qui sous-estime le niveau de vie des plus aisés.
° Pour dresser un panorama complet de la redistribution opérée par l’État, il faudrait aller plus loin. Compter aussi les impôts dits « indirects » comme la TVA ou les taxes sur l’essence, par exemple. Il faudrait également chiffrer la valeur des services publics, comme l’école gratuite ou les remboursements de soins de santé. Ce calcul est toutefois complexe et théorique : il n’est pas facile de mesurer comment on utilise les services publics selon que l’on est riche ou pauvre. En ce qui concerne la police ou l’armée, par exemple, c’est impossible.
° Malgré ces difficultés, l’Insee calcule la « redistribution élargie » qui tient compte de l’effet des services publics. L’écart entre les ménages pauvres (qui gagnent moins de 60 % du niveau de vie médian) et les ménages aisés (qui gagnent 1,8 fois le niveau de vie médian) serait de 1 à 18 avant redistribution. Après redistribution, tout mis bout à bout (impôts et prélèvements, prestations sociales et services publics), pauvres et riches se situeraient dans un rapport de 1 à 3, ce qui paraît une réduction énorme des inégalités.
Les différents concepts de revenu selon L’Insee
Source : Insee, https://www.insee.fr/fr/statistiques/5371275?sommaire=5371304
3 – Les inégalités de revenus au niveau international
° Comment cette inégalité des salaires entres salariés se transcrit elle en termes d’inégalité des revenus entre ménages ? L’opération est complexe car il faut à la fois ajouter les revenus d’activités non salariaux des travailleurs indépendants, les revenus et transferts sociaux, les revenus de patrimoine, puis appareiller les salariés, les non-salariés et leur enfant pour former des ménages.
° Dans la base OCDE, le revenu désigne le revenu disponible d’un ménage au cours d’une année donnée, donc après impôts et transferts (voir ci-dessus). Il comprend les salaires, les revenus du travail non salarié, les revenus du capital et les transferts monétaires reçus de l’État, déduction faite de l’impôt sur le revenu et des cotisations de sécurité sociale. Le revenu du ménage est réparti entre chacun de ses membres, un ajustement étant opéré pour tenir compte des disparités entre les besoins de ménages de tailles différentes. Les inégalités de revenus entre les personnes sont mesurées ici à l’aide de cinq indicateurs.
° Plusieurs ratios sont ainsi publiés dans cette base : le rapport S80/S20 est le ratio entre la moyenne des revenus des 20 % de la population les plus riches et la moyenne des revenus des 20 % de la population les plus pauvres. Le rapport interdécile D9/D1; le rapport interdécile D9/D5 est le rapport de la valeur supérieure du neuvième décile au revenu médian et le rapport interdécile D5/D1 est le rapport du revenu médian à la valeur supérieure du premier décile. L’indice de Palma est la somme des revenus gagnés par les personnes ou ménages situés dans le décile supérieur (le 10 % supérieur) divisée par la somme des revenus acquis par les 40 % des ménages au bas de l’échelle.
Inégalité de revenu : Coefficient de Gini, 2021 des pays de l’OCDE
+ Les inégalités de niveau de vie sont relativement faibles en France par rapport aux autres pays de l’OCDE. En 2021, le rapport inter-quintile des masses est près de 60 % plus élevé aux États‑Unis et il est de 25 à 40 % plus élevé au Royaume‑Uni, en Italie ou en Espagne (tableau suivant). Les inégalités en France sont à un niveau proche de l’Allemagne, mais plus élevées que dans les pays scandinaves ou dans certains pays d’Europe de l’Est comme la Pologne.
Rapport interquintile des masses de niveaux de vie dans plusieurs pays de lʼOCDE depuis 2008
4 – L’évolution historique des inégalités de revenus dans le monde
° Dans cette page, on va tenter une synthèse des différents travaux français et étrangers sur les liens entre catégories de revenu et consommation, en essayant de prendre une vision large du revenu, incluant notamment les revenus de patrimoine. On essaiera de situer les inégalités de revenus en France par rapport aux autres pays. de voir comment celles-ci ont évolué ? Mais les économistes ne sont pas toujours d’accord sur ces évolutions.
a) Des chiffres parmi d’autres ….
° Selon Simon Kuznets, l’inégalité est surtout appelé à dessiner une courbe en Ω au cours du processus de développement, avec une première phase d’inégalités de revenus croissantes, suivie par une seconde phase de stabilisation, puis de diminution substantielle des inégalités. Ce mouvement se retrouve plus ou moins dans tous les pays depuis le début du XIX ème siècle jusque dans les années 1980. Mais on constate à partir de là que l’inégalité aurait recommencé à augmenter dans les pays occidentaux et a porter ainsi le coup fatal à cette courbe en Ω reliant inexorablement développement et inégalité. Ce retournement de la courbe de Kuznets marquerait la fin des grandes lois historiques sur l’évolution des inégalités de revenus, au moins pour un certain temps et incite à une analyse minutieuse qui fait que l’inégalité augmente ou diminue à différents points du temps
° Il semble que les inégalités de revenus se renforcent en période crise économique comme après la crise de 2009 ou celle de l’inflation en 2021-2022 si on les mesure par le pouvoir d’achat du revenu, voire durant celle de 1929. Elles augmenteraient aussi en période où la politique gouvernementale est favorable aux riches comme aux États-Unis ou au Royaume-Uni dans les années 80-90.
° Comment ont évolué les ratios des inégalités de revenus et comment se situent les ratios français en évolution ? Les tableaux et graphiques suivants décrivent l’évolution de l’inégalité des revenus depuis 2004. Les ratios de Gini ne sont pas au même niveau comme on vient de le voir. Une rupture de série d’une ampleur assez faible s’est produite en 2011-2012, liée à une nouvelle définition du revenu. Deux pays sont plutôt inégalitaires ; les États-Unis et le Royaume-Uni.
° L’indicateur P90/P10 a le mérite d’être disponible de façon relativement fiable pour de nombreux pays. Aux États-Unis, l’écart P90/P10 entre les 10% les mieux payés et les 10% les moins bien payés, dépasse 6. Le coefficient de Gini est 0,395 en 2020. La hausse de ce ratio remonte aux années 1970-1980 (après une baisse entre 1945 et 1970), ce qui ramènerait les États-Unis à un niveau d’inégalité des revenus de l’entre deux-guerres. Le cas du Royaume-Uni est un peu différent où le ratio P90/P10 a a aussi augmenté de près de 30% entre 1980 et 1990, si bien que dans les années quatre-vingt-dix, le Royaume-Uni avait en partie rejoint les États-Unis dans le peloton de tête des inégalités de revenus. La France en revanche a un ratio de 3,4 très proche de celui de l’Allemagne, à peine supérieur à ceux des pays scandinaves avec des écarts de l’ordre de 3 malgré une légère augmentation comme en Suède ou en Norvège. Dans les deux tableaux suivants, les cases vides sont liées à une définition révisée du revenu des ménages, incluant la valeur des biens produits pour l’autoconsommation comme élément du revenu des indépendants, mais dont les séries ont été rétropolées dans plusieurs pays jusqu’en 2004.
° Selon T. Piketti, E. Saez et G. Zucman , les revenus des 1 % les plus riches auraient augmenté aux États-Unis beaucoup plus vite que les autres. Alors qu’ils captaient 10 % des revenus nationaux en 1962, ces 1 % en auraient accaparé deux fois plus en 2014 (20,2 %, soit 15,7 % après impôt). L’acceptation de cette idée a influencé une bonne part des travaux universitaires, de J. Stiglitz. Elle a lié l’augmentation des inégalités de revenus à une moindre efficacité économique et à une stagnation des salaires de la classe moyenne, et a même inspiré le président B. Obama : son directeur du budget, P. Orszag, a écrit en 2009 que leurs travaux avaient fortement influencé sa politique fiscale américaine.
Inégalité des revenus : Coefficient de Gini dans des pays occidentaux
Inégalité des revenus : Coefficient de Gini
Écart P90/P10 entre les 10% les mieux payés et les les 10% moins bien payés
La montée des inégalités de revenus salariales entre 1970 et 1990, mesurée par le ratio P90/P10 ( source https://www.cairn.info/l-economie-des-inegalites–9782707156082.htm).
b) Mais quels chiffres retenir ?
° Or G. Auten et D. Splinter, économistes américains, ont étudié récemment la part de revenus des 1 % les plus riches. Ils aboutissent à une conclusion radicalement différente que celle de T.Piketti, E. Saez et G. Zucman (voir chapitre 10): la part des 1 % n’aurait pas évolué dans le temps, restant, après impôt, autour de 8 % de la richesse nationale en 2020 à peine plus qu’en 1960. L’augmentation des revenus des plus riches a serait beaucoup moins importante que ne le laisse supposer l’étude des économistes français. Les deux principales raisons résideraient dans la redistribution de revenus et l’évolution de la fiscalité des impôts.
° Mais ce serait d’abord une question de données. Les économistes français auraient basé leur analyse sur les déclarations de revenus des particuliers. Or, arguent G. Auten et D. Splinter, une part grandissante des revenus (39%) n’apparaît pas dans ces déclarations. Ils puisent, eux, dans les données du fisc américain en liant les déclarations de revenus avec d’autres revenus, par exemple les prestations d’aide sociale ou de retraite.
° En outre leur méthodologie diverge. Les différences les plus importantes concerneraient l’estimation de revenus sous-déclarés. Les économistes américains affirment également que les transferts d’épargne d’un fonds de pension à un autre ont été comptabilisés comme des revenus par T. Piketty, E. Saez et G. Zucman . Ils pointent enfin du doigt l’évolution de la structure des ménages. Si les plus riches sont presque tous mariés, ce n’est pas le cas des plus pauvres, chez qui le nombre de familles monoparentales a bondi. Résultat, la richesse est statistiquement de plus en plus concentrée chez les riches et de plus en plus diluée chez les autres.
° Enfin les taux d’imposition effectifs du premier pour cent auraient augmenté, tandis que ceux des 90 % ont chuté, ce. La réforme fiscale américaine de 1986 aurait aussi changé la donne : le taux d’imposition sur la tranche la plus élevée des revenus est passé de 50 % à 28 %, sous le taux des entreprises (qui a baissé depuis). Ce changement aurait mené des ménages à hauts revenus à cesser de se servir de leurs entreprises pour payer moins d’impôts, ou à se verser davantage de dividendes.
° Les économistes français ont répondu à l’article de G. Auten et D. Splinter qui répartiraient à tort une quantité importante et croissante de revenus d’entreprise et de capital non imposés au bas de la distribution. Décidément la mesure des inégalités de revenus est compliquée comme d ‘autres ratios macroéconomiques. Tout des hypothèses retenues, des sources statistiques qui en découlent et du choix de la variable : revenus avant ou après impôts, prise en compte des transferts publics en espèce et en nature.
5/ En France, stabilité des inégalités de revenus après transferts mais pas de celles de patrimoine
° Avant redistribution, c’est‑à‑dire avant prélèvement des impôts directs et ajout des prestations sociales, le niveau de ces indicateurs a globalement augmenté depuis 1996. L’indice de Gini avant redistribution est ainsi passé de 0,347 en 1996 à 0,373 en 2021 (graphique suivant), où il atteint son plus haut niveau. Cet accroissement des inégalités est en grande partie lié à la baisse des niveaux de vie avant redistribution des plus modestes. La masse des niveaux de vie avant redistribution détenue par les 20 % les plus modestes est en effet passée de 6,2 % à 5,3 % de la masse totale des niveaux de vie avant redistribution entre 2007 et 2021. Cette baisse est pour lʼessentiel liée à la diminution des revenus dʼactivité, et dans une moindre mesure à celle des pensions de retraite et des revenus du patrimoine. Elle nʼa été que partiellement compensée par lʼaugmentation des allocations chômage. La conjoncture dégradée sur le marché du travail entre 2008 et 2017 a en effet entraîné une augmentation de la proportion de personnes percevant une allocation chômage parmi les 20 % les plus modestes : cette part est passée de 23,7 % en 2008 à 31,7% en 2017, avant de revenir à 29,3 % en 2021 [1].
Inégalités de niveau de vie avant et après redistribution depuis 1996
° À l’autre extrémité de l’échelle des niveaux de vie, la part des revenus avant redistribution perçue par les 1 % des personnes les plus aisées est passée de 6,3 % en 2004 à 7,7 % en 2021 selon l’Insee. Celle des 0,1 % les plus aisées est passée de 1,7 % à 2,6 % de la masse des revenus déclarés.
° Cette progression des très hauts revenus déclarés est portée à la fois par une augmentation de la part des revenus d’activité perçus par les actifs les mieux rémunérés, et par la forte hausse des revenus du patrimoine, en particulier des revenus mobiliers. Selon les données des comptes nationaux, les dividendes reçus par les ménages ont été multipliés par cinq entre 1996 et 2021. Cette hausse s’explique en partie par des évolutions de la fiscalité, notamment l’adoption en 2018 du prélèvement forfaitaire unique qui a rendu plus attractive la distribution de dividendes pour les entreprises. Les dividendes reçus par les ménages ont augmenté de 41 % entre 2017 et 2019. Concernant les revenus d’activité, dans le secteur privé, la part de la masse salariale détenue par les 1 % des salariés les mieux rémunérés a augmenté de 0,2 point entre 2008 et 2017 et de 1,0 point entre 1998 et 2017 passant de 7 % à 8 %. De plus, les revenus avant redistribution des très hauts revenus sont constitués d’une grande part de revenus du patrimoine : environ 35 % pour les 1 % les plus aisés et plus de 50 % pour les 0,1 %.
° Mais sur la période 2008‑2021, les inégalités ont nettement augmenté avant redistribution, mais beaucoup moins une fois prise en compte la redistribution monétaire telle que mesurée usuellement. Le système sociofiscal2 a donc limité la hausse des inégalités grâce à la progressivité des impôts directs (impôt sur le revenu notamment) et au ciblage des prestations sociales sous conditions de revenu.. Les mesures socio-fiscales ont ainsi soutenu les plus modestes. Certaines prestations − l’allocation aux adultes handicapés (AAH), l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa, ou minimum vieillesse) ou l’allocation de soutien familial (ASF) − ont fait lʼobjet de fortes revalorisations. Le revenu de solidarité active (RSA) et la prime dʼactivité ont remplacé le revenu minimum d’insertion (RMI) et la prime pour lʼemploi (PPE), ces évolutions venant soutenir le niveau de vie des plus modestes. La prime dʼactivité a également été revalorisée. Des aides exceptionnelles ont aussi été versées pendant la crise sanitaire liée à la Covid‑19 et pendant la période de forte inflation énergétique.
° Depuis le début des années 2000, lʼeffet du système sociofiscal sur la réduction des inégalités sʼest amplifié. En 2002, le système sociofiscal permettait de réduire le rapport interdécile D9/D1 de 32 % et le rapport interquintile des masses de 40 %. En 2021, il les réduit respectivement de 42 % et 45 %. Finalement, après redistribution, le rapport interdécile atteint 3,41 en 2021, le rapport interquintile des masses 4,45 et l’indice de Gini 0,294 (tableau suivant), des niveaux proches des points hauts de 2018 et de 2012 et qui évoluent peu en 2022. Pour tous ces indicateurs, la réduction des inégalités serait encore plus forte en prenant en compte une redistribution dite « élargie », c’est‑à‑dire incluant les transferts sociaux en nature comme la santé, l’éducation, et les services publics collectifs Avant tous transferts, les ménages aisés (dont le niveau de vie est au moins égal à 1,8 fois le niveau de vie médian) ont en 2019 un revenu par unité de consommation 18 fois plus élevé que celui des ménages pauvres, contre 3 fois après redistribution « élargie »
Indicateurs sur le niveau de vie de 1996 à 2021 en euros constants de 2021
° Mais les inégalités de patrimoine, elles, se seraient aggravées. C’est ce que T. Piketty tente de démontrer dans Le capital au XXIe siècle {1]. Son livre aborde avant tout le sujet de l’accumulation du capital. La richesse se vérifie dans le patrimoine (portefeuille en Bourse, biens immobiliers, loyers, plus-values, intérêts) beaucoup plus que dans les revenus de travail (salaire, primes, etc.).
° La thèse centrale du livre repose sur une « loi fondamentale du capitalisme »: r>g, où r est le taux de rendement du capital avant impôts (intérêts, dividendes, royalties, loyers, plus-values financières et immobilières…) et g la croissance du PIB, dont dépend la progression des revenus du travail. Autrement dit, les revenus des placements croissent plus vite que les salaires. Donc il est plus facile d’épargner pour le capitaliste afin de faire grossir son patrimoine que pour le salarié qui doit s’en constituer un. Cette loi se serait souvent vérifiée souvent dans l’histoire (p. 562).
° Le patrimoine amplifie ainsi les inégalités constatées au niveau des revenus. En effet, les 10 % des ménages aux revenus les plus importants détiennent 24,8 % de la totalité des revenus disponibles tandis que les 10 % des ménages les plus dotés en patrimoine concentrent 46,4 % du patrimoine total.
Ménages : répartition du patrimoine encore plus inégalitaire que celle des revenus en 2018
Source : lafinancepourtous.com d’après l’Insee
6 – Les inégalités des chances et la mobilité sociale
° On aurait beau avoir montré que l’écart entre les ménages pauvres et les ménages aisés est de 1 à 18 avant redistribution puis de 1 à 3 après impôt et redistribution (soit moins d’inégalités de revenus que dans la plupart des pays), ou que les inégalités de patrimoine restent importantes en France, on n’aurait qu’une vision partielle des inégalités. Il faut aussi tenir compte de la mobilité sociale et de celle des revenus.
° La mobilité intergénérationnelle est une mobilité sociale qui se déroule entre deux générations d’un même groupe social. Le statut d’un individu est donc différent du statut de son milieu d’origine. On mesure souvent cette mobilité en comparant le statut professionnel d’un fils avec celui de son père.
° Or il semble que la France se caractérise par une forte persistance des revenus entre générations par rapport aux autres pays développés. Seuls 9,7 % des enfants issus des 20 % des familles aux revenus les plus faibles se retrouvent parmi les 20 % des ménages les plus aisés à l’âge adulte. Cette statistique place la France parmi les pays de l’OCDE où la mobilité intergénérationnelle est la plus faible (lorsque cette information existe), seulement devant les États-Unis et l’Italie.
° Cette immobilité sociale peut s’expliquer en partie par des disparités d’accès et d’obtention d’un diplôme du supérieur en fonction du revenu des parents. Les enfants de familles défavorisées auraient 2,5 fois moins de chances d’obtenir un diplôme du supérieur que ceux issus de familles très favorisées (voir page Compte de l’éducation).
7 – Les inégalités de revenus face à l’inflation
° Il serait enfin instructif de suivre les inégalités de revenus mais aussi de consommation depuis la crise du Covid 19. Comment cette crise affecte les revenus des plus pauvres ou des plus aisés ? Entre 2021 et 2022, les prix des biens et des services ont augmenté de manière historique. D’abord portée par l’énergie dont les prix ont augmenté de 23 % en un an, l’inflation en 2022 s’est peu à peu diffusée à la plupart des autres biens et services. L’alimentation, premier poste de dépenses des ménages, est devenue la principale contribution à la hausse de l’indice des prix à la consommation à partir de l’automne (+7,3 % en un an). En faisant l’hypothèse de comportement inchangé, c’est-à-dire en supposant que les ménages n’ont pas modifié, en 2022, leur consommation en réaction à la hausse des prix, l’inflation représente en moyenne une perte de 1 320 euros annuels par personne. Cette hypothèse de quantités inchangées répond à l’objectif de mesurer la contrainte monétaire que l’inflation engendre. Dans les faits, les personnes ont adapté leur consommation à l’inflation, par la quantité ou la qualité, et les volumes consommés ont évolué entre 2021 et 2022. ° Cette perte s’échelonne de 790 euros en moyenne pour les 10 % les plus modestes jusqu’à 2 250 euros pour les 10 % les plus aisés (tableau suivant).
Effet moyen, en euros, de l’inflation en 2022 sur le niveau de vie corrigé, par dixième de niveau de vie
° Mais rapportées au niveau de vie, ces pertes pèsent davantage chez les plus modestes (-7,5 % pour le premier dixième, -6,5 % pour le deuxième), qui sont déjà les plus contraints financièrement, que chez les plus aisés (-4,4 % pour le neuvième dixième et -3,6 % pour le dernier) (tableau suivant). Dans l’ensemble, près de 60 % de la hausse des dépenses provient de l’alimentation, du chauffage, de l’électricité et des carburants. Si des dispositifs de blocage de prix, la remise sur le prix des carburants et le bouclier tarifaire sur les prix de l’énergie, ont permis d’atténuer les hausses de factures, l’inflation a systématiquement pesé de manière plus forte sur les personnes les plus modestes : pour les 10 % les moins aisés, la hausse des dépenses de chauffage et d’électricité représente -1,9 % rapportée à leur niveau de vie, -1,0 % pour les carburants et -1,6 % pour l’alimentation, contre respectivement -0,8 %, -0,4 % et -0,6 % pour les 10 % les plus aisés (. Les autres dépenses de logement, qui comprennent l’entretien, les loyers et l’eau, les autres dépenses de transport, notamment l’achat de véhicules et leur entretien, ou encore les services de transports ferroviaires de passagers (les prix de ces derniers ayant augmenté d’environ 10 % en un an) ont aussi grevé le niveau de vie corrigé des ménages et représentent près de 20 % des hausses de dépenses dues à l’inflation.
Effet moyen, en pourcentage, de l’inflation en 2022 sur le niveau de vie corrigé, par dixième de niveau de vie
En France, la mesure de référence des inégalités de revenus s’appuie sur une définition du niveau de vie qui prend uniquement en compte les ressources monétaires. Jusque dans un passé récent, cette mesure appréhendait mal les revenus du patrimoine financier et ignorait la contribution du logement au niveau de vie des individus. La prise en compte « élargie » des revenus du patrimoine dans la mesure des niveaux de vie modifie le paysage des inégalités de revenus. Qu’il s’agisse du patrimoine financier, dont la distribution au sein de la population est plus concentrée que celle des revenus, ou de la propriété de la résidence principale, les compléments de ressources estimés accroissent la mesure des inégalités globales. Les inégalités de niveau de vie entre les différentes catégories socioprofessionnelles et selon l’âge en sont également modifiées.
Le niveau de vie d’un individu est par convention mesuré comme celui du ménage dans lequel il vit ; il se calcule en divisant le revenu disponible par le nombre d’unités de consommation de ce ménage (voir définitions ci dessous). Il est désigné par « niveau de vie standard ». Les ressources qui constituent le revenu disponible comprennent les revenus d’activité (rémunérations des salariés, bénéfices des entrepreneurs individuels), les revenus du patrimoine hors plus-values latentes ou réalisées (dividendes, intérêts et loyers), les transferts (notamment les indemnités d’assurance nettes des primes) et les prestations sociales (pensions de retraite, indemnités de chômage, allocations familiales, minima sociaux, etc.). Le revenu disponible est net des impôts (principalement impôt sur le revenu, taxe d’habitation, CSG et CRDS) et des cotisations sociales.
Mais certaines composantes du concept « standard » de niveau de vie sont mal appréhendées : c’est le cas des revenus du patrimoine financier, en particulier, car seule une partie d’entre eux est soumise à l’impôt sur le revenu. Certains en sont exonérés, comme les intérêts des livrets d’épargne réglementée ; d’autres sont soumis à un prélèvement forfaitaire, libératoire de l’impôt sur le revenu. Ils font dans ce cas l’objet d’un prélèvement à la source et n’entrent pas dans le calcul de l’impôt Le patrimoine des ménages étant nettement plus concentré que les revenus au sein de la population (graphique suivant) et cette concentration s’étant en outre accrue au cours des dernières années. l’appréhension partielle des revenus du patrimoine financier dans les enquêtes Revenus fiscaux entraîne une sous-estimation des inégalités de revenus.
1/ D’une théorie parmi d’autres ….
Dans don livre Le capital au XXIe siècle, T. Piketti montre que le taux de rendement du capital sur longue période (continuellement au-dessus de 5 %) est plus élevé que le taux de du PIB (historiquement autour de 2 %). Et c’est par ce processus que les inégalités se creusent, plutôt que par le revenu. Il y a un déséquilibre entre ce capital et le revenu des salariés. Les riches « valent » en fonction de leur fortune. La fortune se nourrit d’elle-même par les investissements — ce que qu’on qualifie de « financiarisation » de l’économie (voir page Financiarisation).
En prenant les impôts en compte, le rendement net du capital est resté en-dessous de la croissance pendant quasi tout le XXe siècle (p. 565) grâce à la vigueur exceptionnelle de la croissance tirée par la révolution industrielle puis par la reconstruction d’après-guerre des Trente Glorieuses. Mais cette parenthèse serait l’exception, et le rendement du capital se requinquerait alors que la croissance s’amollit.
Or ce régime de croissance faible devrait redevenir l’ordinaire des pays développés, tel qu’il l’était avant 1913 (p. 127), d’abord parce que l’Occident ne connait plus de dynamisme démographique (p 129) et ensuite parce que la mondialisation a transféré une partie de la production vers les pays émergents, la Chine notamment (p. 106, 107, 109). T. Piketty estime donc que la croissance dans les pays avancés devrait plafonner autour de 1% par an pour le siècle actuel.
Du coup, la loi économique de r>g s’impose désormais. De ce fait, le capital privé s’accumule, se valorise et pèse de plus en plus dans l’économie des pays riches. Le maintien d’une épargne élevée dans un contexte de croissance ralentie accentue cette montée en puissance (p. 275) dont T. Piketty prédit qu’elle va inexorablement se poursuivre (p. 309). Ainsi, la valeur totale des patrimoines privés représenterait aujourd’hui 4 années de revenu national (total annuel des revenus du travail et du capital) aux États-Unis contre un peu moins de 3 années en 1970 ; le phénomène est accentué en Europe où sa valeur équivaut à 5,5 années de revenus (moins de 2,5 années, au plus bas, en 1950) (p. 261). Le taux de rendement s’était écroulé à 1% par an dans les années 50 suite aux destructions des patrimoines par les guerres, à l’instauration de politiques fiscales volontaristes frappant fort la hiérarchie des revenus et transmissions, et à la forte inflation. Mais depuis, les patrimoines se reconstituent, la fiscalité s’est un peu amoindrie, et T. Piketty estime que le rendement devrait se maintenir autour de 4% dans ce siècle.
La supériorité des gains de revenus du capital par rapport aux gains de revenus du travail (r>g) profiterait plus aux plus riches parce que vu l’importance massive des disparités de patrimoine), ce sont eux qui touchent le plus de revenus du capital. Plus on monterait dans la hiérarchie des riches et plus leurs revenus sont composés de revenus du capital, au point que la rémunération de leur travail devient un revenu d’appoint. Ainsi, en France les revenus du capital représenteraient, pour le 1% les plus riches, 35% du total de leurs revenus totaux mais plus de 60% pour le 0,01% les plus riches (très majoritairement des dividendes venant de la propriété d’un bloc d’actions d’une entreprise) (p. 436). La part de la rente du capital dans les revenus des plus fortunés serait même un peu plus large aux États-Unis (p. 476).
En outre, la dynamique inégalitaire d’accroissement du capital est renforcée par la divergence des rendements du capital entre les très riches et les autres. Les détenteurs d’un petit patrimoine épargnent petitement et réalisent des placements standards (logement d’habitation, livret A, Sicav obligataires…). Les grandes fortunes, elles, perçoivent proportionnellement de bien plus importants revenus de leur capital et ont donc les moyens de réinvestir plus, malgré un train de vie plus fastueux. Surtout, elles réalisent des placements bien plus rentables, inaccessibles au commun des mortels, car elles sont bien conseillées par des gérants de fortune, sont en capacité de prendre plus de risques et d’être plus patientes. Selon Piketty, le rendement net peut atteindre 6% l’an pour les millionnaires (r>>g).
La valorisation croissante des patrimoines consacre le retour d’importance de l’héritage. En effet, un individu qui part de rien doit travailler de plus en plus longtemps pour épargner assez et espérer se constituer un patrimoine (exemple, acquérir son logement) ; il est de plus en plus désavantagé vis-à-vis de celui qui bénéficie déjà d’actifs transmis par sa famille, qui ont besoin de moins d’épargne comparativement pour prendre de la valeur (ce qui lui permet, par exemple, d’accéder plus vite à la propriété dans l’immobilier d’habitation). C’est ainsi, pour T. Piketty, que le « passé dévore l’avenir »: dès lors que le rendement du capital est fortement et durablement plus élevé que la croissance économique, il est inévitable que l’héritage, c’est-à-dire les patrimoines issus de l’accumulation de l’épargne du passé, domine l’épargne actuelle issue des revenus du présent. Ainsi, les patrimoines hérités, qui représentaient 45% du total de la valeur des patrimoines en 1970 en France, pèseraient pour près de 70% aujourd’hui et possiblement 80% à partir de 2050 (p. 638).
Sur la durée, la loi r>g donnerait donc un poids croissant à l’héritage qui va déséquilibrer le rapport entre les générations, contribuant au sentiment de déclassement. En France, la part de l’héritage dans l’ensemble des ressources (héritage et travail) de la génération née en 1910, représente pour elle, arrivée à l’âge de 50 ans (soit en 1950) à peine 10%, mais l’héritage devrait peser pour près de 25% des ressources totales que la génération née en 2010 aura à disposition (p. 643).
Les inégalités de propriété sont donc bien plus extrêmes que les inégalités de revenus (par exemple, en France, après impôts, les 1% de salariés les plus riches gagnent 4 fois plus que le salaire moyen, mais les 1% de détenteurs des plus gros patrimoines possèdent un capital 205 fois supérieur au patrimoine moyen). Dans l’histoire, l’hyper-concentration des patrimoines était plus forte en Europe, où les fortunes sont plus anciennes, que dans le Nouveau Monde. À la Belle Époque , les 1% détenteurs des plus gros patrimoines auraient possédé ainsi plus de 60% du capital privé national en Europe, contre 45% aux États-Unis. A cette époque, 90% de la population ne possédait pratiquement rien (page. 556).
Même si les deux guerres mondiales ont pratiquement annihilé les grands patrimoines et, pendant les Trente Glorieuses a émergé une « classe moyenne patrimoniale » : près de la moitié de la population accède à la propriété (c’est-à-dire, essentiellement, qu’elle achète son logement), aidée par l’inflation qui amoindrit le fardeau du crédit. Du coup, dans les années 70, le patrimoine du 1% les mieux dotés ne représente plus que 20% du total.
Aux États-Unis, les destructions des guerres ont été moins massives, la chute des inégalités de revenus moins prononcées même si la classe moyenne possédante s’est aussi élargie. Au plus bas, dans les années 70, le 1% des plus fortunés conservait 30% de l’ensemble du patrimoine privé.
Et T. Piketti de préciser que « l’entrepreneur tend inévitablement à se transformer en rentier, et à dominer de plus en plus fortement ceux qui ne possèdent que leur travail. Une fois constitué, le capital se reproduit tout seul, plus vite que s’accroît la production. Le passé dévore l’avenir. » Ce « capitalisme patrimonial » est dominé par des dynasties familiales ou industrielles. De là une illusion de méritocratie : travailler fort rapporte peu si on le compare au rendement du patrimoine.
Depuis 1985, un phénomène de re-concentration des patrimoines dans les mains des plus fortunés est à l’œuvre. Le 1% des mieux dotés détiendrait 25% du capital en France, 30% du total du capital au Royaume-Uni (p. 548), 34% aux États-Unis (p. 555), moins en France.
2/ …. aux chiffres observés mais lesquels ?
a) Le choix du 1% les plus riches est il judicieux ?
T. Piketty a imposé une norme dans la lecture des inégalités de revenus : les évaluer en utilisant comme indicateur la part du revenu total détenue par les 1% les plus riches. Dans son étude de l’évolution des inégalités de revenus sur le long terme, il y avait une assez bonne justification à retenir cet indicateur. En effet, si l’on veut établir des séries de revenu comme il le fait avec E. Saez, sur l’ensemble du XXe siècle, il faut s’appuyer sur les données fiscales qui, dans de nombreux pays, n’ont concerné pendant longtemps que les hauts revenus. Ensuite, on compare la part du revenu total détenu par les plus riches aux revenus moyens estimés à partir des comptes nationaux.
Mais l’utilisation ultra-politique du 1% ne jette-t-elle pas un doute sur la validité scientifique de la démarche de ceux qui l’utilisent à cette fin ? Il est nécessaire en tout cas de bien cerner les apports et les limites de cet indicateur, sans apriori politique, La lecture des inégalités de revenus par le 1% peut être utile, mais ne faut-il pas se dégager du diktat des 1%.
Cette focalisation sur la pointe avancée de la pyramide des revenus parle sans doute particulièrement à l’opinion qui communie souvent dans la détestation des plus riches. Ils ont une visibilité sociale et médiatique qui rend l’opinion très sensible à leur comportement. Ils font partie, pour beaucoup d’entre eux, de l’élite économique de la Nation et sont investis, de ce fait, de responsabilités particulières. Si, comme cela semble avéré depuis quelques années, leurs revenus croissent nettement plus vite que celui du reste de la population, il est compréhensible que cela crée des tensions dans la société, et il est légitime que des chercheurs, des statisticiens mettent à jour les données qui le montrent.
Mais cette lecture des inégalités de revenus qui braque le projecteur sur les super-riches n’est pas la fin de l’histoire, pour deux raisons. D’une part on peut légitimement se demander quel est le niveau et quelle est l’évolution des inégalités parmi les autres 99% des revenus. D’autre part, ces données portent sur le revenu primaire et ne tiennent donc pas compte des impôts et transferts sociaux qui ont, on le sait, un fort effet redistributeur.
b) Et les 99% restant ?
Il y a en effet quelque chose d’un peu surréaliste à laisser dans l’ombre la question de l’évolution des inégalités de revenus dans un groupe qui représente 99% de l’ensemble de la population. Et rien n’assure que l’évolution des inégalités concernant les ultra-riches soit un indicateur fidèle des inégalités de revenus qui concernent le reste de la population. Plusieurs graphiques de l’article de B. Garbinti et J. Goupille-Lebret montrent que la question mérite d’être posée en France comme aux États-Unis [8].
S’agissant des inégalités de revenus, le premier graphique suivant concerne les 1% les plus riches. Il confirme effectivement qu’à partir des années 1980, la part du revenu total détenue par cette population s’est nettement accrue (tout en semblant se stabiliser au milieu de années 2000).
Part des revenus des 1 % ayant les plus hauts revenus en France, 1900-2014
Mais le graphique suivant qui compare la part des revenus détenues par les 10% les plus riches, les 50% les plus pauvres et ce que les auteurs appellent la « classe de revenu moyen » (définie comme les 40% dont le revenu se situe au-dessus des 50% les plus pauvres et en-dessous des 10% les plus riches), livre un tableau assez différent. Ce qui ressort principalement de la lecture de ce graphique, c’est une impression de grande stabilité. Certes, la part du top 10% s’accroît légèrement à partir du début des années 1980, mais sur le long terme la part du revenu détenue par les 50% les plus pauvres s’est nettement accrue, et la part de la classe du revenu moyen est remarquablement stable depuis les années 1950. La lecture qui ressort des données sur le 1% et des données sur les valeurs centrales de la distribution est donc assez différente. Dans le premier cas, on parlera d’une « hausse des très hauts revenus particulièrement prononcée entre 1983 et 2000 »; dans le second cas il faudrait parler tout au plus d’une légère remontée de l’inégalité (les 10%) qui n’affecte pas véritablement les revenus de la classe moyenne.
Part des revenus selon le niveau de richesse en France, 1900-2014
Toutes choses prises en compte, il reste vrai que, globalement, l’inégalité de revenus a légèrement augmenté en France ces vingt dernières années. On a vu dans le résumé que l’indice de Gini du niveau de vie, indicateur plus sensible aux valeurs centrales de la distribution (de valeur 0 en cas d’égalité parfaite, de valeur 1 en cas d’inégalité extrême), après avoir décru des années 1970 à la fin des années 1990, atteignant un plancher en 1998 (0,276), est remonté durant les années 2000 à 2010 pour se stabiliser ensuite (0,292 en 2020, à peu près la valeur qu’il avait en 2009, 0,290), un point de plus qu’en 2000. Mais on est très loin d’une « explosion » des inégalités, comme on l’entend parfois.
Garbinti et J. Goupille-Lebret produisent d’ailleurs à cet égard un graphique édifiant, qui compare l’évolution des inégalités en France et aux États-Unis. Ici, l’explosion des inégalités de revenus et l’appauvrissement de la classe moyenne sont patents. Rien de tel n’est discernable en France. Mais le graphique est avant transferts en espèce et en nature.
Parts des revenus détenus par les 10% d’individus ayant les revenus les plus élevés et les 50 % ayant les revenus les plus faibles en France et aux États-Unis, 1910-2014
c) Et les inégalités de patrimoine ?
1 – Sur longue période
S’agissant de la France, le graphique suivant montre l’évolution des inégalités de patrimoine sur longue période (1800-2014). Elle représente les parts de patrimoine total possédées par trois groupes de la population : les 10 % d’individus les plus fortunés (nommés Top10), les 50 % du bas de la distribution ( « pauvres en patrimoine ») et les 40 % d’individus situés entre ces deux groupes (la « classe de patrimoine moyen »).
Concentration du patrimoine en France, 1800-2014
Le déclin des inégalités initié au début du 20e siècle prend fin au milieu des années 1980. Ensuite, la part de patrimoine détenue par les 1 % les plus fortunés augmente de façon continue. Ce retournement de tendance coïncide avec le mouvement de dérégulation des marchés financiers, et plus largement les politiques dites « des 3 D » (Désintermédiation, Décloisonnement et Dérèglementation) engagées au début des années 1980. Il se traduit par une forte augmentation du poids des actifs financiers dans le patrimoine total et dans le patrimoine des plus fortunés (graphique suivant). Les actifs financiers deviennent prédominants au sommet de la distribution des patrimoines à partir es années 1990, tandis que les biens immobiliers demeurent l’actif majoritairement détenu par la classe de patrimoine moyen.
On ne retrouve pas tout à fait le pourcentage de T. Piketti (25% du patrimoine détenu par les 1% les plus dotés) page 542 de son livre le capital au XXIème siècle : ici 23% en 2014.
Composition de la part du patrimoine du Top 1 % en France,1970-2014
2 – Évolutions récentes
Le patrimoine brut des ménages reste très inégalement réparti dans la population. En 2018, la moitié la mieux dotée des ménages vivant en France possède 92 % de la masse de patrimoine brut de l’ensemble des ménages (tableau suivant). Les 5 % les mieux dotés en détiennent 33 %, et les 1 % les mieux dotés, 15 %.
La moitié des ménages déclare un patrimoine brut supérieur à 177 200 euros (contre 166 100 euros début 2018, c’est-à-dire une augmentation de 6,7 %) et un patrimoine net supérieur à 124 800 euros (contre 119 600 euros début 2018, c’est-à-dire une augmentation de 4,4 %) . Les 10 % de ménages les mieux dotés en patrimoine brut disposent d’au moins 716 300 euros d’actifs, alors que les 10 % les moins dotés possèdent au maximum 4 400 euros, soit 163 fois moins. Les 1 % de ménages les mieux dotés possèdent au moins 2 239 200 euros de patrimoine brut.
Répartition de la masse totale de patrimoine entre les ménages début 2021 et début 2018 en %
Il faut aussi rappeler que la moyenne est calculée comme la somme des valeurs d’une série divisée par le nombre de valeurs dans cette série. La médiane divise, quant à elle, la série étudiée en deux groupes égaux. Les exemples de distribution des salaires et des patrimoines, détaillés ci-dessous, montrent qu’une analyse fondée uniquement sur la moyenne, produirait une vision déformée de la réalité.
Le patrimoine brut des ménages présente une distribution bien plus inégalitaire que les revenus.En France hors Mayotte, début 2021, les ménages déclarent posséder en moyenne 317 100 euros de patrimoine brut, mais seulement la moitié des ménages ont un patrimoine supérieur à 177 200 euros (tableau suivant). Les 10 % les mieux dotés en patrimoine brut détiennent plus de 716 300 euros, et même plus de 1 034 600 euros pour les 5 % les mieux dotés, tandis que les 20 % les moins bien dotés possèdent moins de 13 400 euros. Le patrimoine net moyen, c’est‑à‑dire déduction faite des emprunts privés et professionnels, s’élève à 274 000 euros. Dans la suite, le patrimoine brut des ménages est la référence, toutefois les observations sont similaires pour le patrimoine net.
. Déciles de patrimoine brut et net début 2021 en euros
Le revenu disponible conditionne directement les capacités d’épargne des ménages. Plus les revenus sont élevés, plus le niveau du patrimoine augmente. Ainsi, le quart des ménages ayant les revenus disponibles les plus faibles détient en moyenne 101 900 euros de patrimoine brut, contre 708 400 euros pour le quart des ménages ayant les revenus les plus élevés (graphique suivant).
L’âge est un déterminant majeur de la détention de patrimoine. Le patrimoine brut médian augmente jusqu’à atteindre un plateau pour les 50‑69 ans et diminue ensuite. La moitié des ménages dont la personne de référence a moins de 30 ans disposent de moins de 20 400 euros, contre 232 800 euros pour les ménages de sexagénaires, et 211 500 euros pour les ménages dont la personne de référence a 70 ans ou plus, hors personnes vivant en institution (en maison de retraite notamment). Ces différences traduisent, d’une part, des capacités et des décisions d’épargne qui évoluent au cours du cycle de vie et, d’autre part, des effets générationnels, car le contexte économique et la fiscalité liée au patrimoine ont varié.
Le patrimoine varie aussi en fonction de la catégorie socioprofessionnelle et du statut d’activité. Les agriculteurs et les indépendants accumulent des biens nécessaires à leur activité, et détiennent généralement un patrimoine supérieur aux salariés. Pour un ménage d’agriculteurs exploitants en activité sur deux, le patrimoine brut est supérieur à 730 800 euros, et pour un sur dix, il dépasse 2,1 millions d’euros. Le patrimoine d’un ménage d’indépendants (hors profession libérale) en activité sur deux est supérieur à 333 000 euros, et pour un sur dix, il est supérieur à 1,7 million d’euros. La moitié des ménages de professionnels libéraux détiennent plus de 609 700 euros et un sur dix plus de 1,7 million d’euros.
Le patrimoine des agriculteurs et des indépendants est très lié à leur activité professionnelle : le patrimoine professionnel représente 71 % du patrimoine brut total pour les agriculteurs et 33 % pour les artisans, commerçants et chefs d’entreprise. Toutefois, 19 % des ménages dont la personne de référence est indépendante ou agricultrice ne possèdent pas de patrimoine professionnel. Les cadres disposent d’un patrimoine plus élevé que les autres salariés, mais globalement moindre que les indépendants : un cadre en activité sur dix possède un patrimoine brut supérieur à 1,0 million d’euros.
. Montants de patrimoine brut selon l’âge de la personne de référence et le revenu disponible du ménage, début 2021 en milliers d’euros
Il existe un consensus pour dire que la meilleure prise en compte des revenus du patrimoine financier devrait accroître les inégalités mesurées et dans une moindre mesure le taux de pauvreté. Si le sens de l’effet ne fait pas de doute, il n’existe cependant que très peu d’études qui se sont efforcées d’en mesurer précisément l’impact. La mesure de cet impact reste évidemment tributaire des choix et des hypothèses d’imputation.
Aussi bien la pratique des comptes nationaux, qui incluent des revenus supplémentaires (les loyers imputés) dans la masse du revenu disponible brut des propriétaires de leur résidence principale, que les recommandations d’Eurostat incitent à proposer une méthodologie qui tienne compte du logement, afin d’alimenter la réflexion sur la mesure des niveaux de vie. Le sens de l’effet des loyers imputés sur les inégalités de revenus n’est pas aussi clair que celui des revenus financiers. Les locataires et les propriétaires sont très inégalement répartis dans la population. La proportion de propriétaires s’accroît ainsi assez régulière – ment le long de l’échelle des « niveaux de vie standard ». En outre, le pourcentage de propriétaires augmente dans un premier temps au cours du cycle de vie, avec l’âge du chef de ménage, jusqu’à 60 ans avant de légèrement diminuer avec la dés-épargne pendant la dernière partie du cycle de vie. Certains travaux sur les données françaises attribuent aux loyers imputés un impact neutre sur le taux de pauvreté ; d’autres un léger effet à la baisse.
Plusieurs optiques sont proposées du fait d’une diversité indispensable des approches (revenu ou richesse, épargne ou consommation,…;), des ratios et sources statistiques. Comme pour d’autres sujets (financiarisation, dépense publique,…), ceci incite à une grande prudence sur l’analyse des résultats. On peut suivre les évolutions dans le temps ou bien s’intéresser aux comparaisons internationales à une année donnée.
3 – Au niveau mondial et européen
Les inégalités de revenus et de patrimoine sont aujourd’hui très fortes. Selon https://wid.world/fr/news-article/rapport-sur-les-inegalites-mondiales-2022-version-francaise/, un adulte gagne en moyenne 16 700 euros par an (23 380 dollars) en 2021, et possède en moyenne 72 900 euros de patrimoine (102 600 dollars). Mais ces moyennes masquent des disparités considérables, à la fois à l’intérieur des pays et entre eux. Actuellement, les 10 % les plus riches de la planète captent 52 % du revenu mondial, tandis que la moitié la plus pauvre n’en gagne que 8 %. Et un individu appartenant aux 10 % des plus hauts revenus gagne en moyenne 87 200 euros par an (122 100 dollars), tandis que celui qui appartient aux 50 % des revenus les plus bas en gagne 2 800 euros (3 920 dollars) (graphique suivant).
Les inégalités de richesse sont encore plus prononcées que les inégalités de revenus. La moitié la plus pauvre de la population mondiale est pratiquement dépourvue de patrimoine, puisqu’elle ne possède que 2 % du total. À l’inverse, les 10 % les plus riches en détiennent 76 %. Le patrimoine moyen de la moitié la plus pauvre se monte à 2 900 euros par adulte (soit 4 100 dollars), celui des 10 % les plus riches à 550 900 euros par adulte (771 300 dollars).
Inégalités de revenus et de patrimoine dans le monde, 2021
En 2020‑2021, le patrimoine net moyen des ménages de la zone euro s’élève à 292 000 euros selon l’enquête Household Finance and Consumption Survey (HFCS) (tableau suivant). Il varie très fortement d’un pays à l’autre, entre 72 000 euros en Lettonie et 1 276 000 euros au Luxembourg. Dans les pays les plus peuplés de la zone euro, le patrimoine net moyen des ménages atteint des niveaux proches de la moyenne européenne : 277 000 euros en France, 280 000 euros en Espagne, 315 000 euros en Allemagne et 350 000 euros en Italie.
Les 10 % (respectivement les 5 %) des ménages les mieux dotés en patrimoine net de la zone euro détiennent 54 % (respectivement 40 %) du patrimoine de l’ensemble des ménages. À l’inverse, les 40 % des ménages les moins dotés détiennent moins de 3 % du patrimoine de l’ensemble des ménages. L’indice de Gini du patrimoine net est de 0,694 pour l’ensemble de la zone euro. Le classement des pays varie peu selon les différents indicateurs de concentration du patrimoine. Quel que soit l’indicateur retenu, l’Allemagne, l’Estonie et la Lettonie sont ainsi classés parmi les cinq pays les plus inégalitaires au regard de la concentration du patrimoine, tandis que la Slovaquie, Malte et la Grèce sont à l’opposé systématiquement classés parmi les cinq pays les moins inégalitaires. La France est, avec un indice de Gini à 0,676, dans une position intermédiaire un peu moins inégalitaire que l’UE (0,694).
Le patrimoine net des 10 % des ménages les moins dotés (1er décile) est inférieur à 5 000 euros dans la plupart des pays de la zone euro. En haut de la distribution, les 10 % des ménages les mieux dotés de la zone euro possèdent un patrimoine net supérieur à 639 000 euros, un niveau comparable à celui observé en France. Ce montant de patrimoine net au‑delà duquel se situent les 10 % des ménages les mieux dotés (9e décile) est le plus élevé au Luxembourg (2,9 millions d’euros), à Malte (870 000 euros), en Belgique (848 000 euros), en Irlande (808 000 euros) et à Chypre (778 000 euros). Il est le plus faible en Lettonie (142 000 euros) et en Lituanie (154 000 euros).
Inégalités de patrimoine net dans les pays de la zone euro en 2020-2021
3/ La mobilité sociale et des revenus
a) La mobilité sociale
En France, c’est peut-être ici que se trouvent surtout les inégalités. En 2015, 65 % des hommes de nationalité française âgés de 35 à 59 ans relèvent d’un groupe socioprofessionnel différent de celui de leur père, selon l’enquête Formation et qualification professionnelle (graphique suivant) [1]. Ce taux de mobilité sociale est resté globalement stable depuis 40 ans (64 % en 1977, 67 % en 1993). La nature de la mobilité sociale a en revanche évolué. Elle est de moins en moins liée à l’évolution de la structure du marché du travail. Le déclin de l’emploi agricole et l’extension du salariat ayant ralenti au milieu des années 1970, la mobilité non verticale (notamment entre indépendants et salariés) ne concerne plus que 23 % des hommes en 2015, contre 33 % en 1977. Les trajectoires ascendantes et descendantes entre groupes de salariés sont toutes deux plus fréquentes, mais les déclassements sociaux se sont davantage accrus. En 2015, 28 % des hommes occupent une position sociale plus élevée que celle de leur père et 15 % une position inférieure, contre respectivement 23 % et 7 % en 1977.
Mobilité sociale observée de 1977 à 2015
Les mobilités ascendantes sont plus fréquentes depuis les échelons inférieurs de l’échelle sociale. Toutefois, elles se font le plus souvent vers les positions sociales les plus proches. En 2022, selon l’enquête Emploi, 38 % des fils de père employé ou ouvrier peu qualifié sont devenus employés ou ouvriers qualifiés, mais seuls 14 % d’entre eux sont cadres (graphique suivant). De même, 31 % des filles de mère employée ou ouvrière peu qualifiée sont employées ou ouvrières qualifiées, mais seulement 9 % d’entre elles sont cadres. La transmission des inégalités entre générations reste importante : les hommes ayant un père cadre sont 3,2 fois plus souvent cadres que ceux dont le père est employé ou ouvrier qualifié. Les femmes ayant une mère cadre le sont 2,8 fois plus souvent. En 2022, la mobilité sociale ascendante des femmes par rapport à leur mère (42 %) reste beaucoup plus élevée que par rapport à leur père (24 %) et plus élevée que celle des hommes par rapport à leur père (28 %). La structure des professions étant encore plus éloignée entre les hommes et leurs mères, la mobilité sociale ascendante des hommes par rapport à leur mère est la plus forte (49 %).
Destinées sociales selon le groupe socioprofessionnel du parent en 2022
b) La mobilité intergénérationnelle des revenus
La mobilité intergénérationnelle des personnes dans l’échelle des revenus favorise l’inclusion sociale, stimule l’innovation et nous rapproche d’une société où chacun a les mêmes chances de prospérer. Pourtant, si l’objectif de diminuer la reproduction des inégalités entre générations apparaît souhaitable, des divergences existent sur le diagnostic en France. Selon une étude de l’Insee, mieux les parents sont classés dans l’échelle des revenus, mieux le sont également en moyenne leurs enfants par rapport aux jeunes adultes de leur génération : il y a donc une persistance des niveaux de revenu entre générations et les inégalités se reproduisent en partie [1]. La corrélation entre le rang des jeunes adultes de 28 ans et celui de leurs parents est de 0,24 en 2018 . Cela correspond au fait qu’un enfant dont les parents sont classés tout en haut de la distribution est en moyenne classé entre 2 et 3 déciles plus haut qu’un enfant dont les parents sont situés en bas de la distribution. Plus la corrélation est élevée, plus la persistance du positionnement dans l’échelle des revenus entre générations est forte. La mobilité dans l’échelle des revenus serait donc plus élevée en France qu’aux États-Unis, où la corrélation est supérieure à 0,30 à partir de 28 ans, mais serait plus faible que dans les pays nordiques, où la corrélation est inférieure.
72 % des enfants de 28 ans appartiennent à un cinquième de revenu différent de celui de leurs parents. Parmi les enfants dont les parents sont les plus modestes, dans le plus bas cinquième de la distribution des revenus, 31 % restent dans le premier cinquième (le « plancher collant ») et 12 % font une mobilité très ascendante vers le plus haut cinquième (graphique suivant). Ce taux de mobilité ascendante est supérieur à celui observé aux États-Unis et supérieur à celui ressenti par les Français. À l’inverse, 34 % des enfants des parents les plus aisés, appartenant au plus haut cinquième, sont eux aussi dans le plus haut cinquième (le « plafond collant ») et 15 % font une mobilité très descendante vers le plus bas cinquième. Ainsi, les enfants des familles aisées ont trois fois plus de chances de faire partie des plus hauts revenus que ceux issus des familles modestes. Les inégalités se reproduisent donc en partie d’une génération à l’autre.
Cependant, pour un même niveau de revenu des parents, les revenus des enfants varient fortement. En 2018, parmi les jeunes issus des familles les 20 % les plus modestes, 12 % sont parmi les 20 % les plus aisés de leur classe d’âge. En prenant une définition élargie de la mobilité ascendante, des 40 % les plus modestes aux 40 % les plus aisés, le taux de mobilité est de près de 30 %.
Les hommes ont une probabilité plus élevée que les femmes de réaliser une mobilité ascendante et plus faible de rester en bas de la distribution : 15 % des fils de 26 à 29 ans issus du plus bas cinquième des revenus sont dans le plus haut cinquième, contre 8 % des filles, tandis que 34 % des filles restent dans le plus bas cinquième, contre 27 % des fils. Toutes choses égales par ailleurs, cet effet persiste : les femmes ont près de deux fois moins de chances de réaliser une mobilité ascendante par rapport aux hommes, et 1,5 fois moins en considérant la mobilité ascendante élargie . De même, à autres caractéristiques identiques, les enfants des familles monoparentales ont une probabilité de mobilité ascendante élargie significativement plus faible que les enfants de couples ayant un ou deux enfants, et un risque de mobilité descendante plus élevé. La probabilité de rester dans le plus bas cinquième de la distribution et la persistance des revenus sont également plus élevées pour ces individus. Les enfants de couples ayant trois enfants ou plus ont également moins de chances d’effectuer une mobilité ascendante.
Mobilité entre cinquièmes de revenu des parents et cinquièmes de revenu des enfants
Selon une autre étude de l’Institut des Politiques Publiques, la France se distingue par une forte persistance des revenus entre générations. Elle est du même ordre de grandeur qu’en Italie et un peu plus faible qu’aux États-Unis, mais plus élevée que dans d’autres pays européens tels que l’Espagne ou les pays nordiques, ainsi que l’Australie ou le Canada https://www.ipp.eu/wp-content/uploads/2024/07/NoteIPP_mobilite_interg_revenus.pdf. Dans le graphique suivant, la corrélation entre centile des parents et centile des enfants indique à quel point l’avantage économique est transmis d’une génération à l’autre. D’après les estimations, cette corrélation est de 0,303 en France, ce qui signifie qu’une augmentation de 10 centiles du revenu des parents est associée, en moyenne, à une augmentation de 3,03 centiles du revenu du ménage des enfants.
La corrélation rang-rang en comparaison internationale
Lecture : En France, la corrélation rang-rang est de 0,303, ce qui signifie qu’une augmentation de 10 centiles du revenu des parents est associée, en moyenne, à une augmentation de 3,03 centiles du revenu des enfants.
Notes : Du fait d’importantes différences dans les échantillons utilisés et dans les définitions retenues pour mesurer le revenu des individus d’une étude à l’autre, cette comparaison n’est qu’indicative.
Sources : Les références des études utilisées pour chaque pays sont indiquées en gris sous le nom du pays.
Si la relation rang-rang rend compte de la persistance en moyenne, elle ne permet pas en revanche d’analyser finement pour qui dans la distribution de revenus l’ascenseur social « monte » et pour qui il « descend ». Pour cela, il est plus utile de s’appuyer sur la matrice de transition entre quintiles de la distribution des revenus. Celle-ci est présentée dans le graphique suivant pour la France. Elle indique que 9,7 % des enfants issus des 20 % des familles aux revenus les plus faibles atteignent les 20 % des revenus les plus élevés à l’âge adulte, soit une proportion quatre fois moindre que pour les enfants issus des 20 % des familles les plus aisées (38,4 %). Dans une société où les revenus des enfants seraient indépendants de ceux de leurs parents, ces statistiques seraient égales à 20 %. Dans une société où les revenus des enfants seraient indépendants de ceux de leurs parents, ces statistiques seraient égales à 20 %. De plus, la pauvreté intergénérationnelle, que l’on peut caractériser comme le fait de se maintenir parmi les 20 % aux revenus les plus faibles, est particulièrement forte, avec 31,8 % des individus dont les parents appartenaient au premier quintile de revenus qui y restent à l’âge adulte. Les enfants des « classes moyennes » ceux dont les parents ont un revenu situé entre le 2e et le 8e décile de la distribution, ont des chances plus élevées de changer de quintile de revenus, même si la fluidité sociale reste globalement limitée.
Matrice de transition par quintile de revenu
Lecture : 31,8 % des enfants issus des 20 % des familles aux revenus les plus faibles se situent eux-mêmes parmi les 20 % des ménages aux revenus les plus faibles à l’âge adulte. Ils ne sont en revanche que 9,7 % à faire partie des 20 % des ménages les plus aisés.
Champ : Revenus du ménage moyens observés entre 35 et 45 ans pour les individus nés entre 1972 et 1981 en France métropolitaine, et salaire prédit du ménage au même âge pour les parents.
Sources : Insee, DGFiP, Échantillon démographique permanent; calculs https://www.ipp.eu/wp-content/uploads/2024/07/NoteIPP_mobilite_interg_revenus.pdf
Or les analyses fondées sur les matrices de transition entre quintiles de la distribution des revenus confirment qu’en comparaison internationale, la France fait partie des pays où la mobilité intergénérationnelle est la plus faible (graphique suivant). Elle fait seulement mieux que les États-Unis et l’Italie pour la mobilité ascendante (mobilité des 20 % aux revenus les plus faibles vers les 20 % les plus aisés) et pour la pauvreté intergénérationnelle (rester parmi les 20 % aux revenus les plus faibles), et se retrouve en tête de classement en ce qui concerne la persistance en haut de l’échelle des revenus (maintien parmi les 20 % les plus aisés).
Mobilité ascendante et persistance intergénérationnelle : comparaisons internationale
Lecture : En France, parmi les enfants issus des 20 % des familles aux revenus les plus faibles, 31,8 % font partie des 20 % aux revenus les plus faibles à l’âge adulte, et seulement 9,7 % font partie des 20 % des ménages les plus aisés.
Notes : Du fait de différences d’échantillon et de définitions de revenu entre études, cette comparaison n’est qu’indicative.
Sources : Les références des études utilisées pour chaque pays sont indiquées en gris sous le nom du pays.
La pauvreté ne se mesure pas seulement dans les concepts et les chiffres. Il faudrait probablement la voir sur place comme les assistantes sociales. On tentera néanmoins de montrer que la pauvreté est liée à la précarité de l’emploi voire à d’autres critères comme l’âge, la situation de famille, etc… .
Une mesure statistique peut n’être pas rigoureusement satisfaisante sur le plan intellectuel et permettre néanmoins de caractériser l’évolution de certains phénomènes sociaux dans le temps. Si l’on met à part la notion de pauvreté absolue, la plus discutée, les données statistiques font apparaître des proportions comparables de ménages pauvres dans la population française, de 10 à 15 % selon les périodes, quelle que soit la définition de la pauvreté retenue – relative, en conditions de vie ou subjective. Toutefois, ces différentes définitions de la pauvreté s’appliquent à des populations qui ne se recoupent qu’imparfaitement. La question de la pertinence de ces définitions est dès lors légitimement posée. En évolution cependant, les taux varient le plus souvent dans le même sens et ils traduisent des inflexions ou des renversements de tendance qui sont généralement confirmés par les effectifs des bénéficiaires des différents dispositifs de soutien du revenu.
Par ailleurs, l’intérêt d’un examen critique des définitions est aussi de mettre en garde contre des interprétations rapides, voire abusives, des taux de pauvreté alors que les médias et le grand public ont une fascination parfois inquiétante pour les chiffres simples.
1/ Quelle définition de la pauvreté ?
On se réfère ici aux travaux d’Eurostat, de l’OCDE et de plusieurs statisticiens-sociologues, dont J. Accardo et J.M. Charbonnel [2]. Selon Eurostat, les indicateurs de pauvreté uniquement basés sur les statistiques du revenu ne reflètent pas le tableau complet de la vulnérabilité économique d’un ménage. La consommation et la richesse sont deux autres dimensions clés qui déterminent les opportunités économiques des personnes ou les inégalités matérielles. En fusionnant les trois dimensions du revenu, de la consommation et de la richesse (ICW) en un seul ensemble de données, une analyse de la distribution conjointe de ces dimensions peut être effectuée en construisant un certain nombre d’indicateurs ad hoc pour les pays de l’Union européenne (voir ci-dessous). Ces indicateurs peuvent aider à répondre à des questions telles que: Quelle partie de la population est vulnérable dans plus d’une dimension? Quelles caractéristiques les ménages vulnérables exposent-ils?
« Alors que tout un chacun a son idée sur le sens du mot, la pauvreté reste cependant, au sens sociologique du terme, une prénotion (on ne peut pas définir les personnes pauvres de façon rigoureuse), c’est-à-dire une idée vague et latente pour rendre compte d’une réalité sociale, laquelle est également désignée par les termes de « misère », « indigence », « situations défavorisées ». Sa définition fait dès lors l’objet de multiples débats, donnant lieu à des concepts différents. Bien qu’une définition, celle de la pauvreté monétaire relative, semble progressivement s’imposer au plan mondial, l’analyse reste ici limitée aux définitions et aux acceptions de la pauvreté qui ont cours dans les pays économiquement développés. La question centrale est de savoir si on peut définir la pauvreté à partir de critères exclusivement monétaires ou si, en raison de son caractère multidimensionnel, celle-ci doit être mesurée plutôt par une combinaison d’indicateurs multiples (le revenu mais aussi l’éducation, la santé, au logement, etc.) ? La diversité des modalités de mesure est d’autant plus nécessaire qu’il existe souvent un décalage entre le nombre de personnes pauvres affiché par les pouvoirs publics et la perception de l’opinion publique, qui sous-estime souvent l’hétérogénéité de cette population ».
« S’il existe un relatif consensus sur le fait que la pauvreté ne peut être réduite à une insuffisance de revenus, la question se pose de savoir si une insuffisance de ressources monétaires peut être considérée comme un indicateur simple et pertinent pour révéler les situations très hétérogènes de détresse sociale que l’acception courante du terme de pauvreté recouvre. Dans nos économies, où les relations marchandes prennent une place toujours croissante et où la circulation monétaire est une composante centrale du lien social, le recours à un indicateur purement monétaire se justifie sans conteste. Même si d’autres indices de ces situations peuvent être utilisés, les propriétés de la monnaie – divisibilité et homogénéité notamment – et ses représentations sociales traditionnelles permettent de privilégier l’approche monétaire. Toutefois, plusieurs définitions de la pauvreté monétaire coexistent. Au-delà de leur présentation, il est souhaitable de s’interroger sur leur légitimité et leurs limites ».
Depuis 20 ans il existe plusieurs mesures de la pauvreté : une personne est considérée comme pauvre si son niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté, fixé par convention à 60 % du niveau de vie médian de France métropolitaine. (pauvreté monétaire). En 2019, 9,2 millions de personnes vivaient en dessous de ce seuil. Le taux de pauvreté monétaire s’établit à 14,6% de la population. Le seuil de pauvreté s’établit à 1 102 euros par mois en 2019. Il correspond à un revenu disponible de 2 314 euros par mois pour un couple avec deux enfants. Mais si l’on retient à la norme statistique française ancienne -est pauvre toute personne vivant dans un ménage dont les ressources par unité de consommation sont inférieures à la moitié des ressources médianes-, il y avait 5,2 millions de pauvres en 2019.
On note que la pauvreté monétaire ne tient pas compte du patrimoine ni de l’endettement : la pauvreté monétaire serait ainsi surestimée en zone rurale à cause de l’autoconsommation de produits agricoles et de l’hébergement. On note aussi que la pauvreté se réfère parfois à la personne (« unité de consommation »), parfois au ménage. Or il peut arriver que la personne qui perçoit le revenu le plus élevé dans un ménage le partage plus ou moins.
Le taux de pauvreté tend à s’accroître depuis 2004 (12,7 %) : le niveau de vie des ménages les plus modestes a moins progressé que le niveau de vie médian sur l’ensemble de la période (+ 5,3 % pour le premier décile de niveau de vie, contre + 12,0 % pour la médiane entre 2004 et 2019) ; en particulier, il a été plus affecté par la crise économique de 2008 (– 4,4 %, contre – 1,1 % entre 2008 et 2012).
Indicateurs de pauvreté
Taux de pauvreté à 60 % du niveau de vie médian et seuils de pauvreté
Lecture : en 2019, 14,6 % de la population vit sous le seuil de pauvreté de pauvreté monétaire, soit 1 102 euros par mois,
Champ : France métropolitaine, individus vivant dans un ménage dont le revenu déclaré est positif ou nul et dont la personne de référence n’est pas étudiante.
Sources : Insee-DGI, enquêtes Revenus fiscaux et sociaux rétropolées de 1996 à 2004 ; Insee-DGFiP-Cnaf-Cnav-CCMSA, enquêtes Revenus fiscaux et sociaux de 2005 à 2019.
2/ Dépasser le concept de la pauvreté monétaire
Plusieurs méthodes ont été explorées pour tenter de définir rigoureusement la pauvreté monétaire, appréhendée comme une insuffisance de revenu par rapport à un seuil. Toutes s’efforcent de donner un contenu précis à la notion d’insuffisance de revenus et de justifier le choix du seuil. Mais de quels revenus (revenus disponible brut, ajusté des transferts sociaux en nature, revenu de patrimoine,…) parle-t-on ? Quel seuil retenir ?
Lorsqu’il rémunère la participation à une activité productive, le revenu est, aujourd’hui, presque exclusivement individuel . Mais, lorsqu’on le considère comme moyen d’existence, il doit être appréhendé au niveau collectif : un salaire peut faire vivre une famille. Comment comparer les revenus de ménages. Un ménage (de taille et de composition différente) est l’ensemble des personnes vivant sous un même toit voire sous un même abri de fortune ou un camion comme dans les raisons de la colère de J. Steinbeck. Ces questions sont traditionnelles dans l’analyse économique. L’usage est en général d’utiliser pour les personnes à bas revenus les mêmes instruments que pour les autres catégories de population.
Or, la pauvreté, surtout si elle est permanente, induit des modes de vie relativement spécifiques. S’interroger sur la pertinence de certains outils utilisés dans les mesures de la pauvreté est dès lors légitime : la notion de ménage a-t-elle un sens pour certaines personnes désocialisées ou pour les enfants qui vivent en résidence alternée ? Est-on rigoureux lorsqu’on se réfère au seul revenu monétaire dans le cas de populations pour lesquelles les productions domestiques peuvent être importantes ? Le revenu disponible est-il bien utilisé pour assurer un bien-être équivalent à tous les membres du ménage, adultes et enfants ? Est-il légitime d’utiliser la même échelle d’équivalence quel que soit le niveau de revenu ? Les échelles d’équivalence, utilisées pour comparer les niveaux de vie de ménages de taille et composition diverses, visent à prendre en compte les économies d’échelle qui résultent de la mise en commun des ressources et des dépenses au sein des ménages.
Dans les pays européens, la pauvreté monétaire (ou pauvreté relative) est habituellement définie par le fait de disposer d’un niveau de vie inférieur à un certain seuil de la distribution dans la population (généralement 60 % de la médiane). Il s’agit donc d’une mesure relative, liée à la répartition des revenus dans la population, et unidimensionnelle au sens où elle ne repose que sur un critère monétaire (voir tableau ci_dessus). Le concept de pauvreté en conditions de vie est fondé sur la mesure des conséquences de la faiblesse des revenus : privations, impossibilité d’acquérir ou de consommer certains biens, d’atteindre un certain niveau de confort ou enfin d’honorer certaines dépenses obligatoires. Si le nombre de difficultés déclarées dépasse un certain seuil, la personne est considérée comme pauvre en conditions de vie. Cette approche complète la pauvreté monétaire et s’en démarque : les indicateurs sont absolus, c’est-à-dire indépendants de la répartition des difficultés déclarées dans la population, et pluridimensionnels, au sens où ils explorent plusieurs aspects de la vie.
a) La pauvreté absolue
La pauvreté absolue est la conception la plus restrictive de la pauvreté. Elle est sous-tendue par la notion de minimum vital selon laquelle il existerait des besoins strictement incompressibles (nourriture, vêtements, logement, etc.) dont la satisfaction serait indispensable à la survie de l’individu. La méthode consiste alors à convertir en équivalent monétaire la valeur du panier de biens correspondant à ces besoins et de considérer comme pauvre toute personne ne disposant pas de ce minimum de ressources. Le problème est que ce minimum vital reste totalement indéfinissable parce qu’il est incontestablement fonction de la société dans laquelle nous vivons . Malgré cela, l’idée perdure que la pauvreté doit être assimilée à « l’insuffisance de moyens pour vivre ». Cette vision est souvent très restrictive et fondée sur des représentations caduques de conditions de vie décente.
b) La pauvreté ancrée dans le temps
Une des objections les plus immédiates à la fixation d’un seuil intangible de pauvreté tient à la nécessité de prendre en compte la hausse des prix si on considère que le seuil de pauvreté est à fixer par rapport à un panier de biens dont les prix évoluent . Ces dernières années, la réévaluation de ce seuil en fonction de l’indice des prix à la consommation a conduit à proposer un concept proche : la pauvreté ancrée dans le temps. Amélioration incontestable de la notion de pauvreté absolue puisqu’il élimine la perte de pouvoir d’achat liée à l’érosion monétaire d’un seuil fixe (notamment en période de forte inflation comme en 2022), ce nouveau concept ne résout toutefois pas le problème de l’évolution des modes de vie et des structures de consommation sur le moyen/long terme. Assigner une consommation fixe aux personnes les plus défavorisées alors que celle de la grande majorité évolue rapidement ne semble guère satisfaisant. Les notions d’utilité ou de besoins primaires auxquelles renvoient les notions de pauvreté absolue ou de pauvreté dans le temps sont très relatives.
Aujourd’hui, ne pas pouvoir acheter un téléphone portable ou s’abonner à une connexion Internet constitue ainsi un handicap très sérieux, ne serait-ce que pour la recherche d’un emploi. Néanmoins, ce nouveau concept peut présenter un intérêt non négligeable pour l’évaluation sur le court terme de certaines politiques sociales.
c) La pauvreté relative (« monétaire »)
À ces définitions de la pauvreté absolue ou ancrée dans le temps s’opposent les tenants de la pauvreté relative. L’état de pauvreté ne peut s’apprécier qu’en fonction du contexte économique et social. Est alors considérée comme pauvre toute personne qui ne peut accéder aux normes de consommation les plus usuelles de la société dans laquelle elle vit. Techniquement, le seuil (ou ligne) de pauvreté correspond alors à une fraction (généralement 40, 50 ou 60 %) du revenu équivalent médian par « unité de consommation ». La pauvreté relative correspond plus à une vision de la pauvreté en termes d’inégalités de revenus que de besoins minimaux à satisfaire. De ce fait, la croissance économique a un effet beaucoup plus limité sur la pauvreté relative que sur la pauvreté absolue et on ne peut attendre d’elle qu’elle réduise la pauvreté si elle ne réduit pas les inégalités de revenus (en dépit de l’augmentation de la consommation des pauvres).
Le fait que cette approche se limite à l’année de l’enquête est l’une des principales critiques que l’on peut lui opposer, puisque les phénomènes de pauvreté s’inscrivent plutôt dans des trajectoires de vie. Les situations sont en effet très différentes si l’insuffisance de ressources est passagère ou si elle s’inscrit dans la durée. Le calcul d’un taux de risque persistant de pauvreté permet en partie de tenir compte de cette dimension essentielle. Cet indicateur donne le pourcentage de la population dont le revenu disponible équivalent se situait au-dessous du seuil de risque de pauvreté non seulement pour l’année en cours mais aussi pour au moins deux des trois années précédentes.
Pour l’évaluation des politiques publiques sur le court/moyen terme, l’utilisation du taux de pauvreté relative présente un autre inconvénient. Une politique ciblée et efficace pour améliorer les conditions de vie des personnes pauvres peut très bien s’accompagner d’une hausse du taux de pauvreté : il suffit pour cela que le revenu médian ait progressé plus vite que le revenu des plus défavorisés.
d) La pauvreté en condition de vie (« pauvreté non monétaire »)
Les différentes définitions de la pauvreté monétaire n’étant pas pleinement satisfaisantes, d’autres méthodes proposent de définir la pauvreté en prenant en compte la privation d’un ensemble de biens jugés essentiels. Cela permet de mesurer un phénomène en fonction de ses multiples facettes. L’approche de la pauvreté en conditions de vie repose ainsi sur le repérage d’un certain nombre de privations d’éléments nécessaires à un bien-être estimé standard dans la société considérée. Est alors pauvre un individu contraint de se priver d’un nombre plus ou moins important de ces consommations standards.
L’Insee a répertorié 27 items classés en quatre rubriques principales (contraintes budgétaires, retards de paiement, insuffisance de ressources, difficultés liées au logement) et considère comme pauvre tout ménage qui doit se priver d’au moins huit items sur cette liste. La détermination de ces consommations standards fait bien entendu l’objet de nombreux débats, assez logiquement entre pays compte tenu des différences culturelles, mais également au sein d’un même pays, où on estime parfois que certaines privations sont inacceptables lorsqu’elles touchent des enfants et/ou des femmes et ne le sont pas pour les hommes adultes. Ces privations sont également appréhendées à l’échelle du ménage.
Dans la continuité de cette approche par les privations, il est également possible, comme cela se faisait parfois dans le passé, de mesurer la pauvreté à partir du poids des dépenses alimentaires dans le budget des ménages. L’idée est ici que les dépenses alimentaires étant prioritaires pour les ménages à bas revenus, un poids relatif très élevé de ces dernières est un bon indice de privation des autres consommations de base.
Sur un plan éthique, raisonner à partir d’une seule consommation se heurte cependant aux profondes différences de modes de vie de certaines communautés : tous les gens du voyage sont-ils pauvres parce qu’ils ont des logements précaires et mobiles ? Aujourd’hui, le taux d’effort pour le logement (la proportion du budget d’un ménage consacrée à ses dépenses de logement) est certainement un bon outil pour repérer la précarité financière mais n’est pas forcément un indicateur fiable de pauvreté.
Dans l’exploitation des résultats souvent très riches des enquêtes liées à cette approche de la pauvreté, il est souhaitable de dépasser la présentation du simple indicateur synthétique (proportion de personnes connaissant un nombre prédéterminé de privations). Une analyse de la pauvreté par grands domaines (par exemple : bien-être matériel, santé, éducation-culture, inclusion sociale) qui aboutit à la construction d’indicateurs thématiques pour chacun d’eux est sans doute beaucoup plus féconde pour la compréhension des phénomènes de pauvreté et pour cibler l’action publique.
e) La pauvreté subjective
Une dernière approche de la pauvreté est également assez fréquemment utilisée, celle de la pauvreté dite « subjective », c’est-à-dire du sentiment d’être pauvre ressenti par les ménages. Pour cette approche, on utilise les réponses à des questions simples telles que : « Éprouvez-vous des difficultés à boucler votre budget ? Avez-vous des retards dans le paiement de vos impôts, de vos factures d’électricité, de gaz ou d’eau ? Si on considère les ressources de votre ménage, diriez-vous qu’elles vous permettent de vivre facilement ou difficilement ? ».
En combinant les réponses à ces questions – dont certaines ne constituent pas en elles-mêmes des indices incontestables de pauvreté – (un cumul de retards devient un indice de vraies difficultés financières) -, on cerne la perception qu’ont les ménages de leur aisance matérielle et / ou psychologique ainsi que la plus ou moins grande facilité avec laquelle ils font face à leurs dépenses de consommation. Bien que les résultats soient très sensibles à la manière dont sont formulées les questions, cette approche trouve sa légitimité dans le fait que la pauvreté est, d’une part, loin d’être une réalité objective et, d’autre part, parce que le sentiment de pauvreté dépend largement, au moins dans nos sociétés modernes, des rapports individuels entretenus avec l’argent et le temps.
3/ Une personne sur cinq est en situation de pauvreté monétaire ou de privation matérielle et sociale en 2019
Le concept de pauvreté en conditions de vie est donc fondé sur la mesure des conséquences de la faiblesse des revenus : privations, impossibilité d’acquérir ou de consommer certains biens, d’atteindre un certain niveau de confort ou enfin d’honorer certaines dépenses obligatoires. Si le nombre de difficultés déclarées dépasse un certain seuil, la personne est considérée comme pauvre en conditions de vie. Cette approche complète la pauvreté monétaire et s’en démarque : les indicateurs sont absolus, c’est-à-dire indépendants de la répartition des difficultés déclarées dans la population, et pluridimensionnels, au sens où ils explorent plusieurs aspects de la vie.
Pour comparer les niveaux de vie de ménages de taille ou de composition différente, on divise le revenu par le nombre d’unités de consommation (UC). Elles permettent de comparer le niveau de vie des ménages en prenant en compte le nombre de personnes selon son âge. L’INSEE considère, qu’au sein d’un ménage, le deuxième adulte vaut la moitié du premier, de même que les enfants de plus de 14 ans. Les plus jeunes enfants comptent pour 0,3. Cette échelle d’équivalence (dite de l’OCDE) tient compte des économies d’échelle au sein du ménage. En effet, les besoins d’un ménage ne s’accroissent pas en stricte proportion de sa taille. Lorsque plusieurs personnes vivent ensemble, il n’est pas nécessaire de multiplier tous les biens de consommation (en particulier, les biens de consommation durables) par le nombre de personnes pour garder le même niveau de vie.
a) Entre 11 % et 13 % de personnes pauvres au sens non monétaire
En 2019, la proportion de personnes pauvres au sens non monétaire varie de 11,0 % selon l’indicateur européen de privation matérielle à 13,1 % selon l’indicateur européen plus large de privation matérielle et sociale, l’indicateur français historique de pauvreté en conditions de vie atteignant pour sa part 11,1 %. Les trois indicateurs sont fortement corrélés (0,7 environ) et les populations qu’ils identifient se recouvrent en grande partie. Par exemple, 67 % de la population pauvre suivant l’indicateur de privation matérielle et sociale l’est également selon l’indicateur de pauvreté en conditions de vie, la réciproque étant vraie à hauteur de 79 %. Les profils sociodémographiques des personnes identifiées par ces trois indicateurs sont très proches, de même que leurs revenus moyens en 2018. Globalement, 16,8 % de la population est pauvre suivant l’un au moins de ces indicateurs, 11,2 % suivant au moins deux et 7,2 % selon les trois (schéma suivant).
Recouvrement des différentes formes de pauvreté non monétaire en 2019
Lecture : 7,2 % des personnes sont à la fois en situation de privation matérielle et sociale, de privation matérielle et de pauvreté en conditions de vie. 2,6 % sont en situation de privation matérielle et sociale mais ne cumulent ni avec la pauvreté en conditions de vie, ni avec la privation matérielle.
Champ : France métropolitaine, population vivant en ménage ordinaire.
Source : Insee, enquête Statistiques sur les ressources et les conditions de vie (SRCV) 2019.
b) Une baisse tendancielle de la pauvreté non monétaire
De nature absolue, les indicateurs de pauvreté non monétaire tendent à baisser lorsque le niveau de vie général de la population augmente. C’est le cas des indicateurs de pauvreté en conditions de vie et de privation matérielle depuis 2004 (entre 0,15 et 0,19 point de baisse annuelle). L’indicateur de privation matérielle et sociale présente en revanche une évolution en U entre 2014 et 2019 (graphique suivant) : iI augmente en 2019, car les privations qui lui sont propres (la pratique régulière d’activités de loisirs payantes par exemple) sont en hausse alors que celles non prises en compte (comme celles concernant le logement ou l’insuffisance de ressources) diminuent. L’indicateur de risque de pauvreté monétaire, de nature relative, évolue différemment: il diminue entre 2004 et 2007 pour augmenter ensuite et culminer en 2011 et 2012 (14,1 %) et enfin se stabiliser autour de 13,5 % à partir de 2014.
Indicateurs de pauvreté depuis 2004 dans l’enquête SRCV
les indicateurs de pauvreté non monétaire font référence à l’année de collecte (en abscisse) mais le risque de pauvreté monétaire porte sur les revenus de l’année antérieure ; un changement de méthodologie est intervenu dans la collecte des revenus dans SRCV 2008, causant une rupture de série pour le calcul du risque de pauvreté monétaire.
Lecture : en 2019, 11,1 % de la population est pauvre d’après l’indicateur de pauvreté en conditions de vie, 13,6 % à risque de pauvreté monétaire (sur la base des revenus 2018).
Champ : France métropolitaine, population vivant en ménage ordinaire.
Sources : Insee, enquêtes Statistiques sur les revenus et les conditions de vie (SRCV) 2004 à 2019.
c) Un recouvrement partiel entre pauvreté monétaire et non monétaire
Les corrélations entre le risque de pauvreté monétaire et chacun des trois indicateurs de pauvreté non monétaire sont relativement faibles (0,35 environ). Ces deux approches de la pauvreté se complètent et ne se recouvrent que partiellement : 42 % des personnes à risque de pauvreté monétaire sont touchées par la privation matérielle et sociale et 44 % de celles en situation de privation matérielle et sociale sont à risque de pauvreté monétaire.
Dans l’enquête SRCV 2019, qui porte sur les revenus de 2018, 13,6 % de la population est pauvre monétairement, 13,1 % l’est au sens de la privation matérielle et sociale et 5,7 % cumule les deux : 21,0 % de la population est pauvre au sens d’au moins un de ces deux critères.
4/ Quelles personnes (ménages) sont pauvres ?
La pauvreté monétaire touche en premier lieu les chômeurs (38,9 %). Parmi les personnes en emploi, les travailleurs indépendants sont plus vulnérables (17,6 %) que les salariés (6,8 %). Les retraités sont moins fréquemment en situation de pauvreté (9,5 %). Au sein des inactifs, le taux de pauvreté des retraités est de 9,5 %. Pénalisés par la non-revalorisation des pensions du régime général, les retraités les plus modestes n’ont pas bénéficié du rétablissement à 6,6 % du taux de contribution sociale généralisée (CSG) sur les revenus de remplacement.
Les ménages sont différemment exposés à la pauvreté selon leur configuration familiale. Les familles monoparentales sont les plus concernées (32,8 %). Le taux de pauvreté des familles monoparentales (32,8 %) recule de 2,5 points (second tableau suivant). Ces familles ont bénéficié de la baisse du chômage et de la plus forte hausse des salaires dans le bas de la distribution.
En 2019, 31,5 % des immigrés sont pauvres, en particulier ceux nés en Afrique (39,2 %).
Taux de pauvreté (avec un seuil de 60%) par statut d’activité en 2019 en %
Lecture : en 2019, 6,8 % des salariés vivent sous le seuil de pauvreté monétaire.
Champ : France métropolitaine, individus vivant dans un ménage dont le revenu déclaré est positif ou nul et dont la personne de référence n’est pas étudiante.
Sources : Insee-DGI, enquêtes Revenus fiscaux et sociaux rétropolées de 1996 à 2004 ; Insee-DGFiP-Cnaf-Cnav-CCMSA, enquêtes Revenus fiscaux et sociaux de 2005 à 2019.
Pauvreté monétaire selon l’activité en 2019
Taux de pauvreté monétaire selon la composition du ménage en %
a) 14,6 % de la population vit au‑dessous du seuil de pauvreté en 2019
À la suite de la crise financière de 2008, le taux de pauvreté a sensiblement augmenté sous l’effet de la hausse du chômage, passant de 13,2 % en 2008 à 14,6 % en 2011, puis s’est stabilisé jusqu’en 2017. Après une hausse de 0,7 point en 2018, le taux de pauvreté a diminué de 0,2 point en 2019, à 14,6 %. En 2020, il serait stable à 14,6 %, à un niveau supérieur à celui de 2008.
L’intensité de la pauvreté permet d’apprécier à quel point le niveau de vie de la population pauvre est éloigné du seuil de pauvreté. Comme Eurostat et l’OCDE, l’Insee mesure cet indicateur comme l’écart relatif entre le niveau de vie médian de la population pauvre et le seuil de pauvreté. Plus cet indicateur est élevé et plus la pauvreté est dite intense, au sens où le niveau de vie des plus pauvres est très inférieur au seuil de pauvreté.n Formellement, il est calculé de la manière suivante : (seuil de pauvreté – niveau de vie médian de la population pauvre) / seuil de pauvreté. L’intensité de la pauvreté est quasi stable, à 19,7 % en France. Elle varie peu depuis 2008, entre 19,6 % et 20,2 %, à l’exception d’un point haut en 2012 (21,4 %).
On a la formule Intensité de la pauvreté (en %) = (Seuil de pauvreté – Niveau de vie médian de la population pauvre) / Seuil de pauvreté x 100. La moitié des personnes pauvres a un niveau de vie inférieur à 885 euros mensuels en 2019. Soit 19,7% = (1102-885)/1102.
Illustration de l’indicateur de l’intensité de la pauvreté
Au sein de l’Union européenne, la pauvreté a augmenté dans tous les pays depuis 2008, hormis en Finlande et en Lettonie. La hausse observée en France à la suite de la crise de 2008 se situe dans la moyenne des pays européens. Elle conserve ainsi l’un des taux de pauvreté les plus faibles de l’Union européenne.
Taux de pauvreté en France en % de la population totale (au seuil de 60%)
Lecture : en 2019, 14,6 % de la population vit sous le seuil de pauvreté monétaire.
Champ : France métropolitaine, personnes vivant dans un ménage dont le revenu déclaré est positif ou nul et dont la personne de référence n’est pas étudiante.
Sources : Insee-DGI, enquêtes Revenus fiscaux et sociaux rétropolées de 1996 à 2004 ; Insee-DGFiP-Cnaf-Cnav-CCMSA, enquêtes Revenus fiscaux et sociaux de 2005 à 2019.
La diminution du taux de pauvreté en 2019 résulte principalement de la progression plus forte que la médiane du niveau de vie des ménages les plus modestes, en raison de la baisse du chômage. La revalorisation de la prime d’activité bénéficie également aux ménages les plus modestes, mais dans une moindre mesure, 77 % des ménages bénéficiaires de la prime d’activité ayant un niveau de vie supérieur au seuil de pauvreté. Cette part a de plus augmenté de 7 points sur un an, sous l’effet de l’extension de la prime d’activité.
En 2019, la réforme de la réduction du loyer de solidarité de 2018 a le même impact sur le niveau du taux de pauvreté qu’en 2018. Si l’on considérait la réduction de loyer comme un gain en revenus et non comme une baisse des dépenses, la diminution du taux de pauvreté entre 2018 et 2019 serait donc inchangée.
Le taux de pauvreté reste plus élevé en 2019 qu’en 2007 (13,6%), malgré une stabilité entre 2011 et 2017. Le niveau de 2007 était lui‑même plus élevé que celui de 2004 (12,7%). Sur un champ restreint (hors revenus financiers non fiscalisés et allocation aux adultes handicapés), pour lequel on peut avoir davantage de recul, 2004 est même le point le plus bas depuis 1970 le taux de pauvreté ayant fortement baissé entre 1970 et le milieu des années 1980, notamment du fait de la chute du taux de pauvreté des retraités et des indépendants.
Taux de pauvreté à 60 % de 1970 à 2015 selon le statut d’activité de la personne de référence
b) La redistribution réduit le taux de pauvreté de 7,5 points
Avant redistribution, c’est‑à‑dire avant prise en compte des prestations monétaires et des prélèvements par les impôts directs, le taux de pauvreté est de 22,3 % en 2018 (graphique suivant) : les prestations sociales non contributives et les impôts directs permettent donc une réduction de 7,5 points du taux de pauvreté. Les prestations sociales contribuent pour 90 % à la baisse : les minima sociaux contribuent pour 1,8 point, les allocations logement pour 2,0 points, les prestations familiales pour 1,9 point et la prime d’activité pour 1,0 point. La réduction de la pauvreté du fait de la redistribution est particulièrement marquée pour les familles nombreuses, les moins de 20 ans et les personnes en situation de handicap.
L’intensité de la pauvreté avant redistribution aurait été de 39,8 % en 2018, contre 19,6 % après redistribution. Les prestations monétaires et les impôts directs réduisent ainsi de plus de 20 points l’intensité de la pauvreté en 2018. L’intensité de la pauvreté avant redistribution a fortement augmenté depuis la crise de 2008, avec une hausse de 7 points entre 2007 et 2018 (une légère tendance à la hausse préexistait depuis 2002, où un point bas de 31,6 % avait été atteint). En revanche, l’intensité de la pauvreté après redistribution est restée stable. Cette hausse de l’intensité de la pauvreté avant redistribution est directement liée à la baisse du niveau de vie avant redistribution des plus modestes depuis 2008.
Taux de pauvreté et intensité de la pauvreté avant et après redistribution
c) Les chômeurs, les jeunes et les familles monoparentales sont beaucoup plus exposés à la pauvreté
En 2018, les salariés ont un taux de pauvreté de 7,2 %, plus faible que toutes les autres situations sur le marché du travail. Le rôle protecteur de l’emploi salarié face à la pauvreté s’est même renforcé puisque le taux de pauvreté des salariés a diminué depuis 1996. Les indépendants sont beaucoup plus exposés au risque de pauvreté (17,7 %), même si ce risque a légèrement baissé depuis 1996.
37,8 % des chômeurs vivent sous le seuil de pauvreté en 2018, soit un taux plus de cinq fois plus élevé que pour les salariés. Le taux de pauvreté des chômeurs a augmenté entre le milieu des années 2000 et 2011 d’environ 5 points (le niveau de vie des chômeurs ayant notamment baissé entre 2009 et 2011, avant de diminuer. Le taux de pauvreté est encore plus élevé (50,8 %) pour les personnes vivant dans un ménage dont la personne de référence est au chômage.
Le taux de pauvreté des retraités (8,7 %) est très en dessous de la moyenne nationale et stable depuis 1996, car leurs revenus sont souvent supérieurs au seuil de pauvreté (pensions de retraites, ou minima vieillesse complétés par les allocations logement). Le taux de pauvreté des inactifs hors retraités est très élevé (32,7 % en 2018) et a fortement augmenté depuis 2004. Il fluctuait entre 21,7 % et 24,2 % entre 1996 et 2004 puis a augmenté régulièrement. Le taux de pauvreté des enfants est de 21,0 % en 2018, en légère hausse depuis le milieu des années 2000. Ce taux est supérieur au taux de pauvreté global, ce qui s’explique par le fait que les familles avec des enfants ont en moyenne un niveau de vie plus faible.
Les familles monoparentales sont la catégorie de ménages la plus exposée à la pauvreté : leur taux de pauvreté est de 35,3 % en 2018. Ce taux est en hausse par rapport à 2017 (+ 1,7 point). Ceci s’explique en partie par le fait qu’au sein des familles monoparentales, l’adulte est nettement plus souvent sans emploi ou dans la catégorie socioprofessionnelle des employés (profils plus exposés à la pauvreté) que dans l’ensemble de la population. Parmi les enfants vivant avec un seul parent et dont celui‑ci est sans emploi, 78 % sont pauvres.
Le taux de pauvreté est également plus élevé que la moyenne pour les personnes seules de moins de 65 ans (20,2 %) et pour les couples de trois enfants ou plus (23,1 %) et ces différences ne s’expliquent pas seulement par leur statut d’activité ou leur catégorie socioprofessionnelle. À l’inverse, le taux de pauvreté est le plus faible pour les couples sans enfant (7,1 %), avec un ou deux enfants (9,3 %), et les couples dont la personne de référence a plus de 65 ans (6,2 %).
Le risque de pauvreté décroit globalement avec l’âge : le taux de pauvreté des 18‑24 ans est le plus élevé (22,7 %), tandis que celui des personnes âgées de 65 à 74 ans est le plus faible (8,5 %11). Cependant, depuis 2012, le taux de pauvreté de ces derniers s’est accru de 3,1 points.
d) Le nombre de personnes pauvres vivant en famille monoparentale a augmenté d’un million entre 1996 et 2015
La réduction de la pauvreté qui s’est opérée entre 1996 et 2004 est particulièrement importante chez les familles nombreuses : le taux de pauvreté parmi les couples avec trois enfants ou plus passe de 27,8 % à 20,7 %, soit 883 000 personnes pauvres en moins dans ce type de ménage. Dans des proportions moins importantes, on constate une baisse du nombre de personnes pauvres parmi les autres types de couples et une hausse parmi les familles mono‑parentales (+ 135 000) et les personnes seules (+ 272 000). Le taux de pauvreté des jeunes adultes diminue fortement, passant de 24,3 % à 17,6 % pour les 18‑24 ans et de 12,7 % à 10,9 % pour les 25‑29 ans. Les 18‑24 ans, cohabitant souvent avec leurs parents, profitent de la baisse de la pauvreté au sein des familles nombreuses, et les 25‑29 bénéficient entre autres de la baisse du chômage des jeunes à la fin des années 1990 : en 1996, le taux de chômage des 20‑29 ans est de 15,7 %, contre 10,8 % en 2001, suivi d’un rebond à 13,9 % en 2004.
La forte augmentation de la pauvreté au début de la crise économique de 2008 qui a suivi se manifeste pour toutes les configurations familiales, mais plus particulièrement chez les familles monoparentales, qui deviennent de plus en plus nombreuses et dont le taux de pau‑vreté continue d’augmenter (+ 6,4 points sur la période) en lien avec l’augmentation du taux de chômage des employés pour dépasser 30 % en 2011. En 2011, on compte 637 000 per‑sonnes pauvres en famille monoparentale de plus qu’en 2004. Du fait de la dégradation de la situation de leurs parents, le plus souvent actifs (et donc sensibles à la hausse du chômage), les plus jeunes sont particulièrement touchés par l’augmentation de la pauvreté, avec une hausse du taux de pauvreté de 6,1 points chez les 18‑24 ans (+ 283 000 pauvres) et de 3,1 points (+ 484 000 pauvres) chez les moins de 18 ans.
Au total, de 1996 à 2015, la structure de la pauvreté a été grandement affectée par les évolutions des configurations familiales survenues pendant cette période. En 2015, 2,1 millions de personnes pauvres vivent en famille monoparentale, et 1,8 million dans un ménage composé d’un couple avec trois enfants ou plus. En 1996, on comptait respectivement 980 000 per‑sonnes en moins et 725 000 personnes en plus dans ces situations. Cette évolution est due conjointement à l’aggravation de la situation des familles monoparentales, dont le taux de pauvreté a augmenté de 5,4 points sur la période, et à l’augmentation de la fréquence de cette configuration familiale. L’effet inverse est observé pour les couples avec trois enfants ou plus, qui deviennent relativement moins fréquents dans la population, et dont le taux de pauvreté a diminué de 4,0 points sur la période.
5/ Vers une aggravation de la pauvreté en France ?
La flambée des prix en 2022-2023 , notamment alimentaires, a poussé nombre de Français (presque la moitié) à changer leurs habitudes de consommation et à faire des choix. Mais pour une frange de la population, l’inflation pousse tout simplement à la privation. L’Insee fait chaque année une enquête pour évaluer le nombre de personnes en situation de « privation matérielle ou sociale », c’est à dire qui ne peuvent pas couvrir les dépenses à au moins cinq éléments de la vie courante parmi treize. Début 2022, leur proportion était de 14% en France (soit 9 millions de personnes), c’est le plus haut niveau depuis la création de cet indicateur en 2013.
Le seuil de pauvreté monétaire fixé à 60 % du niveau de vie médian s’établit à 1 158 euros par mois en 2021 (tableau suivant). Il correspond à un revenu disponible mensuel de 1 158 euros pour une personne seule, 1 737 euros pour un couple, auxquels il faut ajouter 347 euros pour chaque enfant de moins de 14 ans et 579 euros pour les plus âgés. En 2021, 9,1 millions de personnes résidant en logement ordinaire vivent en dessous de ce seuil et le taux de pauvreté monétaire, c’est-à-dire la part de personnes pauvres dans la population, est de 14,5 % en France métropolitaine. La moitié des personnes en situation de pauvreté ont un niveau de vie inférieur à 924 euros par mois. Ce niveau est ainsi inférieur de 20,2 % au seuil de pauvreté, écart nommé intensité de la pauvreté, et retrouve ainsi un niveau proche de la moyenne de la décennie 2010.
Indicateurs de pauvreté
En 2021, le taux de pauvreté augmente de 0,9 point de pourcentage dans l’ERFS. L’intensité de la pauvreté croît pour sa part de 1,5 point, la baisse des niveaux de vie étant plus marquée parmi les ménages les plus modestes. La hausse du taux de pauvreté s’explique majoritairement par l’arrêt des aides exceptionnelles de solidarité Covid et par la non-reconduction de la majoration exceptionnelle de l’allocation de rentrée scolaire, ainsi que, dans une moindre mesure, par l’indexation de certaines prestations sociales sur l’inflation de l’année passée et la réforme des allocations logement. L’enquête Statistiques sur les ressources et conditions de vie des ménages (SRCV), autre enquête permettant de mesurer la pauvreté monétaire dans les différents pays européens ainsi que d’autres dimensions de la pauvreté comme les privations, conduit à un résultat proche : le taux de pauvreté augmente de 1 point de pourcentage en France métropolitaine selon SRCV.
En 2021, le taux de pauvreté des chômeurs augmente de 1,9 point pour atteindre 35,1 %, alors que celui des personnes en emploi croît de 0,5 point et s’établit à 7,4 % (tableau suivant). Ces évolutions interviennent dans un contexte de reprise de l’activité économique avec l’assouplissement des restrictions sanitaires, mais également de fin des mesures de prolongation des droits d’assurance chômage en milieu d’année. Parmi les personnes en emploi, le taux de pauvreté des indépendants baisse (-0,9 point), alors que celui des salariés augmente (+0,7 point). Le taux de pauvreté des indépendants reste toutefois nettement supérieur à celui des salariés (14,6 % contre 6,3 %). Cette approche monétaire de la pauvreté présente cependant des limites dans le cas des indépendants, dans la mesure où ils peuvent intégrer une partie de leurs dépenses de consommation (dépenses d’énergie ou de logement par exemple) dans les comptes de leur société ou de leur exploitation.
Niveau de vie et taux de pauvreté selon le statut d’activité
6/
a) Le taux de pauvreté
Hors UE, les pays utilisent des méthodes différentes pour calculer la pauvreté, ce qui rend peu pertinentes les comparaisons internationales de taux de pauvreté au‑delà du périmètre de l’Union européenne. Les pays de lʼUnion européenne ont en effet construit une enquête et une méthodologie statistique harmonisées (le dispositif EU‑SILC7 ) qui permet de produire des statistiques comparables au niveau européen .
En 2021, selon le dispositif statistique harmonisé au sein des pays européens (EU‑SILC), le taux de pauvreté de la France au seuil de 60 % du niveau de vie médian national s’élève à 15,6 % de la population vivant en logement ordinaire, contre 16,5 % en moyenne dans l’UE (tableau suivant). La France se situe dans une position intermédiaire. La Finlande, le Danemark et la Belgique ont des taux de pauvreté plus faibles, de même que certains pays d’Europe de l’Est (la Tchéquie, la Hongrie, la Slovénie et la Slovaquie). Cependant, la mesure de la pauvreté est difficilement comparable entre ces derniers et la France car les seuils de pauvreté, qui sont calculés pour chaque pays en référence au niveau de vie médian national, y sont très en‑deçà (plus de deux fois plus faibles en standards de pouvoir d’achat (SPA) pour la Hongrie et la Slovaquie). En Espagne et en Italie, le taux de pauvreté est nettement supérieur à celui de la France. En Allemagne et aux Pays‑Bas, il est plus faible d’environ 1 point.
Seuil et taux de pauvreté dans l’Union européenne en 2021
b)
L’approche d’Eurostat est en effet un peu différente de celle de l’Insee. Pour être considéré comme pauvre, 3 critères sont réunis (encadré suivant). Les statistiques de l’UE sur le revenu et les conditions de sont à la base des indicateurs classiques de pauvreté. À ce titre, l’analyse de la pauvreté en Europe examine :
La réduction de la pauvreté étant un objectif européen et mondial important, ces indicateurs sont étudiés très attentivement. L’ indicateur «à risque de pauvreté ou d’exclusion sociale » (AROP) , qui est l’indicateur principal pour surveiller la pauvreté dans l’UE, combine les trois concepts ci-dessus: 23,8% de la population de l’UE-27 étaient à risque de pauvreté ou d’exclusion sociale en 2015 (21,9% en 2018). Toutefois, on présente ici d’autres critères de pauvreté ou d’exclusion social par exemple sur les dépenses, les actifs ou l’épargne.
En 2022, 95,3 millions de personnes, soit 21,6 % de la population de l’UE, étaient exposées au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale. Cela signifie qu’elles se trouvaient dans au moins une des trois situations suivantes: exposées au risque de pauvreté après transferts sociaux; en situation de privation matérielle et sociale grave; ou appartenant à un ménage à très faible intensité de travail. Le risque le plus élevé de pauvreté ou d’exclusion sociale était celui de la pauvreté monétaire, à savoir les personnes exposées au risque de pauvreté après transferts sociaux: en 2022, sur les 72,7 millions de personnes se trouvant dans cette situation, 25,6 millions étaient exposées en même temps à au moins l’une des deux autres situations. Par rapport à un an plus tôt, le nombre de personnes exposées au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale avait diminué de 0,3 million de personnes en 2022.
95,3 millions de personnes dans l’UE étaient menacées de pauvreté ou d’exclusion sociale en 2022 (95,4 = 47,1 + 12,1 + 8,2 + 8,8 + 11,3 + 2,2+ 5,6)
Source : Eurostat
Le principal indicateur synthétique des trois mentionnés ci-dessus est la part de la population exposée (menacée) au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale en %. En 2022, parmi les États membres de l’UE, cette part était la plus élevée en Roumanie (34,4 %) et en Bulgarie (32,2 %). Au moins une personne sur quatre en Grèce, en Espagne, en Lettonie et en Estonie était exposée à ce risque. À l’autre extrémité, moins d’une personne sur six aux Pays-Bas, en Slovaquie, en Finlande, en Pologne et en Slovénie était exposée au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale, avec un minimum de 11,8 % enregistré en Tchéquie. Le ratio était de 21,6% dans l’UE (21,4% en 2023), à peine plus en France.
Personnes exposées au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale (en% de la population totale, 2022)
Part de la population exposée au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale en %
La privation matérielle correspond à l’incapacité forcée (par opposition au choix de ne pas le faire) de payer/se permettre des dépenses spécifiques. Les dépenses imprévues en sont un exemple. En 2022, près d’un tiers (31,5 %, à peine moins en France) de la population de l’UE vivant dans un ménage privé se trouvait dans l’incapacité de faire face à des dépenses imprévues. Cette part était 1,3 point de pourcentage plus élevée qu’en 2021 (ce qui peut, au moins en partie, être dû à la crise de l’augmentation du coût de la vie). Dans cinq États membres de l’Union, plus de deux cinquièmes de la population se trouvaient dans l’incapacité de faire face à des dépenses imprévues en 2022, avec un pic à 47,9 % en Roumanie. En revanche, une part relativement faible de la population se trouvait dans l’incapacité de faire face à de telles dépenses aux Pays-Bas (14,6 %
a) Le taux de risque de pauvreté
En 2018, le taux de pauvreté de la France s’élèverait à 13,6 % contre 16,8 % en moyenne en Europe avec une définition harmonisée pour les pays de l’UE (graphique suivant). Il fait partie des plus bas d’Europe, la France se situant quand même en 10e position. Certains pays nordiques (notamment Danemark et Finlande) et d’Europe de l’Est (notamment la République tchèque, la Slovénie ou la Slovaquie) ont des taux de pauvreté plus faibles. Cependant, les seuils de pauvreté de ce dernier groupe de pays sont très en‑deçà de celui de la France (plus de deux fois plus faible en standards de pouvoir d’achat (SPA) pour la Hongrie et la Slovaquie), et donc la mesure de la pauvreté est difficilement comparable. En effet, les seuils de pauvreté étant calculés pour chaque pays de façon relative par rapport au niveau de vie médian, le taux de pauvreté reflète la dispersion des niveaux de vie dans le bas de la distribution. Parmi les pays dont le seuil de pauvreté est supérieur à celui de la France, seuls les Pays‑Bas, l’Autriche et le Danemark ont un taux de pauvreté inférieur. À l’inverse de la France, certains pays cumulent fort taux de pauvreté et seuil de pauvreté très faible, comme les pays baltes, la Bulgarie et la Roumanie. En Espagne et en Italie, le taux de pauvreté est aussi relativement élevé, tandis que le seuil de pauvreté se situe à un niveau intermédiaire, proche de la moyenne des pays de l’UE.
Seuil et taux de pauvreté dans l’Union européenne en 2018
La crise de la COVID-19 a mis en évidence les inégalités systémiques dans les conditions de vie tant entre les États membres de l’UE qu’au sein de ceux-ci. Alors que certaines personnes ont eu la chance de continuer à travailler à temps plein depuis leur domicile (et, dans certains cas, ont même pu économiser plus de leurs revenus que d’habitude), de nombreuses personnes occupant un emploi précaire ou travaillant dans des secteurs/entreprises touchés par des confinements successifs se heurtaient à une baisse des revenus, au travail à temps partiel (régimes de chômage temporaire, licenciements temporaires/chômage technique) et au chômage. En effet, l’impact asymétrique de la crise a aggravé les inégalités de revenus existantes dans de nombreux cas: certains groupes de la société sont beaucoup plus durement touchés que d’autres, par exemple les personnes âgées, les jeunes, les parents de jeunes enfants (en particulier les mono-parents), les personnes à faible revenu, les femmes, les migrants ou les personnes handicapées.
La situation est mitigée en 2021, étant donné que la proportion de personnes exposées au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale a continué d’augmenter parmi les personnes vivant dans les villes et les banlieues, est restée presque inchangée parmi les personnes vivant dans les villes, alors qu’elle a chuté à un rythme relativement rapide parmi les personnes vivant dans les zones rurales. En conséquence, l’écart entre les taux de risque de pauvreté ou d’exclusion sociale selon le degré d’urbanisation a convergé vers une marge la plus étroite en 2021 (graphique suivant).
Parmi les États membres de l’UE, les risques de pauvreté les plus élevés pour les personnes vivant dans les villes ont été enregistrés en Autriche (20,6 %), en Belgique (20,4 %) et en Espagne (20,0 %). À l’autre extrémité de l’échelle, moins de 1 personne sur 10 vivant dans les villes de Hongrie, Pologne, Finlande, Irlande, Tchéquie, Roumanie et Slovaquie (données 2020) était exposée au risque de pauvreté monétaire. Dans 12 États membres, plus d’un cinquième de la population rurale était menacée de pauvreté, cette part culminant à plus de trois dixièmes en Bulgarie (31,5 %) et en Roumanie (38,1 %). La Tchéquie était le seul État membre à indiquer que moins d’une personne sur 10 vivant dans des zones rurales était exposée au risque de pauvreté. En France les taux dans les villes et banlieues étaient proches de la moyenne de l’UE, nettement plus bas dans les zones rurales (14,6% contre 22,5% dans l’UE).
Personnes exposées au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale selon le degré d’urbanisation, UE, 2015-2021, (%)
En 2021, le taux de risque de pauvreté ou d’exclusion sociale de l’UE était le plus élevé pour les personnes vivant dans les zones rurales (22,5 %), suivie par celles vivant dans les villes (21,9 %) et dans les villes et banlieues (20,8 %). Bien que ces derniers taux pour l’UE se situaient dans une fourchette relativement étroite, il y a eu une variation beaucoup plus large observée dans plusieurs pays. En France ces pourcentages étaient respectivement de 14,6%, 22,4% et 20,7% en 2021.
Indicateurs de pauvreté ou d’exclusion sociale par degré d’urbanisation, 2021 (%)
Le taux de risque de pauvreté monétaire (après transferts sociaux) est l’un des trois critères utilisés pour identifier les personnes à risque de pauvreté ou d’exclusion sociale. Il identifie la proportion de la population qui vit dans un ménage dont le revenu annuel disponible équivalent est inférieur à 60 % de la médiane nationale (un seuil fixé séparément pour chaque État membre de l’UE). En tant que tel, cet indicateur fournit une mesure de revenus relativement faibles par rapport aux autres résidents de l’État membre; cela n’implique pas nécessairement un faible niveau de vie global.
En 2016, le taux de risque de pauvreté de l’UE par degré d’urbanisation a culminé à 20,4 % pour les personnes vivant dans les zones rurales ; le taux le plus bas cette année-là (15,9 %) a été enregistré pour les habitants des villes et des banlieues, soit un écart de 4,5 points de pourcentage (graphique suivant). Au cours des cinq années qui ont suivi, on a observé une réduction progressive du risque de pauvreté monétaire parmi les personnes vivant dans les zones rurales, tandis que le taux pour les personnes vivant dans les villes et les banlieues a lentement diminué avant une inversion du développement en 2021 (quand il est revenu au-dessus de son niveau de 2016). Au terme de cette période, l’écart entre les risques les plus élevés et les plus faibles de pauvreté monétaire est de 2,1 points (moins de la moitié de ce qu’il était en 2016).
Taux de risque de pauvreté par degré d’urbanisation, UE, 2015-202 en %
b) Taux de privation matérielle et sociale sévère Le taux de privation matérielle et sociale
Le deuxième critères utilisé pour identifier les personnes à risque de pauvreté ou d’exclusion sociale, fournit des informations sur la part de la population qui ne pouvait pas se permettre de payer (plutôt que ne voulait pas ou n’avait pas besoin) au moins 7 des 13 articles étudiés. En 2021, le taux de privation matérielle et sociale de l’UE était de 6,3 %, ce qui représente une baisse de 0,5 point par rapport à l’année précédente.
La grande majorité des États membres de l’UE avaient des taux de privation matérielle et sociale grave en 2021 inférieurs à 10,0 % (6,6% en France). Ce schéma s’est généralement répété dans les trois degrés d’urbanisation, les seules exceptions étant :
Il existait une sorte de clivage géographique, dans la mesure où la proportion la plus élevée de personnes confrontées à une privation matérielle et sociale grave dans les États membres de l’est de l’UE concernait souvent les personnes vivant dans les zones rurales, tandis que dans les États membres de l’ouest, le risque le plus élevé de privation matérielle et sociale grave était souvent enregistré pour les personnes vivant dans les villes.
c) Personnes vivant dans des ménages à très faible intensité de travail
Les critères finaux utilisés pour identifier les personnes exposées au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale sont la proportion de personnes âgées de 0 à 64 ans vivant dans des ménages où les adultes âgés de 18 à 64 ans (à l’exclusion des étudiants et des retraités) n’ont pas travaillé plus de 20 % de leur potentiel total au cours des 12 mois précédents. Au sein de l’UE, 29,3 millions de personnes répondaient à ces critères en 2021, soit 8,9 % de la population âgée de moins de 65 ans. La proportion de personnes vivant dans des ménages à très faible intensité de travail était plus élevée pour les personnes vivant en ville (10,6 %) que pour les personnes vivant dans les villes et les banlieues (8,5 %) ou dans les zones rurales (6,9 %).
Au cours de la période 2015-2021, la proportion de personnes âgées de 0 à 64 ans vivant dans des ménages à très faible intensité de travail a généralement suivi une trajectoire descendante jusqu’en 2019 pour les trois degrés d’urbanisation. Par la suite, des évolutions contrastées ont été observées: pour les personnes vivant dans les villes, la part a augmenté au cours des années consécutives; pour les habitants des villes et des banlieues, il n’y a pratiquement pas eu de changement en 2020, suivi d’une part croissante en 2021; pour les personnes vivant dans les zones rurales, la part a continué de diminuer en 2020, alors qu’il n’y avait pratiquement aucun changement en 2021. En conséquence, la différence de parts entre les personnes vivant dans les villes et les personnes vivant dans les zones rurales s’est élargie à 3,7 points de pourcentage en 2021 (sa plus grande marge au cours de la période considérée).
Conformément aux autres critères qui composent le taux de risque de pauvreté ou d’exclusion sociale, l’analyse de la part des personnes âgées de 0 à 64 ans vivant dans des ménages à très faible intensité de travail a fait l’objet d’une scission géographique. En 2021, de nombreux États membres de l’UE de l’ouest de l’UE ont enregistré leur part la plus élevée pour les personnes vivant dans les villes, tandis que les pourcentages les plus élevés dans la plupart des États membres de l’est de l’UE ont été enregistrés pour les personnes vivant dans les zones rurales.
– En Belgique, en Autriche et en Allemagne, la part des personnes vivant dans des ménages à très faible intensité de travail était supérieure de plus de 8,0 points de pourcentage pour les personnes vivant dans les villes que pour les personnes vivant en milieu rural.
– En revanche, la proportion de personnes vivant dans des ménages à très faible intensité de travail était considérablement plus élevée pour les personnes vivant dans les zones rurales (que pour les personnes vivant dans les villes) en Lituanie (6,6 points de pourcentage) et en Bulgarie (9,6 points de pourcentage).
d) Faibles niveaux de dépenses
Tout comme le revenu, la consommation peut également être utilisée comme critère pour définir qui est une «personne vulnérable». La vulnérabilité peut être déterminée sur la base des dépenses de consommation plutôt que du revenu disponible des ménages, les dépenses équivalentes remplaçant le revenu équivalent. Par conséquent, les personnes dont les dépenses équivalentes sont inférieures à 60% des dépenses équivalentes médianes sont considérées comme souffrant de faibles niveaux de dépenses. Les chiffres peuvent ensuite être comparés sur la base du revenu disponible et ceux basés sur les dépenses (graphique suivant). Les seuils de risque de pauvreté pour le revenu peuvent être trouvés ici pour chaque pays.
Proportion de la population qui souffre de pauvreté monétaire ou de faibles niveaux de dépenses (« expenditure ») «vers 2015 » en % de la population totale
source : Eurostat
Dans de nombreux pays, la proportion d’individus souffrant de faibles niveaux de dépenses est très similaire à la proportion d’individus sous le seuil de l’AROP basé sur le revenu. Dans certains pays, cependant, l’utilisation de l’approche des dépenses peut modifier les conclusions auxquelles on est parvenu. Par exemple, dans des pays comme l’Allemagne, la Bulgarie et la Roumanie, la proportion de personnes à revenu équivalent dans le cadre du AROP était significativement plus élevée que le taux de personnes vivant avec des niveaux de dépenses inférieurs au seuil en 2015. Certes, les dépenses de consommation fluctuent moins s que le revenu et pourraient donc être un indicateur plus stable.
e) Vulnérabilité basée sur les actifs
Un troisième aspect de la pauvreté consiste en la richesse accumulée détenue ou non par un ménage. Les ménages ont tendance à accumuler de la richesse par mesure de précaution, utilisant leurs actifs comme tampon pour lisser les variations de revenu au fil du temps. Ainsi, les ménages à risque de vulnérabilité liée aux actifs » sont définis comme les ménages dont le total des actifs ne permet pas à ses membres de rester au-dessus du seuil AROP (60% du revenu médian équivalent) plus longtemps qu’une période donnée. En d’autres termes, dans l’hypothèse où le ménage cesserait de percevoir des revenus, sa richesse (utilisée pour financer les besoins de ses membres) sera épuisée presque entièrement après une période de x mois.
Les pays avec les taux les plus élevés de ménages à risque de vulnérabilité basée sur les actifs ne sont pas les mêmes que ceux avec les taux de AROP les plus élevés: en Irlande, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Lettonie et en Finlande, plus de 15% des ménages étaient à risque d’actifs de vulnérabilité (après un mois) en 2014, ce qui signifie qu’ils tomberaient sous le seuil de pauvreté monétaire après seulement un mois sans revenu . Les pays ayant les taux les plus bas de vulnérabilité liée aux actifs sont ceux qui ont le taux d’accession à la propriété le plus élevé. Ceci illustre l’un des principaux inconvénients de cet indicateur: le concept de richesse ne repose pas uniquement sur les liquidités, mais inclut les objets de valeur et les biens immobiliers. Ainsi, l’indicateur se traduira presque systématiquement par le fait que les propriétaires ne font pas partie des «vulnérables», malgré les difficultés qu’ils peuvent rencontrer pour vendre leurs actifs immobiliers pour financer leurs besoins de consommation. Néanmoins, les propriétaires bénéficient implicitement d’une source de revenus supplémentaire, car ils utilisent leur logement pour se loger, comme s’ils étaient à la fois propriétaire et locataire. Les comptes nationaux ont introduit des loyers imputés précisément pour tenir compte de cette source de revenus.
Proportion de ménages exposés au risque de vulnérabilité liée aux actifs en fonction de la période considérée. en % des ménages
source : Eurostat
f) Proportion de ménages dont les dépenses sont supérieures au revenu en % des ménages
Pour comprendre la dynamique des inégalités de revenus, il est essentiel de décrire le processus d’accumulation d’actifs et donc les comportements d’épargne. Les flux d’épargne peuvent être définis comme le résidu entre le revenu et la consommation, c’est-à-dire ce qui reste du revenu à la fin de la période après les dépenses de consommation. Si le revenu est supérieur à la consommation, ce résidu est investi dans des actifs (financiers ou réels) et constituera une partie de la richesse détenue par le ménage. Si la consommation est supérieure au revenu, le ménage devra financer sa consommation non seulement par le revenu, mais aussi en contractant des dettes ou en vendant des actifs.
Le fait qu’un ménage ne puisse pas financer entièrement sa consommation à partir de ses revenus peut être une bonne indication des difficultés financières. Comme le montre le graphique, la proportion de ménages dont les dépenses annuelles sont supérieures à leur revenu (ménages en dés-épargne ») varie considérablement d’un pays à l’autre, même si cet indicateur doit être interprété avec prudence, car il peut être affecté par des erreurs de mesure significatives.
Proportion de ménages dont les dépenses sont supérieures au revenu en % des ménages
source : Eurostat
De même, un taux d’épargne proche de zéro suggère que le ménage est incapable d’épargner et est plus susceptible de limiter ses dépenses, ne répondant ainsi pas à tous ses besoins. Les taux d’épargne sont calculés en divisant l’épargne (la différence entre le revenu disponible total et la consommation totale à la fin de l’année X) par le revenu disponible total du ménage au cours de la même année. Le taux d’épargne médian des ménages (lorsque les ménages sont classés en fonction de leur taux d’épargne, la moitié est au-dessus de ce taux et l’autre en dessous) peut être considéré comme un autre indicateur de distribution. En 2015, par exemple, la moitié des ménages allemands ont pu épargner au moins 20% de leur revenu annuel (contre 14% en 2010), mais la situation des ménages en Grèce et en Roumanie était plus difficile, comme plus de la moitié ne financent pas leurs dépenses sur leurs revenus (graphique suivant).
Taux d’épargne médians (%) des ménages «autour de 2010» et «autour de 2015»
source : Eurostat
g) Inégalité des revenus, des dépenses, de l’épargne et de la richesse des ménages
Le coefficient de Gini, ou indice de Gini, est une mesure statistique permettant de rendre compte de la répartition d’une variable (salaire, revenus, patrimoine) au sein d’une population. Autrement dit, il mesure le niveau d’inégalité de la répartition d’une variable dans la population. Le coefficient de Gini est l’indicateur le plus couramment utilisé pour exprimer l’inégalité.
Les pays les plus égalitaires en terme de dépenses ont un coefficient de l’ordre de 0,2 (Danemark, Suède, Tchéquie,.. etc.). Les pays les plus inégalitaires en terme d‘épargne ont un coefficient de 0,6 (Grèce, Roumanie, Croatie, etc.). En France, le coefficient de Gini en terme de dépenses est de 0,33 en 2015. La richesse est en général bien plus inégalement répartie que le revenu ou la consommation (dépenses).
Le graphique suivant montre les coefficients Gini pour le revenu, les dépenses, l’épargne et la richesse des ménages pour les pays européens en 2015. Les coefficients varient entre 27 et 41 pour la consommation et entre 32 et 46 pour le revenu, mais ils vont de 49 à 75 pour la richesse et même plus élevé pour les économies.
A noter que La Chine, malgré sa croissance, demeure un pays inégalitaire avec un indice s’élevant à 0,47 en 2010 selon le Centre d’enquête et de recherche sur les revenus des ménages (institut dépendant de la banque centrale chinoise).
Coefficients de Gini pour le revenu (« income ») , les dépenses (« expenditue »), l’épargne (« saving ») et la richesse (« wealth ») vers 2015
source : Eurostat
h) Interaction entre les indicateurs
Outre l’exercice comptable du calcul de l’épargne sur le revenu et la consommation au niveau des ménages, il est également intéressant de se concentrer sur l’interaction entre les différents indicateurs de vulnérabilité décrits ci-dessus. En particulier, les individus pauvres selon la définition habituelle basée sur le revenu et en même temps vulnérables par rapport à leurs niveaux de dépenses peuvent être intéressants, car ils combinent plusieurs dimensions de la pauvreté. La figure 6 montre l’intersection entre l’indicateur AROP habituel et l’indicateur basé sur la consommation; le segment vert représente la proportion de la population affectée par les deux types de vulnérabilité. Cette proportion est supérieure à 10% pour sept États membres (Espagne, Croatie, Roumanie, Grèce, Estonie, Lettonie et Bulgarie) en 2015. De même, il est intéressant d’observer comment la proportion de personnes vulnérables évolue en tenant compte de la consommation. Dans de nombreux pays, plus d’une personne sur quatre est soit menacée de pauvreté en raison de faibles revenus, soit souffre de faibles niveaux de dépenses, en Estonie, cela s’applique à près d’une personne sur trois.
Intersection entre la pauvreté basée sur le revenu et les faibles niveaux de dépenses «vers 2015» : proportion de la population ayant un faible revenu ou ayant de faibles niveaux de dépenses ou les deux
Source : Eurostat
En revanche, seule une petite proportion de ménages » dés-épargne » et souffre simultanément de faibles niveaux de dépenses (graphique suivant), ce qui signifie que leur consommation ne tombe pas en dessous de 60% de la consommation médiane de leur pays bien que leurs revenus ne couvre pas leurs dépenses. En 2015, les proportions les plus élevées de ménages combinant les deux types de vulnérabilité ont été observées en Roumanie (8,9%), en Croatie (5,9%), en Grèce (5,7%) et en Bulgarie (5,2%).
Intersection entre les ménages en dés-épargne et les faibles niveaux de dépenses «vers 2015» : proportion de ménages qui dés-épargnent ou qui souffrent de faibles niveaux de dépenses ou les deux
source : Eurostat
i) Dépenses de consommation par revenu
En plus des indicateurs ci-dessus, l’ensemble de données conjoint sur le revenu et la consommation des ménages peut être utilisé de manière très simple pour montrer les distributions de cas de consommation médiane sur différents groupes de revenus (graphique suivant). On observe une forte augmentation de la consommation avec le revenu disponible, qui est particulièrement prononcée en haut de la distribution dans la plupart des pays. La parité de pouvoir d’achat de monnaie (PPA) rend les distributions comparables entre les pays, bien que toute comparaison entre pays doive garder à l’esprit que la méthode d’appariement statistique repose sur des variables différentes pour chaque pays et que les années de référence diffèrent légèrement.
Consommation médiane par décile de revenu ‘vers 2015’, en 1000 standard de pouvoir d’achat (1000 PPA)
source : Eurostat
La « prospérité agrégée à consommer » est définie comme le pourcentage du revenu dépensé en moyenne en biens et services. Il est dérivé en utilisant l’approche des comptes nationaux pour le secteur des ménages, dans laquelle tous les revenus des ménages et les flux de consommation sont agrégés au niveau national. Ensuite, la dépense de consommation agrégée est divisée par le revenu agrégé. L’inverse de la prospérité agrégée à consommer est le taux d’épargne agrégé, qui reflète le comportement d’épargne de la population dans son ensemble. Le graphique suivant montre comment les groupes à faible revenu doivent dépenser une part considérablement plus élevée de leur revenu en biens et services que les groupes à revenu plus élevé, les empêchant ainsi d’épargner une partie de leur revenu, voire de dés-épargner comme c’est le cas pour le premier quintile de revenu dans presque tous les pays de l’UE.
« Prospérité agrégée à consommer » par quintile de revenu (%) vers 2015», pourcentage du revenu des ménages consacré en moyenne aux biens et services
source : Eurostat
j) Enfants menacés de pauvreté ou d’exclusion sociale
En 2023, 24,8 % des enfants (âgés de moins de 18 ans) dans l’UE étaient exposés au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale, contre 20,6 % des adultes (âgés de 18 ans et plus). Les données indiquent que plus le niveau d’éducation des parents est élevé, plus la proportion d’enfants exposés au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale est faible: 61,8 % des enfants dont les parents avaient un faible niveau d’éducation étaient à risque. 10,7 % des enfants dont les parents avaient un niveau d’éducation élevé étaient à risque.
En 2023, la proportion d’enfants exposés au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale dans l’UE était de 24,8 %. Au niveau national, les taux les plus élevés ont été observés en Roumanie (39,0 %), en Espagne (34,5 %) et en Bulgarie (33,9 %). En revanche, les taux les plus faibles ont été enregistrés en Slovénie (10,7 %), en Finlande (13,8 %) et aux Pays-Bas (14,3 %).
Enfants de moins de 18 ans menacés de pauvreté ou d’exclusion sociale, 2023 en %
En 2023, les enfants âgés de moins de 18 ans dans l’UE étaient plus exposés au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale (24,8 %) que les adultes âgés de 18 ans et plus (20,6 %), ce qui représente une différence de 4,2 pp (graphique 2). Dix-huit pays de l’UE ont présenté une situation similaire, les différences les plus importantes étant enregistrées en Slovaquie et en Espagne (9,6 pp pour chacun), en Roumanie (8,6 pp) et en France (7,8 pp). Parmi les pays où les adultes sont exposés à un risque de pauvreté ou d’exclusion sociale plus élevé que les enfants, les différences les plus importantes ont été observées en Estonie, en Lettonie et en Croatie, les adultes dépassant le risque pour les enfants de 7,3, 6,6 et 4,1 pp, respectivement.
En 2023, 61,8 % des enfants de l’UE vivant avec des parents ayant au maximum un niveau d’enseignement secondaire inférieur ( CITE niveaux 0 à 2) étaient exposés au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale. Pour ceux dont les parents ont obtenu un diplôme de l’enseignement supérieur ( CITE niveaux 5 à 8), la proportion était de 10,7 % (figure 3). Il en a résulté un écart de risque de 51,1 points de pourcentage (pp) en fonction du niveau d’éducation des parents.
Au niveau national, l’écart était supérieur à 50,0 pp dans 15 pays. Elle allait de 21,9 pp en Pologne, 35,8 pp à Malte et 36,6 pp en Lituanie à 72,5 pp en Hongrie, 73,5 pp en Roumanie et 74,9 pp en Bulgarie.
Enfants âgés de moins de 18 ans menacés de pauvreté ou d’exclusion sociale, analysés en fonction du niveau d’éducation le plus élevé atteint par leurs parents, 2023 (%)Enfants de moins de 18 ans menacés de pauvreté ou d’exclusion sociale, 2023 en % de la population de moins de 18 ans
Avant de reprendre les études de l’Insee et donner quelques résultats, il est utile de rappeler la méthode de calcul de l’estimation de la consommation des ménages par catégories de revenus.
1/ les sources
Les enquêtes auprès des ménages permettent d’enrichir la description de leur revenu et de leur consommation et d’étudier les disparités entre les différents types de ménages en allant au-delà des moyennes calculées par les comptes nationaux. Elles permettent également d’enrichir la description de leur revenu et de leur consommation, en répartissant entre les catégories de ménages chaque composante du revenu ou de la consommation.
Chaque année, les comptes nationaux établissent, dans le compte des ménages, le niveau et la composition du revenu disponible brut et de la dépense de consommation. Depuis 2009, l’Insee a publié plusieurs décompositions de ce compte selon différentes catégories de ménages. Ces travaux, qui ont ensuite été conduits aussi à l’étranger, consistent à répartir entre les groupes sociodémographiques (selon le niveau de vie, l’âge, la catégorie socioprofessionnelle, etc.) chaque composante du revenu ou de la consommation en s’appuyant sur les enquêtes de l’Insee auprès des ménages portant sur les thèmes des revenus et de la consommation. L’étude portant sur 2017 actualise les études antérieures et présente des chiffres cohérents avec la nouvelle base 2014 des comptes nationaux. La méthodologie est aussi améliorée sur plusieurs points. En particulier désormais, le calcul des profils de revenus s’appuie sur les seules enquêtes Revenus fiscaux et sociaux (2011 à 2017), et pour les profils de consommation, sur les enquêtes Budget de famille (2011 et 2017). La meilleure comparabilité temporelle des données d’enquêtes accroît la fiabilité des évolutions. Le champ géographique est la France. La décomposition ne porte cependant que sur les ménages vivant en « logement ordinaire », c’est-à-dire ne vivant pas dans une communauté (cités universitaires, Ehpad, couvents, prisons, etc.) ; les enquêtes utilisées ne portent en effet que sur ces ménages. Les agrégats répartis par la décomposition sont corrigés en conséquence et diffèrent légèrement des agrégats figurant dans le compte des ménages.
Chaque composante du revenu disponible et de la dépense de consommation est répartie par catégorie de ménages, selon les étapes suivantes :
Ainsi, pour chaque composante du revenu disponible et de la dépense de consommation, une décomposition de l’agrégat correspondant de la comptabilité nationale par catégorie de ménages est obtenue. La somme de ces composantes fournit pour chaque catégorie son revenu disponible total et sa consommation ; son épargne et son taux d’épargne sont déduits.
La difficulté de l’exercice consiste à traiter au mieux des différences de champs et de concepts entre les comptes nationaux et les enquêtes.
a) Différences de champs
La comptabilité nationale couvre l’ensemble de la population résidente en France alors que les enquêtes mobilisées ne couvrent que les ménages dits « ordinaires », et non ceux vivant en collectivités (foyers de travailleurs, maisons de retraite, etc.). Une correction des montants globaux des comptes est réalisée pour se ramener au champ des enquêtes.
Les services d’intermédiation financière indirectement mesurés (Sifim), correspondant aux marges de taux sur dépôts et crédits prélevées par les banques, ne sont pas mesurés par les enquêtes. Les Sifim du revenu disponible et de la consommation mesurés par la comptabilité nationale sont donc exclus.
b) Différences de concepts
Le revenu disponible brut (RDB) tel qu’il est défini en comptabilité nationale n’est pas collecté tel quel dans les enquêtes. Celles-ci ne couvrent, en effet, pas certaines de ses composantes. Par exemple les cotisations sociales ou bien la fraude et le travail au noir. Par ailleurs, le RDB en comptabilité nationale comprend également les loyers dits « imputés » (loyers que les propriétaires de leur résidence sont réputés se verser à eux-mêmes).
Pour classer chaque ménage d’une enquête dans son quintile de revenu disponible brut, ce dernier doit donc être estimé. Ce revenu est d’abord calculé pour les ménages interrogés par l’enquête sur les revenus fiscaux et sociaux (ERFS). Les revenus les moins bien couverts (revenus financiers) font l’objet d’estimations économétriques et de recalage sur les données macroéconomiques. Les composantes manquantes (intérêts sur les crédits de consommation, revenus de la fraude, du travail au noir etc.) sont réparties sur la base d’hypothèses. Une équation explicative de ce revenu disponible a ensuite été estimée économétriquement, sur des variables communes aux différentes enquêtes. Les coefficients estimés associés aux variables de l’équation sont ensuite utilisés pour imputer un revenu disponible au sens de la comptabilité nationale dans l’enquête Budget de famille (pour 2011). Ainsi, un classement des ménages dans le quintile de RDB homogène entre les deux enquêtes est obtenu.
2/ Les définitions
Dans les enquêtes sur les Revenus fiscaux et sociaux (ERFS), le ménage désigne l’ensemble des occupants d’une résidence principale, qu’ils aient ou non des liens de parenté. Le ménage peut ne comprendre qu’une seule personne. Ne font pas partie des ménages les personnes vivant dans des habitations mobiles (y compris les mariniers et les sans‑abri) ou dans des communautés (foyers de travailleurs, maisons de retraite, résidences universitaires, etc.).
Les unités de consommation (UC) sont calculées selon l’échelle d’équivalence dite de l’OCDE modifiée, qui attribue 1 UC au premier adulte du ménage, 0,5 UC aux autres personnes de 14 ans ou plus et 0,3 UC aux enfants de moins de 14 ans.
L’unité de standard de pouvoir d’achat (SPA) permet d’exprimer dans une unité commune les pouvoirs d’achat des différentes monnaies. Elle est calculée à partir de la parité de pouvoir d’achat (PPA), rapport entre la quantité d’unités monétaires nécessaire dans des pays différents pour se procurer un même panier de biens et de services (page Parités de pouvoir d’achat).
3/ La consommation des ménages peut être décomposée en trois grands ensembles : du plus sensible au moins sensible à une variation de revenu [3].
Cette typologie s’appuie à la fois sur le concept de dépenses pré-engagées, élaboré et utilisé par l’Insee depuis 2007, et sur une expertise a priori de la flexibilité ou au contraire de l’inertie de certaines consommations. Comme pour toute classification de ce type, les choix retenus ne sont sans doute pas intuitifs au même degré pour tout le monde. Mais les estimations de sensibilité de ces consommations au revenu présentées dans la suite de ce dossier permettent cependant d’en évaluer la pertinence empirique des impôts directs est la plus élevée (27 %) chez les ménages les plus aisés, qui contribuent pour près des deux tiers à l’impôt total. Les prestations reçues par ces ménages représentent quant à elles 28 % du RDB, ce qui reste assez proche des 35 % moyens : en montant, du fait en particulier des prestations retraites, les prestations reçues par les ménages les plus aisés sont deux fois plus élevées que celles des ménages les plus modestes. Pour les 20 % les plus modestes, les transferts nets représentent plus de la moitié du RDB, alors que, pour les autres ménages, ce sont les revenus d’activité qui représentent la plus grande partie du RDB.
Choix de classification des dépenses de consommation finale des ménages.
Depuis 1960, la structure de la consommation a évolué. Alors que les dépenses pré-engagées ne représentaient que 15 % de la dépense de consommation finale des ménages, elles atteignent, en 2016, un peu plus de 34 % (graphique suivant). Cette augmentation est principalement due au poids croissant des dépenses liées au logement qui est expliqué à la fois par la hausse des loyers (effet-prix) et par la hausse de la qualité et de la quantité des logements (effet-volume) (voir page Consommation des ménages). De façon complémentaire, les parts des dépenses compressibles et peu compressibles ont diminué et représentent respectivement 42 % et 24 % de la dépense de consommation finale en 2016, contre 52 % et 33 % en 1960. Néanmoins, depuis le milieu des années 1980, le poids des dépenses peu compressibles est resté stable, après une période de baisse du poids de l’alimentation liée à la saturation des besoins de la majeure partie de la population. Enfin, la baisse tendancielle des poids des meubles, des boissons alcoolisées et tabac et de l’habillement-chaussures explique la diminution du poids des dépenses compressibles. Au total, la structure de la consommation des ménages s’est déformée vers des postes de dépenses relativement moins arbitrables et donc moins sensibles aux variations de revenu qu’auparavant.
Structure de la dépense de consommation finale des ménages par type de dépenses depuis 1960 en %
À court terme, une part des variations de la consommation des ménages peut être expliquée par le niveau de contrainte de la dépense, une autre par des chocs exogènes.
À très court terme, les fortes variations de la consommation sont dues aux dépenses les plus sensibles au revenu : c’est-à-dire les dépenses compressibles. Suivent, dans une moindre mesure, les dépenses dites peu compressibles. Enfin, les dépenses pré-engagées, hors dépenses énergétiques du logement, présentent par construction la plus grande stabilité infra-annuelle. Plus précisément, les dépenses compressibles contribuent pour 65 % à la variabilité des dépenses totales de consommation tandis que les dépenses pré-engagées hors énergie y participent à hauteur de 2,3 % seulement. Toutefois, cette part s’élève à 17 % lorsque les dépenses d’énergie liées au logement sont inclues. Enfin, les dépenses peu compressibles, quant à elle, contribuent à hauteur de 15 % à cette variabilité.
4/ Quelques résultats en 2017
a) Les dépenses pré-engagées
Il apparaît que les dépenses pré-engagées ont un poids plus important dans la consommation des ménages les plus modestes, essentiellement du fait des dépenses de logement. Au niveau agrégé, la capacité d’arbitrage des ménages entre consommation et épargne est donc en partie affaiblie lorsque le panier moyen est essentiellement composé de dépenses pré-engagées ou peu compressibles. À l’inverse, pour les dépenses compressibles, voire peu compressibles, un surcroît de revenu peut être plus fortement consommé que pour les catégories de ménages plus aisés
Le poids des dépenses pré-engagées (essentiellement liées au logement) est assez homogène selon le RDB/UC. En revanche, hors loyers imputés (considérés comme une dépense en comptabilité nationale, mais non ressentis comme telle par les ménages puisqu’il ne s’agit pas d’une dépense effective), il décline nettement quand le niveau de vie progresse. Il en est de même pour les dépenses peu compressibles, si bien que, pour les ménages les plus modestes, les choix de consommation sont plus contraints et la part des dépenses compressibles est réduite : en 2017, rapportées à l’ensemble des dépenses hors loyers imputés, elles représentent 35 % de leur consommation, contre 50 % pour les plus aisés (graphique suivant). Les ménages les plus jeunes ont un revenu plus faible que la moyenne, mais une part des dépenses compressibles plus élevée que la moyenne (47 % contre 43 % en 2017), si bien que leurs choix de consommation sont moins contraints. En revanche, pour les ménages retraités agriculteurs, ouvriers et employés, la part des dépenses compressibles est très faible (entre 30 % et 34 %), en raison notamment du poids important de leurs dépenses aliment.
Composition de la dépense de consommation des ménages en 2017 selon les quintiles de RDB/UC et les catégories d’âge en % de la dépense de consommation totale
b) Plus de revenus du patrimoine pour les ménages les plus aisés, plus de transferts pour les plus modestes
En 2017, le revenu disponible moyen par unité de consommation (UC) est de 29 954 euros, soit environ 2 500 euros par mois (tableau suivant). Cette moyenne cache d’importantes disparités entre les ménages des différents quintiles de niveau de vie, classiquement défini comme le revenu disponible brut par unité de consommation (RDB/UC). Le revenu moyen par UC du premier quintile (les 20 % les plus modestes) est de 1 100 euros par mois, contre 4 700 euros pour celui du dernier quintile (les 20 % les plus aisés).
Décomposition du revenu disponible brut des ménages selon les quintiles de RDB/UC en 2017
En ne tenant compte que des revenus nets d’activité et des revenus du patrimoine, l’écart entre le premier et le dernier quintile serait de 1 à 10. La prise en compte des transferts nets le réduit à 4,3.
La structure du revenu disponible brut varie fortement entre les différents quintiles. Pour les ménages les plus aisés, les revenus d’activité indépendante et les revenus financiers pèsent beaucoup plus : respectivement 14 % et 11 % du RDB de ces ménages, contre au plus 2 % et 3 % pour les autres ménages (tableau suivant).
Pour les plus aisés, la part des transferts nets est aussi bien plus faible (4 %) que chez les autres ménages (où, selon le quintile, elle est comprise entre 16 % et 57 %) : en effet, celle des impôts directs est la plus élevée (27 %) chez les ménages les plus aisés, qui contribuent pour près des deux tiers à l’impôt total. Les prestations reçues par ces ménages représentent quant à elles 28 % du RDB, ce qui reste assez proche des 35 % moyens : en montant, du fait en particulier des prestations retraites, les prestations reçues par les ménages les plus aisés sont deux fois plus élevées que celles des ménages les plus modestes. Pour les 20 % les plus modestes, les transferts nets représentent plus de la moitié du RDB, alors que, pour les autres ménages, ce sont les revenus d’activité qui représentent la plus grande partie du RDB.
On note l’importance croissante des transferts nets reçus chez les ménages les plus modestes (57% en 2017 contre 45% en 2011) du fait des prestations (63% en 2017 contre 53% en 2011).
Structure du revenu disponible brut des ménages selon les quintiles de RDB/UC en 2017
c) Consommation et épargne varient en fonction du niveau de vie
La structure de la consommation des ménages varie selon le quintile de RDB/UC auquel ils appartiennent (graphique suivant). En 2017, le poids de l’alimentation dans la dépense des plus modestes est ainsi supérieur de 4,6 points à celui des plus aisés ; en proportion de leur consommation totale, les premiers dépensent aussi deux fois plus en communications que les derniers, et deux fois plus en alcools et tabac. En revanche, la part budgétaire de l’ameublement et de l’entretien de la maison est moins importante, reflétant la plus faible proportion de propriétaires dans ce premier quintile. Ils dépensent aussi moins en hôtels et restaurants.Le plus souvent, la structure du panier de consommation reste néanmoins assez proche pour tous les quintiles. Elle est nettement moins contrastée que la structure du revenu.
Le plus souvent, la structure du panier de consommation reste néanmoins assez proche pour tous les quintiles. Elle est nettement moins contrastée que la structure du revenu. Les niveaux de consommation sont eux aussi moins dispersés que les revenus, même si les écarts restent marqués : entre les ménages du premier quintile de RDB/UC et ceux du dernier, la dépense de consommation par UC varie de 1 à 3,1 (contre 1 à 4,3 pour le RDB).
Composition de la dépense de consommation des ménages en 2017 selon les quintiles de RDB/UC en % de la dépense de consommation totale
Autrement dit, l’épargne d’un ménage est, en proportion de son revenu, d’autant plus importante qu’il est aisé : en 2017, le taux d’épargne passe de 2,7 % du RDB pour les ménages du premier quintile à 28,4 % chez ceux du dernier quintile (graphique suivant). Ceci confirme les théories selon lesquels les ménages ayant un revenu élevé ont une propension à épargner plus élevée que les ménages à revenus plus modestes (effet symétrique à celui observé dans le cas de la propension à consommer). La propension moyenne à épargner correspond au taux d’épargne. La propension marginale à épargner mesure la variation d’épargne (ΔE) générée par une variation de revenu (ΔR). Plus on devient riche, plus la part relative de l’épargne a tendance à s’accroitre au détriment de celle de la consommation selon la théorie de Keynes.
Taux d’épargne des ménages selon le quintile de RDB/UC entre 2011 et 2017 en %
L’impact de la redistribution opérée par les transferts publics et de son effet sur les inégalités de revenus alimente de nombreuses interrogations. Afin d’éclairer ce débat, une étude très complète de l’Insee a été publiée [6]. On présente ici ses principaux résultats.
Elle attache en effet à mettre en lumière les enjeux d’une mesure de la redistribution opérée par les transferts publics, qu’ils prennent la forme d’impôts, de taxes, de cotisations ou bien de prestations sociales, de transferts publics en nature, individualisables ou collectifs. Les comptes nationaux distribués prennent la forme d’un cadre cohérent et exhaustif de la redistribution dite élargie, intégrant notamment, en positif, une valorisation monétaire des services publics et en négatif, les effets des taxes sur les produits et la production.
Cette étude prend en compte l’ensemble des transferts, directs mais aussi les prélèvements indirects ainsi qu’une valorisation monétaire des services publics.
L’effet redistributif est calculé par différence entre le revenu national avant transferts et le revenu national après transferts. Cet exercice permet de mesurer comment la distribution du revenu primaire élargi est modifiée en prenant en compte l’action publique. Pour ce faire, l’ensemble des revenus et des transferts est distribué aux ménages en combinant des données microéconomiques et de comptabilité nationale.
1/ Les transferts publics en espèce (monétaires) et en nature
Les transferts publics affectent directement ou indirectement le niveau de vie des ménages. Les mesures usuelles de la redistribution examinent le plus souvent les transferts monétaires les plus directs, c’est‑à‑dire, d’un côté, les prélèvements comme l’impôt sur le revenu, la contribution sociale généralisée (CSG) et les cotisations sociales, et de l’autre, les prestations sociales monétaires (comme les prestations familiales et les minima sociaux), les retraites et l’assurance chômage. Plusieurs raisons poussent à élargir cette approche.
L’étude de l’Insee adopte ainsi une vision exhaustive de la redistribution opérée par les administrations publiques en incluant l’ensemble des financements et la totalité des transferts publics, qu’ils soient en nature ou en espèces, offerts en contrepartie des prélèvements. Les prestations sont plus de deux fois plus importantes dans l’approche élargie : 45,7% du revenu national brut en 2018, par rapport à l’approche usuelle des prestations en espèce : 21% (graphique suivant).
Cette approche élargie de la redistribution s’appuie sur une méthode dite des comptes nationaux distribués. Ces travaux prolongent les comptes par catégorie de ménages. Ils cherchent à élargir le champ de la redistribution et à rapprocher données microéconomiques et approche comptable. L’une des principales innovations de cette étude est de quantifier l’ensemble ces prestations « en nature » et ces dépenses collectives en les distribuant à partir de données microéconomiques.
Transferts publics depuis 1949 en part (%) du revenu national brut
2/ La méthode : exemple en 2019
a) De la comptabilité nationale à la redistribution élargie
La comptabilité nationale adopte un ensemble de conventions concernant les concepts de revenus et de production des agents économiques. Il s’organise autour de secteurs institutionnels (sociétés, ménages, administrations dans une version simplifiée) qui vont produire et échanger des biens et des services. Ce cadre comptable permet ainsi de construire les grands agrégats macroéconomiques tels que la valeur ajoutée de l’économie nationale, le revenu disponible brut des ménages, le patrimoine économique, etc.. Intégrés dans le tableau économique d’ensemble, les échanges entre secteurs sont décrits de façon détaillée et sous la forme d’emplois ou de ressources. Fruits d’un travail titanesque de recueil de données et de réconciliation entre les différentes sources, les outils comptables définissent le revenu national d’une économie, en retranchant au PIB le solde des importations et des exportations.
La première étape essentielle à la distribution de l’ensemble du revenu national aux ménages résidents est de considérer les ménages comme destinataires finaux des revenus des autres secteurs institutionnels (schéma suivant). Les entreprises sont possédées par les ménages, soit directement en tant que patrimoine professionnel, soit indirectement par le patrimoine financier et l’épargne. De la même manière, les administrations publiques sont in fine attribuées aux ménages.
– Du cadre comptable à la redistribution élargie en 2019
À partir de la mesure fine des différents revenus des secteurs institutionnels et les transferts qu’ils opèrent entre eux, on a vu qu’il est alors possible de définir la réduction des inégalités organisée par les transferts publics. L’objectif premier est de tenir compte du fait que tout ce qui est fourni par la collectivité est financé directement ou indirectement par la population, et profite in fine à celle-ci, de nouveau de manière directe ou indirecte. En outre, seule l’exhaustivité des revenus et transferts pris en compte permet des comparaisons robustes entre pays ou entre périodes pour un même pays . La décomposition des différentes composantes, comme les dépenses de retraites ou de santé, permet notamment une comparabilité entre les différents systèmes internationaux, dont le caractère socialisé ou public peut différer. Pour cela, l’ensemble du revenu national est attribué et distribué aux ménages résidant en France.
Ainsi, deux notions essentielles du revenu sont introduites :
La redistribution élargie se mesure pour chaque ménage par différence entre ces deux concepts centraux et diffère de la mesure usuelle dite monétaire schéma suivant). La redistribution monétaire examine les transferts monétaires les plus directs, c’est-à-dire, les prélèvements comme l’impôt sur le revenu, la contribution sociale généralisée (CSG) et les prestations sociales monétaires (prestations familiales ou minima sociaux par exemple).
De la redistribution monétaire usuelle à la redistribution élargie
b) Du tableau économique d’ensemble (TEE) au tableau distributionnel d’ensemble (TDE)
L’étude de l’Insee discute des spécificités liées à la prise en compte des taxes sur les produits et des transferts liés aux régimes de retraites. Elle détaille ensuite les étapes qui permettent de construire les distributions du revenu avant transferts, et après transferts, distribué par tranche de niveau de vie.
Une fois que les revenus et transferts sont attribués aux ménages et distribués par tranche de niveau de vie, on peut alors définir le TDE, pendant du TEE de la comptabilité nationale (tableau de gauche du schéma suivant). La construction du TDE suit une logique en deux étapes principales. Dans un premier temps, il s’agit de fixer des conventions qui attribuent aux ménages les montants des différents comptes des secteurs institutionnels du TEE. Dans un second temps, ces revenus et transferts sont distribués par tranches micro-fondées, soit par dixième de niveau de vie (tableau de droite). L’enjeu de cette étape consiste notamment à s’appuyer sur des bases de données ménages ou individuelles.
Passage du Tableau économique d’ensemble au Tableau distributionnel d’ensemble
c) Affectation aux ménages des revenus et transferts constitutifs du TEE
La première étape consiste donc d’une part, à affecter aux ménages (S14), les revenus et transferts, qui dans le TEE relèvent des autres secteurs institutionnels (S11, S12 et S15) ; et d’autre part à fusionner les volets emplois et ressources par soustraction des premières aux secondes. Ainsi, dans le TDE, les rubriques portent un signe positif pour les ressources nettes (revenus et transferts reçus) et négatifs dans le cas des transferts versés (prélèvements). Les tableaux qui suivent rassemblent les règles comptables qui permettent d’opérer cette contraction initiale du TEE. Une nomenclature « CND » (comptes nationaux distribués) est établie pour faciliter les comparaisons. Toutefois, tandis que le haut du tableau du TEE est constitué du compte de production, celle-ci n’étant par nature pas distribuable par catégorie, le TDE commence au compte d’exploitation et d’affectation des revenus primaires. Le revenu national net avant transfert (A dans le tableau suivant) est établi par addition au revenu des facteurs – la rémunération du travail (3), de la propriété (4) et les revenus non distribués des entreprises (5) –, des revenus primaires des APU essentiellement constitués des impôts sur les produits et la production (2).
La séquence se poursuit par la comptabilisation d’une part des impôts sur le revenu et le patrimoine (6) et des cotisations sociales (7) et d’autre part des transferts reçus regroupés dans les catégories « prestations et allocations monétaires » (8) et autres transferts (9) pour aboutir au revenu disponible net (C). Cette notion de revenu disponible diffère légèrement de celle de revenu disponible des ménages de la comptabilité nationale au sens où elle intègre les profits non-distribués des entreprises (PND dans le tableau suivant). Le choix de considérer les profits non-distribués comme un revenu des ménages peut être débattu.
L’aboutissement au revenu après transferts se construit à travers la valorisation monétaire des services non monétaires rendus par les APU, qui relèvent, dans le TEE, du compte d’utilisation du revenu comme dépenses de consommation collective :
– les services publics individualisables tels que la santé, l’éducation et l’action sociale notamment, regroupés en comptabilité nationale dans la catégorie des « transferts sociaux en nature individualisables » (10) ;
– les autres services rendus par l’action publique, décrits en comptabilité nationale non individualisables comme notamment la sécurité, la justice, la défense nationale et les dépenses d’administration générale (11).
La première de ces deux étapes aboutit à la notion de revenu disponible net ajusté bien connue des comptables nationaux (D dans le tableau suivant) selon que l’on inclut ou pas, les profits non distribués). L’attribution aux ménages des dépenses collectives mais aussi des revenus disponibles ajustés nets des autres secteurs (12) permet d’arriver au revenu national net après transferts (RNNAP).
4/ La redistribution monétaire
Pour mesurer l’impact des prélèvements directs et des prestations sociales sur la répartition des richesses, le revenu des ménages est comparé avant et après redistribution monétaire. En 2022, le niveau de vie annuel moyen avant redistribution monétaire est de 67 100 euros pour les 20 % des personnes les plus aisées, contre 8 450 euros pour les 20 % les plus modestes, soit 7,9 fois moins (tableau suivant). La redistribution atténue ces inégalités de revenus : elle augmente de 59 % le niveau de vie moyen des 20 % des personnes les plus modestes et diminue de 22 % celui des 20 % les plus aisées. Le rapport entre les deux est ainsi réduit à 3,9. La réduction des écarts est encore plus grande aux extrémités de la distribution des revenus : avant redistribution, les 10 % des personnes les plus pauvres disposent d’un niveau de vie annuel moyen de 4 500 euros, contre 87 610 euros pour les 10 % les plus aisées, soit 19,5 fois plus. Après redistribution, ce rapport est réduit à 5,6.
Montants moyens des prélèvements et prestations par unité de consommation en 2022, en euros par unité de consommation
Du côté des prélèvements directs, l’impôt sur le revenu est le plus redistributif d’autant u’il est progressif avec le revenu: en 2022, il participe pour 31 % à la réduction des inégalités de niveau de vie (tableau suivant). Les contributions sociales (CSG hors composante maladie, CRDS) et les cotisations d’allocations familiales, faiblement progressives, participent à hauteur de 8 % seulement à la baisse des inégalités.
Du côté des prestations sociales, les masses monétaires sont deux fois moins importantes que pour les prélèvements, mais elles contribuent pour 60 % à la réduction des inégalités de revenus en 2022. Elles sont particulièrement progressives, car souvent dotées d’un barème ciblé sur les ménages à faibles revenus. Les aides au logement apportent un soutien financier important aux ménages qui les perçoivent : elles représentent 10 % du niveau de vie moyen des 20 % des personnes les plus modestes (16 % pour les 10 % les plus modestes) et contribuent pour 13 % à la réduction des inégalités. Les minima sociaux et la prime d’activité représentent 19 % du niveau de vie moyen des 20 % des personnes les plus modestes (31 % pour les 10 % les plus modestes) et contribuent pour 27 % à la réduction des inégalités. Enfin, les prestations familiales contribuent pour 20 % à la réduction des inégalités. Leur forte redistributivité est due au fait que les ménages avec enfants sont plus nombreux dans le bas de la distribution des niveaux de vie et que la plupart des prestations familiales sont versées sous conditions de ressources.
En 2022, la prime exceptionnelle de rentrée, versée dans un contexte d’inflation élevée aux ménages bénéficiant de minima sociaux et des aides au logement, ou dans une moindre mesure de la prime d’activité, contribue pour 1 % à la réduction des inégalités. Enfin, la prime inflation ne contribue que marginalement à la réduction des inégalités.
Contribution des différents transferts à la réduction des inégalités de niveau de vie en 2022
5/ La redistribution élargie aux transferts sociaux en nature (santé, éducation,…)
La distribution du revenu avant transferts décrit la répartition du revenu national entre les ménages avant tout mécanisme de redistribution. Le revenu après transferts est celui dont bénéficient les ménages après prise en compte de l’ensemble des transferts publics, qu’il s’agisse de contributions versées par les ménages ou de transferts qu’ils reçoivent. En raison de la prise en compte exhaustive des transferts publics, le total du revenu avant transferts est égal au total du revenu après transferts ; la redistribution se fait entre ménages. La différence entre les revenus avant et après transferts mesure alors la redistribution élargie. Chaque ménage contribue et reçoit différents types de transferts (en espèces, en nature ou collectifs) dont les montants sont répartis à partir de sources microéconomiques détaillées . Ainsi, les ménages ayant un revenu après transferts plus élevé que leur revenu avant transferts sont dits bénéficiaires nets, et contributeurs nets dans le cas contraire.
a) En 2022, avant transferts, le revenu primaire élargi des personnes les 20 % les plus modestes s’élève en moyenne à 9 800 euros par UC, contre 114 700 euros par UC pour les 20 % les plus aisés
Le revenu national d’un pays correspond à l’ensemble des revenus perçus par les différentes unités économiques résidentes : les ménages, les entreprises, les administrations publiques et les institutions sans but lucratif. En 2022, en France, une fois retranchée la dépréciation du capital liée à l’usure des logements, équipements et infrastructures, le revenu national net (RNN) moyen est égal à 32 700 euros par habitant, soit 46 700 euros par unité de consommation (3 900 euros par UC par mois), pour un total de 2 227 milliards d’euros.
Ce RNN dans son ensemble peut se répartir sous certaines hypothèses d’affectations entre les seuls ménages : avant tout mécanisme de redistribution, il constitue alors le revenu primaire élargi. En 2022, il atteint 114 700 euros par UC en moyenne par an pour les 20 % les plus aisés de la population (soit 2,5 fois la moyenne), 9 800 euros par UC pour les 20 % les plus modestes (soit 4,8 fois moins que la moyenne) et 35 000 euros par UC (soit 0,75 fois la moyenne) pour les personnes situées autour de la médiane, entre 40 % et 60 % de l’échelle de niveau de vie usuel (tableau suivant). Il varie aussi fortement selon l’âge, le diplôme ou la catégorie socioprofessionnelle de la personne de référence du ménage, ou encore selon la configuration familial
b) Après redistribution élargie, le niveau de vie élargi par UC des 20 % les plus modestes est de 30 400 euros, contre 78 700 euros pour les 20 % les plus aisés
Trois mécanismes de redistribution modifient la répartition du revenu primaire élargi des ménages pour constituer, après transferts, le niveau de vie élargi : les prélèvements, les prestations sociales monétaires et les transferts non monétaires. Fondée sur l’idée que tout impôt ou taxe a in fine une contrepartie directe (sous forme monétaire) ou indirecte pour les ménages, cette redistribution élargie intègre la totalité des transferts publics, versés et reçus, et notamment une valorisation monétaire des services publics.
Les prélèvements, qui regroupent l’ensemble des impôts, directs et indirects, des taxes ainsi que les cotisations sociales, s’élèvent en moyenne à 26 000 euros par UC. Ces prélèvements participent notamment au financement des prestations sociales monétaires, de 11 900 euros en moyenne par UC, sous forme de revenus de remplacement (pensions de retraite, allocations chômage, pensions d’invalidité ou encore indemnités maladie) ou non (allocations familiales, minima sociaux, prime d’activité). Enfin, l’ajout des services rendus par les transferts non monétaires, de 14 100 euros par UC en moyenne, conduit au niveau de vie élargi. Ceux-ci se composent des transferts en nature qui sont individualisables (éducation, santé, logement et action sociale), et des dépenses collectives (police, justice, armée, etc.).
L’ensemble de ces transferts publics atténue les différences de revenus entre ménages : le niveau de vie élargi se différencie selon les catégories de ménages, mais nettement moins que le revenu primaire élargi. Le niveau de vie élargi annuel moyen des 20 % les plus modestes s’établit à 30 400 euros par UC (soit 0,65 fois la moyenne) et celui des 20 % autour de la médiane à 40 500 euros par UC (soit 0,87 fois la moyenne), contre 78 700 euros par UC pour les 20 % les plus aisés (soit 1,7 fois la moyenne).
Au niveau plus fin des dixièmes, le niveau de vie élargi des 10 % les plus aisés après tout mécanisme de redistribution, est 3,8 fois plus élevé que celui des 10 % les plus modestes, alors que leur revenu primaire élargi est 23,6 fois plus élevé avant transferts. Ainsi, la redistribution élargie divise par 6,3 le ratio des niveaux de vie entre les individus plus aisés et les plus modestes.
Tableau de synthèse des comptes par cinquième de niveau de vie usuel en 2022 en euros par UC
b) Les transferts monétaires et les services publics améliorent le niveau de vie de 57 % des personnes
La redistribution élargie se mesure pour chaque ménage par différence entre revenus avant transferts et revenus après transferts. Un ménage est bénéficiaire net de ou contributeur net à la redistribution élargie selon que le solde entre les transferts qu’il a versés et ceux qu’il a reçus est positif ou négatif, ce qui revient à comparer son revenu primaire élargi à son niveau de vie élargi. Au total, en 2022, 57 % des personnes sont bénéficiaires nets de la redistribution élargie.
En moyenne, les 20 % les plus modestes sont bénéficiaires nets à hauteur de 20 600 euros par UC (représentant une hausse de 210 %), alors que les 20 % les plus aisés sont contributeurs nets à hauteur de 36 000 euros par UC (baisse de 31 %). Les 20 % des individus autour de la médiane, appartenant au cinquième du milieu de la distribution de niveau de vie usuel, sont bénéficiaires nets en moyenne de 5 500 euros par UC, soit une hausse moyenne de 16 % de leur revenu primaire élargi.
Comptes nationaux distribués par dixième de niveau de vie usuel en 2022 en milliards d’euros
c) Les transferts reçus réduisent fortement les inégalités, en raison de l’ampleur des dépenses de santé et d’éducation ainsi que du ciblage des minima sociaux
Les transferts reçus varient fortement d’une catégorie de ménages à une autre, en particulier en fonction du niveau de vie usuel ou de l’âge de la personne de référence (tableau suivant).
Pris dans leur ensemble, les prélèvements croissent avec le niveau de vie, passant de 7 600 euros par UC acquittés en moyenne pour les 20 % les plus modestes à 60 500 euros par UC pour les 20 % les plus aisés. Du fait notamment du poids de la fiscalité indirecte, leur part dans les revenus avant transferts, augmentés des pensions de retraite et allocations chômage, est moins élevée pour les 10 % les plus aisés (48 %) que pour les 10 % les plus modestes (64 %). S’agissant des transferts reçus, sous forme monétaire ou indirectement, par les ménages, les 20 % les plus modestes en bénéficient un peu plus que les 20 % les plus aisés (28 200 euros par UC contre 24 500 euros).
Concernant les masses comptables, l’ensemble des prélèvements atteignent 287 milliards d’euros pour les personnes de la moitié basse de l’échelle de niveau de vie, contre 954 milliards pour celles de la moitié haute. Souvent versées sous conditions de ressources, les prestations sociales monétaires hors pensions de retraite perçues par les 10 % les plus modestes s’élèvent à 26 milliards d’euros en 2022, celles perçues par les 10 % les plus aisés à 21 milliards et celles des 10 % des ménages juste en dessous de la médiane (D5) à 19 milliards. Prenant la forme de transferts en nature, les services publics individualisables bénéficient quant à eux pour 65,1 milliards d’euros aux 10 % les plus modestes et pour 32,3 milliards aux 10 % des ménages les plus aisés. En décomposant leurs effets sur les revenus, les inégalités sont ainsi fortement diminuées par les dépenses publiques tandis que les prélèvements, qui sont toutefois nécessaires au financement de ces dépenses, les augmentent légèrement.
Comptes nationaux distribués selon le niveau de vie usuel en 2022 en milliards d’euros
6/Comparaison France / États-Unis
Dans quelle mesure les politiques de redistribution en espèces et en natures (prestations sociales en espèce, transferts sociaux en nature telles les dépenses de santé ou d’éducation) atténuent les inégalités de revenus? On note que les prestations sociales en espèce sont individuelles donc peuvent bénéficier aux ménages les plus modestes tandis que les transferts sociaux en nature bénéficient à tous les ménages. En l’absence de toute redistribution directe significative, les deux dépenses sociales, la santé et l’éducation, sont les principaux éléments de la redistribution contemporaine qui fonctionne ainsi par dépenses interposées et non par transferts monétaires : elles constituent toues deux des transferts forfaitaires dont chacun bénéficie également quelque soi son niveau de revenu, par exemple pour les dépenses d’enseignement primaire et secondaire,, et elles sont financées par des prélèvements qui augmentent proportionnellement ou de façon légèrement progressive avec le revenu.
C’est d’ailleurs l’ampleur de cette redistribution en nature qui permet de mesurer les différences entre les pays faiblement redistribuais comme les États-Unis et les pays fortement redistribuais comme les pays scandinaves et la France. Les transferts en espèce restent toutefois non négligeables en France. Par exemple, si on suppose que le SMIC est proche entre les États-Unis et la France, la différence essentielle est que le travailleur américain doit payer en grande partie sa couverture santé malgré l’OBama Care et les dépenses d’éducation de ses enfants et c’est cette redistribution fiscale qui fait que le salarié français à revenu modeste est mieux loti en France qu’aux États-Unis.
Le tableau suivant issu d’une étude de l’Insee (voir [6]), met des ordres de grandeur sur les mécanismes des taxes sur la production et la consommation d’une part, et des dépenses publiques en nature d’autre part, c’est-à-dire la contribution des services publics à la réduction des inégalités, pour la comparaison entre la France et les États-Unis. Il présente la variation de l’indice de Gini entre le revenu avant transferts et le revenu après transferts, ainsi que décomposition de la réduction des inégalités de revenus ainsi mesurée par nature de transfert.
Selon cette décomposition, les transferts réduisent les inégalités de revenus d’une vingtaine de points d’indice de Gini en France, et d’une dizaine aux États-Unis. Sur le plan des prélèvements, la France apparaît plus redistributive que les États-Unis si l’on ne prend pas en compte les taxes sur la consommation et la production (TCP). Mais le résultat est inversé dans le cas contraire, les prélèvements contribuant à faire diminuer de 2,3 points l’indice de Gini aux États-Unis contre + 3 points pour la France. La France creuse l’écart sur les prestations, pour moitié par des prestations en espèces plus concentrées sur les bas et très bas revenus. Les prestations en espèces (BCA) contribuent d’abord pour 5,9 points à la baisse du coefficient de Gini en France contre 2,1 points aux États-Unis, soit un écart de 3,8 points.
Les services publics en nature, éducation, santé, etc. (BKI) impliquent une diminution de 10,5 points de Gini en France, contre 6,0 aux États-Unis et les dépenses collectives une diminution de 4,3 points supplémentaires, contre 1 point aux États-Unis.
Contribution des transferts à la réduction de l’indicateur de Gini (en points de %)
Plusieurs études de l’Insee analysent la répartition des revenus sur longue période, 1996-2021 [4]. Les inégalités de revenus avant redistribution ont augmenté depuis 2008. Le système socio-fiscal a amorti cette hausse : en 2021, après redistribution, les inégalités de revenus sont très légèrement supérieures à leur niveau de 2008. Ici on suivra les deux agrégats de revenu (ou de niveau de vie) avant et après redistribution.
1/ L’inégalité des salaires
Comment les salaires qui représentent de très loin la plus importante source de revenus sont-ils répartis ? Un indicateur pratique de l’inégalité des salaires est le rapport entre P90 et P10, c’est-à-dire entre la limite inférieur du dixième décile et la limite supérieur du premier décile. Il ne faut pas confondre cet indicateur avec le rapport entre D9 et D1, c’est-à-dire entre le rapport du salaire moyen du neuvième décile et le salaire moyen du premier décile, qui est par définition toujours plus élevé. D’autres indicateurs sont également utilisés afin de prendre en compte l’inégalité de l’ensemble de la répartition et pas seulement les écarts entre déciles extrêmes, comme par exemple le coefficient de Gini.
Le graphique suivant décrit l’évolution de l’inégalité des salaires parmi les salariés du secteur privé et public en France depuis 1968. Les inégalités salariales sont d’abord décrites avec le salaire en équivalent temps plein (EQTP) ou le salaire net journalier à temps complet, qui sont établis à volume de travail donné. Les inégalités de revenus salarials intègrent ensuite la variabilité du volume de travail. Ces inégalités de revenus sont mesurées ici par les rapports interdéciles, puis par la part de la masse salariale perçue par les salariés les mieux rémunérés.
Dans le secteur privé, le rapport interdécile D9/D1 du salaire net journalier a beaucoup diminué de 1967 jusqu’au milieu des années 1980, passant de 4,0 à 3,0. Il est de 3,28 en 1993. Il a ensuite un peu fluctué autour de 3,0, son niveau de 2018 mais en ayant une tendance à remonter depuis la crise de 2009. La forte baisse des inégalités de salaire dans les années 1970 est due à une réduction des écarts dans le bas de l’échelle des salaires, liée notamment aux revalorisations du Smic ; le rapport du 9e décile (D9) à la médiane (D5), qui décrit les inégalités de revenus dans le haut de l’échelle salariale, est, lui, resté bien plus stable, fluctuant autour de 2,0.
Distribution du salaire net journalier à temps complet dans le secteur privé et la fonction publique
Le salaire est le paiement du travail convenu entre un salarié et son employeur au titre du contrat de travail dans le secteur privé et pour les agents contractuels dans la fonction publique, ou de l’emploi pour les fonctionnaire.
Le revenu salarial, somme de tous les salaires nets perçus par un individu au cours d’une année donnée, intègre deux dimensions : le salaire en équivalent temps plein (EQTP), prix d’une unité de travail salarié, et le volume de travail réalisé au cours de l’année, mesuré en équivalent temps plein.
Or alors que les inégalités de salaire dans le secteur privé ont diminué depuis la fin des années 1960, celles de revenu salarial, qui intègre la variabilité du volume de travail, ont globalement augmenté (graphique suivant). Notamment, le rapport interdécile D9/D1 du revenu salarial dans le secteur privé a fortement augmenté du milieu des années 1970 jusqu’au milieu des années 1990, puis s’est légèrement replié jusqu’en 2008. Il a peu fluctué depuis. Ces évolutions reflètent celles de la moitié basse de l’échelle des revenus salariaux (D5/D1). L’augmentation des inégalités de revenus salarials dans la moitié basse de la distribution jusqu’au milieu des années 1990 provient d’une amplification des écarts en matière de temps de travail, qui résulte à la fois d’une baisse du nombre moyen de jours travaillés et d’une hausse du volume des temps partiels.
Distribution du revenu salarial dans le secteur privé et la fonction publique
Dans la moitié haute de la distribution du revenu salarial, le rapport interdécile D9/D5 est globalement stable sur longue période, mais la part dans les revenus salariaux du secteur privé des 1 % des salariés les mieux rémunérés a davantage varié (graphique suivant). Après une baisse au cours des années 1970 (de 8,4 % en 1967 à 6,8 % en 1980), cette part a augmenté du milieu des années 1990 jusqu’en 2007 (de 6,9 % à 7,9 %). Après un léger recul durant la crise économique de 2008‑2009, cette part des très hauts revenus salariaux du secteur privé a à nouveau augmenté pour s’établir à 8,1 % en 2018. En 2019, elle a rompu avec cette tendance en diminuant à 7,6 %. Le dispositif de prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (Pepa), ciblé sur les salaires les moins élevés, a notamment favorisé cette réduction. Les inégalités de revenus salarials (D9/D1) parmi les salariés travaillant principalement dans la fonction publique sont plus faibles que celles dans le secteur privé.
Part de la masse salariale perçue par les 1 % de salariés les mieux rémunérés dans le secteur privé et la fonction publique
2/ Les inégalités de revenus se sont renforcées depuis 1996 avant redistribution.
a) La hausse des inégalités de revenus avant redistribution est liée à la baisse des revenus avant redistribution des plus modestes
Depuis 2008, les inégalités de revenus avant redistribution, c’est‑à‑dire avant ajout des prestations monétaires et prélèvement des impôts directs, se sont accentuées : l’indice de Gini augmente de 0,01 entre 2008 et 2021. Cette hausse est en grande partie liée à la baisse des revenus avant redistribution des plus modestes. En effet, le 1er décile du niveau de vie avant redistribution a diminué de presque 10 % entre 2008 et 2021 et le 2e décile de 3 %, tandis que les autres déciles augmentent (graphique suivant).
En 2021, en euros constants, c’est-à-dire en tenant compte de l’inflation, le niveau de vie recule pour la première moitié de la distribution, après avoir progressé en 2020. La baisse est plus prononcée pour les 20 % des ménages les plus modestes (respectivement -2,1 % et -2,0 % pour les premier et second déciles de niveau de vie) et est atténuée pour les ménages des trois déciles suivants. Au centre de la distribution, le niveau de vie médian est en léger repli à -0,3 %.
Entre 2008 et 2021, le niveau de vie après redistribution du décile des plus modestes n’augmenterait pas plus que celui du décile des ménages les plus riches. En 2021, les déciles de niveau de vie de la deuxième moitié de la distribution sont en hausse et augmentent plus fortement au niveau des huitième (+1,6 %) et neuvième (+1,1 %) déciles. Cette progression du niveau de vie de la moitié des ménages les plus aisés est principalement portée par la hausse de leur niveau de vie avant redistribution. Ces ménages sont en effet peu affectés par l’arrêt des aides exceptionnelles visant à soutenir les plus bas revenus mises en place pendant la crise sanitaire et bénéficient de la reprise de l’activité.
Le niveau de vie avant redistribution inclut ici à la fois les revenus du travail et les dispositifs de soutien à l’activité qui avaient été mis en place ou renforcés durant la crise sanitaire (activité partielle et fonds de solidarité pour les entreprises, indépendants, entrepreneurs), ainsi que les revenus de remplacement (allocations chômage, pensions, retraites) et les revenus du patrimoine. Le contexte de reprise économique bénéficie à l’ensemble des ménages, excepté les plus modestes. La dynamique des revenus d’activité est toutefois atténuée par la diminution des allocations chômage et des dispositifs financiers de soutien aux revenus d’activité.
Évolution des principaux déciles de niveau de vie entre 1996 et 2021
b) Le système socio‑fiscal a limité la hausse des inégalités
Une année donnée, le système socio‑fiscal diminue les inégalités de revenus via une redistribution verticale des revenus. En 2018, il diminue l’indice de Gini de 0,085. Le rapport interquintile des masses est divisé par 2 : le niveau de vie moyen avant redistribution des 20 % de personnes les plus aisées est 8,7 fois supérieur au niveau de vie moyen des 20 % de personnes les plus modestes ; après redistribution, ce rapport est de 4,4 (graphique suivant). La réduction des écarts est encore plus grande aux extrémités de la distribution des revenus, où le rapport entre le niveau de vie moyen des 10 % les plus riches et celui des 10 % les plus pauvres est divisé par 3,4 du fait de la redistribution (passant de 24 à 7,1). Pour tous les indicateurs, on a vu que la réduction des inégalités de revenus est encore plus forte en prenant en compte dans la redistribution les transferts en nature comme la santé et l’éducation, et les services publics
Le système socio‑fiscal atténue aussi l’évolution des inégalités de revenus dans le temps. En effet, avant redistribution, les inégalités de revenus évoluent tendanciellement plus vite qu’après redistribution lorsque la conjoncture se détériore, et diminuent moins lorsqu’elle s’améliore. Cela est vérifié quel que soit l’indicateur considéré. Globalement, depuis 2008, les inégalités de revenus ont augmenté avant redistribution et n’ont progressé que légèrement après.
La redistribution limite ainsi la baisse du niveau de vie des plus modestes, qui n’est plus que de 3 % pour le niveau du 1er décile de niveau de vie. L’évolution du 2e décile est quant à elle inchangée avant et après redistribution, tandis que dans les autres déciles, les niveaux de vie après redistribution sont moins dynamiques qu’avant redistribution. C’est pour les plus hauts revenus que l’écart est le plus important. Pour le 9e décile, la hausse est de 5,4 % avant redistribution depuis 2008 et de 0,7 % après. La part des revenus détenus par les 10 % les plus aisés a augmenté de 0,9 points avant redistribution, alors qu’elle est restée quasi‑stable après redistribution.
L’indice de Gini s’établit à 0,294 en 2021 (+0,017 point), contre 0,285 en 2009 et 0,274 en 1996; les 20 % de personnes les plus aisées perçoivent 38,3 % de la masse totale des niveaux de vie. Sur longue période, le coefficient de Gini du niveau de vie montre ainsi une tendance à la hausse en France, comme dans la plupart des autres pays développés, depuis le milieu des années 1990 et jusqu’au début des années 2010. Une pointe est observée après la crise financière, dans les années 2010 à 2012, suivie d’une baisse en 2013 et d’une quasi-stabilisation dans les années 2013-2020 à l’exception d’une nouvelle pointe temporaire en 2018 (notamment du fait de la baisse des allocations de logement).
Dans le bas de la distribution, les 20 % les plus modestes en perçoivent 8,6 %, part inférieure à celle observée ces dernières années (environ 9 %). Ainsi, les premières perçoivent une part de la somme des niveaux de vie 4,45 fois plus élevée que les 20 % de personnes les plus modestes : ratio (100-S80)/S20 (4,31 en 2008, 4,08 en 1996). Tout au plus, le rapport interdécile D9/D1, rapport entre le niveau de vie plancher des 10 % les plus aisés et le niveau de vie plafond des 10 % les plus modestes, qui retrouve son niveau de 2019 (3,4), a légèrement diminué entre 1996 et 2008 (3,51 en 1996) mais est resté stable depuis 2008.
Inégalités de niveaux de vie depuis 1996
c) Peu de mobilité dans l’échelle des revenus entre 2003 et 2019
La comparaison des revenus des mêmes personnes sur la période 2003-2019 à partir de données fiscales révèle que la position des individus dans l’échelle des revenus en 2019 est proche de leur position en 2003 : la corrélation entre ces deux positions est de 71 %. L’inertie est particulièrement forte en bas et en haut de la distribution : parmi les 20 % les plus aisés et les 20 % les plus modestes, près des deux tiers des individus restent dans la même catégorie.
Les revenus d’un individu une année donnée déterminent fortement ceux qu’il aura près de deux décennies plus tard. Plus les individus sont situés haut dans l’échelle des revenus en 2003, plus ils ont de chances d’occuper un rang élevé de la distribution en 2019. La mesure de la corrélation entre les rangs d’un individu sur l’échelle des revenus à deux dates permet de quantifier ce constat. Cette corrélation atteint 89 % 3 ans après 2003, 78 % 10 ans après, et encore 71 % 16 ans après, en 2019, témoignant d’une faible mobilité dans l’échelle des revenus.
Parmi les 20 % les plus modestes en 2003, 62 % des individus sont aussi parmi les 20 % les plus modestes en 2019, et 2 % seulement effectuent une mobilité très ascendante vers les 20 % les plus aisés. Tout en bas de l’échelle des revenus, parmi les 10 % les moins aisés en 2003, 53 % comptent aussi parmi les 10 % les plus modestes 16 ans plus tard. 93 % d’entre eux demeurent dans la moitié inférieure de la distribution des revenus.
L’immobilité est également forte en haut de la distribution : 63 % des individus appartenant aux 20 % les plus aisés en début de période le sont encore en fin de période. Les 20 % les plus aisés en 2003 ont ainsi 28 fois plus de chances d’être également parmi les 20 % les plus aisés 16 ans plus tard que les 20 % aux revenus les plus modestes en début de période. Comme les mobilités très ascendantes, les situations de mobilité très descendante sont rares (3 %). La forte persistance s’observe aussi tout en haut de l’échelle des revenus : parmi les 10 % les plus aisés, 58 % des individus comptent aussi parmi les 10 % les plus aisés 16 ans plus tard, et 41 % des individus des 1 % les plus aisés le sont aussi 16 ans plus tard.
L’inertie serait plus élevée que celle observée aux États-Unis. La littérature économique avance plusieurs explications à cette faible mobilité des revenus en France comme la forte dépendance de la carrière professionnelle au diplôme initial, l’inégalité d’accès à la formation professionnelle ou encore les coûts de la mobilité géographique.
Mobilité entre cinquièmes de revenus entre 2003 et 2019
3/ Les riches en France
Selon l’Observatoire des Inégalités, « la France compterait 4,5 millions de riches, soit 7,1 % de la population si l’on fixe le seuil de richesse au double du niveau de vie médian, soit 3 673 euros par mois pour une personne seule, après impôts [5]. Pour un couple, le seuil est fixé à 5 511 euros, pour une famille avec deux enfants à 7 700 euros ».
« Par rapport à 2010, le nombre et la part de personnes riches ont baissé en 2019 : 745 000 personnes de moins se situent au-dessus de notre seuil de richesse. Le niveau de vie des 10 % les plus riches a suivi une évolution plus mouvementée : après avoir baissé entre 2011 et 2013, il marque un nouveau pic en 2018 sous l’effet de mesures fiscales favorables aux détenteurs d’un haut patrimoine financier ».
Lecture : 7,1 % de la population est riche en 2019.
Source : estimations de Pierre Madec (OFCE) d’après l’Insee – © Observatoire des inégalités
« Cette décennie succède à une période faste pour les plus aisés. Entre 1999 et 2019, le niveau de vie annuel moyen des 10 % les plus riches a progressé de 9 100 euros une fois l’inflation déduite, contre 3 300 euros pour les classes moyennes.
En outre, le nombre de ménages imposés pour leur grande fortune immobilère (au moins 1,3 million d’euros de biens immobiliers après abattements) progresse à nouveau de 8 % entre 2018 et 2020, après une hausse de 23 % du nombre de ménages redevables de l’ancien impôt sur la fortune, entre 2011 et 2017.
Entre les deux dernières enquêtes de l’Insee, datées de 2010 et 2018, les patrimoines des 10 % des ménages les plus fortunés ont plus ou moins suivi le rythme de l’inflation. Mais, tout comme les revenus, la stabilité récente ne doit pas faire oublier la période antérieure. Les patrimoines des riches s’étaient envolés durant les vingt années précédentes. Entre 1998 et 2010, le patrimoine moyen des 10 % les plus fortunés était passé de 552 700 euros en 1998 à 1 243 000 euros en 2010 : il avait plus que doublé, même après déduction de l’inflation ».
« Pour dégager les tendances qui se dessinent, il faut aller plus loin. En zoomant sur l’ultime sommet de l’échelle des revenus et des patrimoines. Les hyper-riches poursuivent leur enrichissement. Le 1 % des salaires les plus élevés du privé continue sa progression. Quant aux 500 plus grandes fortunes professionnelles, elles ont vu leur valeur multipliée par quatre en dix ans ».
Lecture : les salariés qui appartiennent au 1 % le mieux payé reçoivent 8,1 % de l’ensemble des salaires du privé en 2018.
Source : Insee – © Observatoire des inégalités
Le patrimoine brut correspond au montant total des actifs détenus par un ménage, c’est‑à‑dire l’ensemble des biens lui permettant de disposer de ressources futures. Il inclut son patrimoine financier, son patrimoine immobilier et son patrimoine professionnel, mais aussi les biens durables (voiture, équipement de la maison, etc.), les bijoux, les œuvres d’art et autres objets de valeur, soit tout ce qui relève du patrimoine matériel, négociable et transmissible. Les droits à la retraite et le capital humain des membres du ménage (leurs connaissances et savoir‑faire acquis) en sont exclus. Il est évalué avant déduction des éventuels remboursements d’emprunts en cours.
Le patrimoine net correspond au montant total des actifs détenus par un ménage duquel est déduit le montant du capital qu’il doit encore au titre des emprunts qu’il a souscrits (contractés pour acquérir un bien immobilier, un bien d’équipement, ou pour tout autre motif personnel ou professionnel).
Le patrimoine brut hors reste correspond au patrimoine brut réduit à ses composantes immobilières, financières et professionnelles, hors biens durables, bijoux, œuvres d’art et autres objets de valeur
Début 2018, d’après l’enquête Histoire de vie et Patrimoine 2017‑2018, la moitié des ménages vivant en France déclarent un patrimoine brut supérieur à 163 100 euros ; ils possèdent 92 % de la masse totale de patrimoine. Ce patrimoine est principalement constitué de biens immobiliers (61 %), d’actifs financiers (20 %), d’actifs professionnels (11 %) et enfin d’autres biens durables et objets de valeur (8 %).
La composition du patrimoine des ménages diffère selon le montant de patrimoine brut.. Le patrimoine immobilier est largement majoritaire pour les ménages situés entre le 4e et le 9e décile, avec une part comprise entre 70 % et 77 % . À l’opposé, les 30 % des Français les moins dotés ne possèdent quasiment pas de patrimoine immobilier : leur épargne est placée dans des produits financiers peu risqués, tels les livrets (entre 29 % et 42 %), ou des biens durables, véhicules ou autre patrimoine restant (entre 54 % et 71 %).
Le patrimoine financier est réparti de façon nettement plus inégalitaire que le patrimoine immobilier (graphique suivant). La composante la plus inégalitairement répartie est le patrimoine professionnel, mais sa part dans le patrimoine brut est limitée. Les 10 % les moins dotés en patrimoine sont également plus souvent endettés, principalement pour des motifs privés : achat d’une voiture ou de biens d’équipement, notamment via des crédits à la consommation. Leurs emprunts représentent 38 % de leur patrimoine brut. Leur patrimoine brut s’élève à 1 800 euros en moyenne, soit 1 100 euros de patrimoine net une fois déduit le capital restant dû.
Les 10 % de ménages les mieux dotés se démarquent à la fois par le niveau de patrimoine détenu et par sa composition : leur patrimoine est en moyenne huit fois plus élevé que celui des autres ménages, et 19 % sont des actifs professionnels, contre 2 % pour les autres ménages. Ces ménages sont eux aussi endettés, mais leurs emprunts représentent une faible part de leur patrimoine brut : en moyenne 7 % d’emprunts privés et 3 % d’emprunts professionnels. Leur patrimoine brut s’élève à 1 279 000 euros en moyenne, soit 1 157 000 euros de patrimoine net une fois déduit le capital restant dû.
Concentration des différentes composantes de patrimoine et du patrimoine total début 2018
1/ La répartition du patrimoine est plus inégalitaire qu’il y a vingt ans
Les montants, la répartition et la composition du patrimoine des ménages français ont peu évolué depuis 2015. Le patrimoine brut hors reste, c’est‑à‑dire hors véhicules, biens durables et objets de valeur, peut quant à lui être analysé sur vingt ans. Les évolutions du patrimoine brut dans le temps portent donc sur ce concept.
Entre 1998 et 2018, le patrimoine brut moyen détenu par les ménages vivant en France métropolitaine a été multiplié par 21 en euros courants et par 1,6 en euros constants. Il a surtout augmenté au cours des dix premières années : + 38 % entre 1998 et 2004 puis encore + 51 % entre 2004 et 2010 (graphique suivant). Il a ensuite stagné entre 2010 et 2015, avant de légèrement augmenter (+ 3 % en euros courants entre 2015 et 2018). L’effet de la pandémie de Covid‑19 sur le patrimoine est encore inconnu.
L’évolution entre 1998 et 2018 n’a pas été la même pour tous : les inégalités de patrimoine se sont renforcées en raison principalement de la forte valorisation du patrimoine immobilier qui a profité aux ménages les mieux dotés. Le patrimoine brut moyen des 10 % les moins bien dotés en 2018 est inférieur de 48 % à celui de leurs homologues de 1998, alors que celui des 10 % de ménages les mieux dotés a augmenté de 119 % sur la période. En euros constants, le total détenu par les 10 % les moins bien dotés a même baissé de 58 % (contre une hausse de 77 % pour les mieux dotés). En euros courants au cours des vingt dernières années, le patrimoine a finalement augmenté de façon importante, à part pour les 30 % des ménages les moins dotés (ce résultat restant valable en euros constants). Ces évolutions différenciées selon le niveau de patrimoine ont renforcé les inégalités de répartition. Entre 1998 et 2018, l’indice de Gini du patrimoine brut est passé de 0,639 à 0,654. Cependant, l’indice de Gini ne reflète qu’imparfaitement l’évolution des inégalités.
Évolution entre 1998 et 2018 du patrimoine brut hors reste moyen, par tranche
En euros constants, le patrimoine immobilier, financier ou professionnel brut (c’est‑à‑dire le patrimoine brut hors reste) médian a augmenté pour l’ensemble des groupes socioprofessionnels entre 2004 et 2018, à l’exception des ménages monoactifs d’employé ou d’ouvrier. L’augmentation est plus marquée pour les ménages à dominante ouvrière et plus modérée pour les ménages à dominante intermédiaire, mais la hiérarchie patrimoniale des groupes ne s’est pas modifiée sur la période.
Le patrimoine a évolué différemment suivant que les ménages ont pu devenir ou non propriétaires, en fonction de leur épargne disponible et de leur capacité de financement. Les ménages monoactifs d’ouvrier ou d’employé ainsi que les ménages inactifs ne disposent pas de la mutualisation des ressources des couples ayant deux revenus d’activité ou de remplacement : ainsi, ils sont majoritairement restés en marge de la forte progression du patrimoine des ménages, et leur patrimoine médian a diminué ou est resté très faible. À l’inverse, les ménages pluriactifs à dominante ouvrière ont pu profiter à plein des opportunités immobilières ouvertes par leur éloignement des centres urbains, au prix toutefois d’un endettement plus conséquent et d’une importance cruciale de la voiture
Patrimoine brut (hors reste) médian par groupe de PCS Ménage en 2004 et en 2018
2/ Une hausse des inégalités causée par la valorisation du patrimoine immobilier dans les années 2000
L’augmentation des inégalités s’explique par l’accroissement important du patrimoine immobilier. Le patrimoine immobilier moyen a augmenté de 141 % entre 1998 et 2018 (graphique suivant), essentiellement sur la période 1998‑2010. Au total, la masse de patrimoine immobilier a augmenté de 201 % entre 1998 et 2018 (l’écart avec la hausse du patrimoine moyen s’explique par l’augmentation de 25 % du nombre de ménages sur la période). Cette évolution est d’abord due à la valorisation des logements anciens (contribution de 107 points à la croissance du patrimoine immobilier), puis aux constructions de logements durant cette période (contribution de 72 points) et enfin à la hausse des prix des logements neufs (contribution de 22 points). En vingt ans, cette conjoncture favorable a profité aux 70 % des ménages les mieux dotés en patrimoine brut, avec une augmentation de 127 % à 174 % de leur patrimoine immobilier, mais pas du tout aux ménages les moins dotés, très peu détenteurs de biens immobiliers.
Dès lors, en 2018, 62 % des inégalités de patrimoine au sens de l’indice de Gini sont dues au patrimoine immobilier, contre 55 % en 1998. Cela provient entièrement de la hausse de la part du patrimoine immobilier dans le patrimoine total pour les ménages du milieu et du haut de la distribution. En revanche, le patrimoine immobilier lui‑même est moins concentré en 2018 qu’en 1998 : l’indice de Gini calculé sur le patrimoine immobilier est passé de 0,644 à 0,636 entre 1998 et 2018.
Évolution du patrimoine financier et immobilier moyen entre 1998 et 2018, par tranche
3/ La concentration du patrimoine financier s’est accentuée en vingt ans, mais sa part dans le total a baissé
Dans le même temps, le patrimoine financier moyen des ménages a beaucoup augmenté, mais dans une moindre mesure que l’immobilier (+ 78 % en vingt ans). L’essentiel de la hausse est intervenu entre 2004 et 2010 : + 60 %, puis + 9 % entre 2010 et 2015 et + 2 % entre 2015 et 2018. En vingt ans, il n’a cependant augmenté de façon importante que pour les 70 % des ménages les mieux dotés en patrimoine brut. Il a augmenté de moitié pour les ménages autour de la médiane et doublé pour les 10 % les mieux dotés alors qu’il a diminué ou stagné pour les 30 % de ménages les plus modestes.
De ce fait, en 2018, le patrimoine financier est également plus concentré qu’en 1998 : l’indice de Gini calculé sur le seul patrimoine financier est passé de 0,734 à 0,798. Malgré cela, le patrimoine financier n’est plus responsable que de 23 % des inégalités de patrimoine au sens de l’indice de Gini en 2018, alors qu’il en expliquait 26 % en 1998, car sa part dans le patrimoine total a diminué au profit de l’immobilier.
4/ En moyenne, le patrimoine brut augmente pour les ménages dont la composition est restée stable
En 2017‑2018, une partie des personnes (36 %) ayant répondu à l’enquête en 2014‑2015 a été réinterrogée, pour apprécier l’évolution individuelle du patrimoine. Bien que trois ans soit une période courte, le montant du patrimoine des ménages a changé, en particulier pour les ménages dont le contour a évolué. Dans l’ensemble, lorsque le ménage a changé de composition, le patrimoine brut a baissé de 6,4 % 7. Il s’agit plus fréquemment de séparations ou de décès
d’adultes (pour 10,1 % des personnes) que d‘arrivées (dans 3,2 % des cas), ce qui explique la baisse du patrimoine du ménage. En cas de séparation ou de décès du conjoint, le patrimoine brut a baissé en moyenne respectivement de 38,5 % et 30,2 % entre 2015 et 2018. En cas de séparation, c’est surtout le patrimoine immobilier qui diminue (– 46,5 % en moyenne), la baisse du patrimoine financier étant plus limitée (– 19,5 % en moyenne).
5/ Les emprunts pour la résidence principale sont majoritaires entre le 1er et le 9e décile de patrimoine net
En 2015, les 10 % de ménages les moins bien dotés en patrimoine net étaient collectivement plus endettés qu’ils ne possèdent d’actifs : leur patrimoine net moyen est négatif (– 3 200 euros,graphique suivant), bien que seuls 2,2 % des ménages soient concernés par une valeur négative. La situation de ces ménages n’est cependant pas nécessairement plus défavorable que celle des 10 % de ménages au patrimoine net immédiatement supérieur. Ces derniers ont plus de patrimoine net (en moyenne 6 000 euros) mais cela correspond à moins d’actifs (9 300 euros contre 12 500 euros) et moins de passif (3 300 euros contre 15 700 euros), ce qui peut être pour certains d’entre eux la conséquence d’un moindre accès au marché du crédit. En effet, seuls 27 % d’entre eux ont un emprunt en cours, contre 38 % des 10 % de ménages les moins bien dotés.
Leurs emprunts sont le plus fréquemment en lien avec des achats immobiliers ou fonciers hors résidence principale (39 % du montant total d’emprunt restant dû) ou des crédits à la consommation et pour d’autres motifs personnels (17 %). Les emprunts concernant la résidence principale ne représentent que 23 % de leur endettement total, contre 53 % à 85 % du montant total à rembourser pour les ménages au patrimoine compris entre le 1er et le 9e décile. Les montants moyens à rembourser varient peu entre le 3e et le 9e décile – entre 28 400 euros et 46 000 euros – et la proportion de ménages endettés également – entre 44% et 54 %. Les montants empruntables pour ces ménages sont sans doute plafonnés en fonction de leurs revenus, et le classement en déciles de patrimoine net repose principalement sur les actifs détenus, en particulier sur la valeur de la résidence principale achetée à l’aide de ces emprunts. En comparaison, les 10 % de ménages les plus aisés en patrimoine net ont un endettement moyen à rembourser très élevé (75 100 euros) en lien avec des motifs d’emprunt différents : ils sont davantage consacrés à des investissements immobiliers (37 %) et des emprunts professionnels (29 %). Sur l’ensemble des ménages endettés, les sommes encore dues représentent en moyenne 1,7 année de leurs revenus ; mais 10 % des ménages endettés doivent encore rembourser plus de 4,3 années de revenus.
Endettement par type d’emprunts début 2015, par tranches de patrimoine net
6/ 24 % des ménages détiennent 68 % des logements possédés par des particuliers
En 2017, 58 % des ménages résidant en France sont propriétaires d’au moins un logement, que ce soit leur résidence principale ou un autre logement1. Au total, ils possèdent 28,4 millions de logements (maisons ou appartements) en nom propre ou via une société civile immobilière (SCI). Pour l’essentiel, soit ils les occupent en résidence principale ou secondaire, soit ils les mettent en location.
La majorité des ménages propriétaires ne possèdent qu’un logement (34 % de l’ensemble des ménages). En revanche, 7,3 millions de ménages sont propriétaires, seuls ou en commun avec un ou plusieurs autres ménages, de deux logements ou plus : ces ménages multi-propriétaires représentent 24 % des ménages résidant en France (graphique suivant). Ils se distinguent des propriétaires d’un seul logement par leurs caractéristiques sociodémographiques et l’usage fait des logements, bien qu’ils constituent eux-mêmes un groupe hétérogène.
Répartition des ménages et des logements selon le nombre de logements possédés
Malgré le grand nombre de propriétaires, la propriété des logements est relativement concentrée. Ainsi, les 24 % de ménages multi-propriétaires possèdent deux tiers du parc de logements détenu par des ménages. La moitié des ménages multi-propriétaires, soit 13 % des ménages, détiennent exactement deux logements et possèdent près d’un quart du parc de logements détenu par des particuliers. Les ménages restants, propriétaires de trois logements ou plus (11 % des ménages), possèdent quant à eux près de la moitié du parc (46 %). En particulier, les ménages détenteurs de 10 logements ou plus (0,6 % des ménages) possèdent 8 % du parc3, soit quatorze fois leur part dans la population, et les détenteurs de 20 logements ou plus (0,1 % des ménages, soit environ 30 000 ménages) détiennent 2,4 % des logements.
Un bien immobilier peut être détenu par plusieurs personnes, soit au sein d’un même ménage, soit dans des ménages différents : 14 % des logements sont ainsi possédés par plusieurs ménages. un ménage ayant un droit de propriété sur un logement en est considéré comme propriétaire, quelle que soit la part détenue, et quel que soit le nombre de ménages ayant un droit de propriété sur ce logement.
Le nombre de logements possédés augmente avec le niveau de vie. Parmi les 20 % de personnes les plus modestes, 67 % des ménages ne possèdent aucun logement, contre 15 % parmi les 20 % les plus aisés (graphique suivant). Cet écart est encore plus marqué parmi les ménages multi-propriétaires. Parmi les 10 % les plus aisés, 60 % des ménages sont multi-propriétaires, contre 13 % des ménages de la moitié la plus modeste. Cette part s’élève à 76 % parmi les 1 % les plus aisés, et 81 % parmi les 0,1 % les plus aisés. Enfin, 3,5 % des ménages (soit un million de ménages) sont propriétaires d’au moins cinq logements, mais ils sont 16 % parmi les 10 % les plus aisés, 33 % parmi les 1 % les plus aisés, et même 42 % parmi les 0,1 % les plus aisés.
Nombre de logements possédés selon le niveau de vie
58 % des ménages multi-propriétaires sont aisés ou plutôt aisés, contre 34 % de l’ensemble des ménages. Inversement, il y a deux fois moins de ménages pauvres ou modestes parmi les ménages multi-propriétaires que dans l’ensemble de la population (19 % contre 41 %). Ainsi, 41 % des ménages multi-propriétaires appartiennent aux 20 % les plus aisés. Les ménages les plus aisés ont en effet une capacité d’épargne plus importante, qu’ils peuvent mobiliser pour se constituer un patrimoine immobilier, pour leur résidence principale, mais aussi pour des résidences secondaires ou des investissements locatifs. Les transmissions intergénérationnelles aident aussi à se constituer un patrimoine immobilier, or les héritiers et donataires sont plus aisés que la moyenne.
On se réfère à plusieurs études, celles de l’Insee sur les inégalités de revenus dans le monde déjà citée, et celles d’Eurostat [8]. Une étude de l’Insee observe que les inégalités de revenus ont augmenté dans la majorité des pays de l’Union européenne depuis le début de la crise de 2008. Enfin uen étude de FIPECO compare les niveaux de vie.
1/ Les inégalites de revenus entre pays
a) Le revenu disponible équivalent médian, 2022, (SPA par habitant)
En 2022, le revenu disponible annuel médian était de 18 706 SPA par habitant dans l’UE. Dans l’ensemble des États membres de l’UE, il variait de 33 214 SPA au Luxembourg et 25 437 SPA aux Pays-Bas à 9 671 SPA en Bulgarie et 9 826 SPA en Slovaquie.
La carte suivante montre que les niveaux les plus élevés de revenu disponible annuel médian ont été enregistrés dans les États membres centraux et nordiques del’UE. Un revenu disponible médian de plus de 20 000 SPA par habitant a été enregistré au Luxembourg, aux Pays-Bas, en Autriche, en Allemagne, au Danemark, en Belgique, en Suède, en Irlande, en Finlande et en France. En revanche, le revenu disponible médian était inférieur dans la plupart des États membres du Sud et de l’Est. Un revenu disponible médian inférieur à 10 000 SPA par habitant a été enregistré en Hongrie, en Grèce, en Bulgarie et en Roumanie.
Revenu disponible équivalent médian, 2022, (SPA par habitant)
Source : Eurostat
b) Les transferts sociaux ont contribué à hauteur de 5 416 SPA par habitant au revenu disponible médian
Les transferts sociaux, couvrent l’aide accordée par les unités institutionnelles centrales, étatiques ou locales et comprennent, entre autres, les pensions, les allocations de chômage, les prestations de maladie et d’invalidité, les allocations de logement, l’aide sociale et les dégrèvements fiscaux.
Le graphique suivant montre l’impact global des transferts sociaux sur le revenu disponible. Ces informations sont réparties entre les transferts pour les retraites et les autres transferts sociaux, par exemple, les prestations de sécurité sociale et l’aide sociale qui visent à atténuer ou à réduire le risque de pauvreté.
En 2022, le revenu disponible annuel médian total par habitant dans l’UE était de 18 706 SPA. Pour l’ensemble de l’UE, les transferts sociaux (y compris les pensions) ont entraîné une augmentation de 5 416 SPA par habitant du revenu disponible médian, les transferts sociaux autres que les pensions contribuant à 1 537 SPA.
Parmi les États membres de l’UE, des variations considérables ont été observées dans la contribution des transferts sociaux au revenu disponible médian en 2022. Les transferts les plus importants ont été observés au Luxembourg, où les transferts sociaux (y compris les pensions) ont augmenté le revenu disponible médian de 8 395 SPA par habitant. Les transferts sociaux (y compris les retraites et autres pensions) étaient également relativement élevés en Autriche (7 501 SPA) et en France (7 069 SPA).
Une tendance quelque peu différente apparaît si les pensions sont exclues de l’analyse. En 2022, les transferts sociaux autres que les pensions ont contribué à hauteur de plus de 2 500 SPA par habitant au revenu disponible médian en Belgique (2 969 SPA) et au Luxembourg (2 656 SPA).
Revenu disponible équivalent médian et ampleur des transferts sociaux, 2022, (SPA par habitant)
c) Le revenu disponible médian de l’UE en termes réels a augmenté de 20 % depuis 2010
Le revenu en termes réels montre l’évolution annuelle du pouvoir d’achat des ménages suite à la crise financière de 2008. La conversion en « termes réels » est calculée en utilisant, comme déflateur des prix, l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) de l’année de revenu reflétée. du revenu disponible équivalent médian (c’est-à-dire l’IPCH de « l’année d’enquête – 1 »). L’indicateur est exprimé sous forme d’indice (avec indice à 100 pour année de base = SILC 2010).
En 2022, le revenu disponible en termes réels dans l’UE se situait à un indice de 120. Cela indique qu’en moyenne, il y a eu une augmentation réelle de 20 % du revenu disponible depuis 2010 (graphique suivant) .
Dans l’UE, la plupart des États membres ont signalé une augmentation du revenu disponible médian en termes réels. La Roumanie arrive en tête du classement du revenu réel disponible avec un indice de 226, soit une augmentation de plus du double depuis 2010. La Lituanie arrive ensuite avec 200, suivie de l’Estonie avec 193 et de la Lettonie avec 192. En revanche, la Grèce a l’indice le plus bas avec 74, ce qui indique une diminution par rapport à 2010. L’Espagne et la France se situaient juste en dessous du niveau de référence de 2010, soit 99, tandis que l’Italie le dépassait légèrement avec 101.
Revenu disponible équivalent médian en termes réels, 2022 (Indice SILC 2010 = 100),(%)
2/ L’inégalité des revenus dans l’UE
Bien que le revenu disponible médian fournisse une mesure du niveau de vie moyen, en excluant la distorsion potentielle des mesures agrégées telles que le PIB par habitant, il n’offre toujours pas une image complète car il ne rend pas compte de la répartition des revenus au sein de la population et ne fait donc pas grand-chose pour reflèter les inégalités de revenus.
a) Inégalités des revenus mesurée par le coefficient de Gini supérieure à la moyenne de l’UE dans 12 États membres
En 2022, le coefficient de Gini pour l’UE était de 29,6. Les disparités de revenus les plus élevées entre les États membres de l’UE (avec un coefficient de Gini d’au moins 34,0, comme le montre la teinte la plus sombre sur la carte suivante ont été enregistrées en Bulgarie (38,4), en Lituanie (36,2) et en Lettonie (34,3). Un groupe d’États membres, avec un coefficient de Gini supérieur à la moyenne de l’UE de 29,6 et compris entre 31,0 et 33,9, comprenait Malte, la Grèce, l’Estonie, l’Espagne, le Portugal, la Roumanie et l’Italie. En Croatie, en Allemagne, à Chypre, au Luxembourg et en France, les coefficients de Gini étaient proches de la moyenne de l’UE, ce qui indique une répartition des revenus conforme au coefficient de l’UE. À l’autre extrémité de l’échelle, les revenus étaient répartis plus équitablement en Slovaquie, en Slovénie, en Tchéquie et en Belgique, où le coefficient de Gini était inférieur à 25,0.
b) Les personnes dans les 20 % supérieurs de la distribution des revenus ont reçu 38,2 % du revenu disponible
En 2021, 38,2 % (38,1% en France) du revenu disponible dans les États membres de l’UE étaient attribués aux 20 % de la population ayant les revenus les plus élevés, tandis que les 20 % ayant les revenus les plus faibles recevaient une part de 7,9 % (graphique suivant).
En 2021, les 20 % de la population ayant les revenus les plus élevés en Bulgarie, en Lituanie, en Lettonie et au Portugal ont reçu plus de 40,0 % du revenu disponible dans leurs pays respectifs. Dans la plupart des États membres de l’UE, la part des 20 % les plus riches représentait en 2021 au moins 35,0 % du revenu disponible total. Des valeurs inférieures à 35,0 % ont été enregistrées en Belgique (33,8 %), en Slovénie (33,2 %) et en Slovaquie (31,2 %, données 2020).
Répartition du revenu disponible équivalent par quintile de revenu, 2021 (%)
c) Le revenu des personnes du quintile de revenu supérieur est 5 fois supérieur à celui des personnes du quintile inférieur
Les inégalités de revenus au sein des pays peuvent également être illustrées par le ratio de partage du quintile de revenu , qui est calculé comme le rapport entre la part de revenu reçue par le quintile supérieur et la part de revenu reçue par le quintile inférieur. Des valeurs élevées pour ce ratio suggèrent qu’il existe des disparités considérables dans la répartition des revenus entre les groupes à revenu élevé et à faible revenu.
En 2021, le ratio de partage des quintiles de revenu pour l’UE était de 5,0 (graphique suivant). Cela indique qu’en moyenne, le revenu perçu par les 20 % de la population aux revenus les plus élevés était cinq fois supérieur au revenu perçu par les 20 % de la population aux revenus les plus faibles.
Parmi les États membres de l’UE, le ratio de partage des quintiles de revenu variait de 3,0 en Slovaquie (données de 2020) et inférieur à 4,0 au Danemark, aux Pays-Bas, en Irlande, en Finlande, en Tchéquie, en Belgique et en Slovénie à plus de 6,0 en Lituanie, en Espagne, en Lettonie et en Roumanie, culminant à 7,5 en Bulgarie.
Ratio de partage des quintiles de revenu, 2021
d) Les transferts sociaux ont réduit les inégalités de revenus notamment en France
L’effet des systèmes de protection sociale, c’est-à-dire des pensions et autres transferts sociaux, dans la lutte contre les inégalités de revenus peut être démontré en comparant les coefficients de Gini avant et après les transferts sociaux afin de fournir une évaluation quantitative de leur impact redistributif.
En 2021, le coefficient de Gini pour le revenu disponible équivalent médian avant tous les transferts sociaux était de 52,2 % dans l’UE, alors qu’il est tombé à 30,1 % après transferts sociaux. L’impact des retraites et autres transferts sociaux sur les inégalités de revenus a été particulièrement important en Allemagne, aux Pays-Bas et en France — où le coefficient de Gini a diminué de 25,1 à 29,5 points de pourcentage (pp) (58,8% en France avant les transferts sociaux, 29,3% après donc 0,8 point de moins que dans l’UE) — et en Suède où le coefficient a diminué de 30,1 pp (graphique suivant). Parmi les États membres de l’UE, l’impact le plus faible des retraites et autres transferts sociaux sur les inégalités de revenus a été enregistré en Lettonie (12,5 pp).
Coefficient de Gini du revenu disponible équivalent par habitant, 2021, (%)
3/ Synthèse des inégalités de revenus dans les principaux pays de l’UE en 2021
Les inégalités de revenus avant redistribution sont en France supérieures à la moyenne européenne. Le coefficient de Gini des niveaux de vie, avant transferts et impôts, est estimé à 37,4 en France en 2021 (36,7 pour la zone euro et 34,9 pour l’Union européenne). Elles sont un peu plus fortes en Allemagne (38,1).
Mais le coefficient de Gini des niveaux de vie, après transferts et impôts, est estimé à 29,3 en 2021 par Eurostat, ce qui était inférieur à la moyenne de l’Union européenne (30,1) ou de la zone euro (30,5). La France est donc un peu plus égalitaire que la moyenne. Son coefficient est notamment inférieur à ceux de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Espagne et supérieur à ceux de la Suède, de la Belgique, de la Pologne et des Pays-Bas.
L’ampleur des inégalités de niveau de vie (coefficients de Gini) en Europe en 2021
Le graphique suivant montre ainsi que l’ampleur de la redistribution en France en 2021 est supérieure à la moyenne européenne et à celle de la plupart des grands pays européens à l’exception de la Belgique et de la Suède. Elle est particulièrement faible en Italie et en Pologne.
L’ampleur de la redistribution en 2021
Les prélèvements obligatoires contribueraient à hauteur de 37,5 % à la redistribution des revenus en France, dont 28,0 % pour le seul impôt sur le revenu, et les prestations sociales à hauteur de 62,5% (dont 27,5 % pour les minima sociaux et la prime d’activité, 20,9 % pour les prestations familiales et 13,6 % pour les aides au logement).
Après les pertes de revenus enregistrées au cours de la première année de la pandémie en 2020, le revenu d’emploi médian devrait augmenter de 6,5 % en 2021, avec une reprise plus forte pour les travailleurs à faible revenu. En revanche, il reste encore légèrement en dessous du niveau pré-pandémique (2019). Le revenu disponible équivalent est le revenu total d’un ménage, après impôts et autres déductions, disponible pour dépenser ou épargner, divisé par le nombre de membres du ménage convertis en adultes égalisés ; les membres du ménage sont égalisés ou rendus équivalents en pondérant chacun selon son âge, à l’aide de l’ échelle d’équivalence.
1/ Augmentation médiane du revenu disponible et du revenu d’emploi au niveau de l’UE et dans tous les pays
En 2021, les premières estimations montrent une augmentation globale du revenu disponible équivalent médian de 3,6 % au niveau de l’UE, avec des changements positifs estimés dans tous les pays. Outre les valeurs médianes, des améliorations de revenu ont été observées tout au long de la distribution, y compris les faibles revenus.
Selon les estimations, les indicateurs de pauvreté resteront stables au niveau de l’UE en 2021, avec une hétérogénéité au niveau national .
Au niveau de l’UE, les premières estimations montrent que le taux de risque de pauvreté (AROP) est resté stable également en 2021, mais la situation varie selon les États membres de l’UE, en particulier lors de l’évaluation des effets cumulés au cours des deux dernières années. En fait, les estimations actuelles de 2021 par rapport aux valeurs pré-pandémiques de 2019 montrent une augmentation globale statistiquement significative du taux de pauvreté pour la Grèce, la Croatie, la Lettonie et les Pays-Bas. Une diminution statistiquement significative est estimée pour la Bulgarie, l’Allemagne, la Finlande, la Roumanie et la Suède.
Revenu d’emploi médian (tranche d’âge 16-64 ans) et revenu disponible équivalent (ensemble de la population), UE
L’estimation du revenu disponible médian pour l’UE a enregistré une augmentation en 2021 de +3,6 %. Dans tous les pays sauf un pour lesquels des données sont publiées (pas la France), une augmentation du revenu disponible médian est estimée pour 2021 par rapport à 2020. L’exception est l’Autriche, où le revenu disponible médian estimé n’a pas montré de changement significatif.
2/ Une reprise plus forte pour les revenus des travailleurs à faible revenu
Le graphique suivant montre l’évolution du revenu d’emploi selon les quintiles de revenu . Les premières estimations montrent des augmentations plus importantes en 2021 pour les travailleurs des premiers quintiles, donc avec des revenus plus faibles. Cela est conforme à l’évolution positive de l’emploi et à la réduction significative du nombre de travailleurs touchés par les mesures COVID-19.
Évolution du revenu d’emploi total par quintile, UE
3/ Le revenu disponible médian affiche une augmentation de 4 % par rapport au niveau d’avant la pandémie (2019)
Au-delà des revenus du travail, le revenu disponible désigne le revenu total du ménage incluant les impôts et les prestations sociales. Le revenu disponible médian en 2021 dans l’UE affiche une augmentation de 4 % par rapport au niveau de 2019.
En 2021, la plupart des États membres ont poursuivi les régimes à court terme visant à atténuer l’impact économique de la pandémie de COVID-19, tels que les régimes de compensation salariale, les transferts de l’État aux entreprises et aux ménages et les prestations forfaitaires. L’objectif était de limiter les pertes de revenus et d’empêcher les travailleurs de perdre leur emploi. Le graphique suivant montre la part des prestations perçues par les personnes relevant de régimes d’indemnisation, en pourcentage du revenu total de l’emploi (y compris les prestations). La compensation est plus élevée pour les quintiles inférieurs et l’ampleur est plus faible en 2021, en ligne avec la réduction du nombre de personnes en emploi affectées par les mesures de confinement.
Part des prestations pour les personnes sous régimes d’indemnisation, UE % de revenu d’emploi par quantile
4/ Le taux de risque de pauvreté de la population active diminuerait ou resterait stable dans la plupart des pays.
Le graphique suivant montre l’évolution du risque de pauvreté (AROP) par Les statistiques de l’UE sur le revenu et les conditions de vie , en abrégé EU-SILC, et les premières estimations de 2021, pour tous les individus et pour la population en âge de travailler. Malgré la situation hétérogène d’un État membre à l’autre, au niveau agrégé de l’UE, on peut observer une évolution constante de la pauvreté monétaire, mesurée par le taux de risque de pauvreté. Celle-ci est estimée stable en 2021 pour l’ensemble de la population, tandis que l’AROP pour la tranche d’âge 18-64 ans accuse une baisse plus forte.
Quatre États membres affichent une augmentation statistiquement significative de la pauvreté pour 2019-2021, mais avec des schémas différents. Par exemple, la Croatie a suivi la même tendance les deux années, tandis que pour la Grèce, une reprise est estimée en 2021, mais pas suffisante pour revenir aux valeurs de 2019.
Un deuxième groupe de pays montre une stabilité sur la période 2019-2021. Pour la plupart d’entre eux, le taux de pauvreté est resté plutôt stable en 2020 et 2021, tandis que pour d’autres pays de ce groupe, comme l’Espagne et l’Autriche, les augmentations en 2020 ont été compensées par la baisse de l’AROP en 2021.
Enfin, une diminution est estimée de 2019 à 2021 dans 7 pays : Bulgarie, Finlande, Chypre, Allemagne, Lituanie, Roumanie et Suède.
Évolution du taux de risque de pauvreté (AROP) : global et tranche d’âge 18-64 ans, UE, 2005-2021
5/ Salaires, niveaux de vie et pauvreté en Europe en 2020-2021
Dans l’Union européenne (UE) en 2021, le salaire brut annuel moyen en équivalent temps plein (EQTP) dans les entreprises de dix salariés ou plus de l’industrie, de la construction et des services marchands varie de 10 500 euros en Roumanie à 69 100 euros au Danemark (carte suivante). Il est inférieur à 21 000 euros dans les pays baltes et dans la plupart des pays d’Europe de l’Est. Les salaires bruts sont en moyenne plus élevés dans les pays scandinaves et les pays à l’ouest de l’UE. Avec un salaire brut annuel moyen de 41 300 euros en EQTP, la France occupe la 10e position des pays de l’UE, devant l’Italie (38 000 euros) et derrière la Suède (46 900 euros). Ces écarts de salaire ne permettent toutefois pas d’apprécier l’aisance financière relative des habitants : les politiques de prélèvements obligatoires, de prestations sociales, ainsi que le niveau des prix, qui participent aux différences observées, ne sont en effet pas pris en compte.
Salaire brut annuel moyen en équivalent temps plein dans l’industrie, la construction et les services marchands en 2021
En 2020, le niveau de vie annuel moyen pour l’ensemble de l’UE s’élève à 20 800 euros (tableau suivant). Les niveaux des prix sont très variables d’un pays à l’autre. La parité de pouvoir d’achat (PPA) permet de convertir des valeurs en euros en valeurs comparables entre pays. En euros comme en PPA, le niveau de vie annuel moyen est le plus haut au Luxembourg ; en PPA, il est 3,8 fois plus élevé qu’en Roumanie, où il est le plus faible. Le niveau de vie annuel moyen en PPA en Europe de l’Ouest et du Nord est 1,3 fois plus élevé qu’en Europe du Sud, et 1,9 fois plus élevé qu’en Europe de l’Est.
En PPA, le seuil de pauvreté, fixé à 60 % du niveau de vie annuel médian dans chaque pays, est compris pour une personne seule entre 11 700 euros (France) et 17 200 euros (Luxembourg) dans les pays d’Europe du Nord (hors pays baltes) et de l’Ouest, entre 6 100 euros (Grèce) et 11 300 euros (Malte) dans les pays d’Europe du Sud et entre 4 600 euros (Roumanie) et 8 600 euros (Estonie) dans les pays d’Europe de l’Est et les pays baltes.
En 2020, le taux de pauvreté monétaire est de 17 % dans l’ensemble de l’UE. La pauvreté étant définie de manière relative, un niveau de vie moyen faible n’implique pas nécessairement un taux de pauvreté élevé et un niveau de vie moyen élevé ne garantit pas un taux de pauvreté faible. Ainsi, alors même que le niveau de vie moyen est relativement faible en République tchèque, en Slovaquie et en Hongrie, le taux de pauvreté y est bas (de 10 % à 12 %). La Belgique, la Finlande, le Danemark, l’Irlande, les Pays‑Bas, l’Autriche et la France ont à la fois un niveau de vie élevé et des taux de pauvreté modérés (de 12 % à 14 %). Dans les pays du Sud, la pauvreté monétaire est particulièrement développée en Italie et en Espagne (20 % et 21 %). Elle l’est aussi dans les pays baltes, entre 21 % et 22 %. La Bulgarie a le plus fort taux de pauvreté de l’UE (24 %).
Niveau de vie et pauvreté dans l’Union européenne en 2020
Source : Eurostat, EU-SILC 2020 (extraction des données en juillet 2022)
6/ En France, les réformes socio-fiscales de 2020 et 2021 augmentent le revenu disponible des ménages, en particulier pour la moitié la plus aisée
En 2020 et 2021, plusieurs réformes du système socio-fiscal ont été mises en œuvre. Parmi celles‑ci, certaines sont pérennes, comme la baisse de l’impôt sur le revenu en 2020, la poursuite de la suppression de la taxe d’habitation en 2020 et 2021, les revalorisations du minimum vieillesse et de l’allocation supplémentaire d’invalidité (Asi), l’extension de la Garantie jeunes en 2021 et la sous‑indexation de certaines prestations par rapport à l’inflation en 2020.
Les années 2020 et 2021 ont aussi été marquées par des mesures exceptionnelles. En 2020, en réponse à la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid‑19, des aides ponctuelles ont été mises en place, particulièrement ciblées sur les ménages les plus modestes. En fin d’année 2021, d’autres aides exceptionnelles ont été versées à certains ménages, afin de contrer les effets de la hausse des prix : un chèque complémentaire de 100 euros a été envoyé en décembre 2021 aux bénéficiaires du chèque énergie et une « indemnité inflation » de 100 euros a été versée.
L’Insee a évalué les conséquences budgétaires de ces réformes et leurs effets sur le revenu disponible et le niveau de vie des ménages en 2021.
Les réformes prises en compte concernent les prélèvements directs (cotisations et contributions sociales, impôt sur le revenu, taxe d’habitation), les principales prestations monétaires (prestations familiales, minima sociaux), certaines aides sociales dédiées à des dépenses spécifiques (chèque énergie). L’exonération fiscale et sociale de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (Pepa), entrée en vigueur en 2019 et reconduite depuis, a pu être chiffrée pour la première fois cette année.
a) Les réformes pérennes de 2020 et 2021 mobilisent des masses financières bien supérieures aux mesures exceptionnelles et profitent particulièrement à la moitié la plus aisée des personnes.
L’impact d’une mesure sur les inégalités de revenus dépend à la fois de son montant global et de son ciblage. Parmi les mesures mises en place en 2020 et 2021, celles concernant les prélèvements directs mobilisent les masses financières les plus importantes, avec une hausse de 11,1 milliards d’euros du revenu disponible total des ménages (tableau suivant). Plus précisément, les dégrèvements de la taxe d’habitation de 2020 et 2021 relèvent le revenu disponible de 5,7 milliards d’euros et la réforme de l’impôt sur le revenu de 5,4 milliards d’euros. Ces mesures profitent de manière plus marquée aux 50 % de personnes les plus aisées : le gain moyen lié à la réforme de l’impôt sur le revenu s’accroît jusqu’au 8e décile et le dégrèvement de la taxe d’habitation profite pour la première fois en 2021 aux 20 % les plus aisés. Rien n’indique toutefois que la taxe foncière n’augmentera pas dans les prochaines années pour compenser ce manque à gagner des communes.
Effet moyen et nombre de ménages gagnants et perdants des mesures de 2020 et 2021 (effet consolidé)
Sources : Insee, enquête Revenus fiscaux et sociaux 2019 (actualisée 2021), enquête Budget de famille 2017 ; Insee-Drees-Cnaf, modèle Ines 2021 en juillet 2022.
Les réformes des prestations intervenues en 2020 et 2021 (mesures exceptionnelles et réformes pérennes) représentent en 2021 une hausse de 1,6 milliard d’euros du revenu disponible des ménages, soit bien moins que celles des prélèvements. Parmi elles, les mesures exceptionnelles sont particulièrement ciblées sur les plus modestes : en 2020, le versement des aides exceptionnelles de solidarité (AES) et de la majoration de 100 euros de l’allocation de rentrée scolaire (ARS) a mobilisé 2,1 milliards d’euros, dirigés aux quatre cinquièmes vers les 30 % des personnes les plus modestes. Mécaniquement, ces dispositifs ponctuels non reconduits l’année suivante se traduisent en 2021 par une baisse d’autant du revenu disponible des ménages concernés. Le bonus exceptionnel du chèque énergie versé en 2021 en réponse à la hausse des prix de l’énergie (430 millions d’euros) bénéficie pour plus des quatre cinquièmes aux 20 % les plus modestes. L’indemnité inflation a mobilisé en 2021 une masse de 1,2 milliard d’euros, davantage répartie sur l’ensemble de l’échelle de niveaux de vie.
Au total, les nouvelles mesures de 2020 et 2021 augmentent le revenu disponible de 12,7 milliards d’euros en 2021, principalement du fait des mesures pérennes, en raison du poids des réformes sur les prélèvements directs. Pour les 20 % les plus modestes, l’effet des mesures exceptionnelles est plus élevé que celui des mesures pérennes (+ 70 euros contre + 40 euros). Au delà, l’effet des mesures pérennes domine et augmente plus fortement le niveau de vie des ménages intermédiaires et aisés (+ 440 euros environ pour les 30 % les plus aisés) (graphique suivant). À noter que l’effet des mesures exceptionnelles de 2020 et 2021 correspond à l’effet des seules aides versées en 2021, puisque celles de 2020 n’ont pas été reconduites.
Décomposition de l’effet des mesures pérennes et des mesures exceptionnelles en 2020 et 2021 sur le niveau de vie, par dixième de niveau de vie (effet consolidé)
Sources : Insee, enquête Revenus fiscaux et sociaux 2019 (actualisée 2021), enquête Budget de famille 2017 ; Insee-Drees-Cnaf, modèle Ines 2021 en juillet 2022.
b) Les mesures de 2020 augmentent le niveau de vie de tous, celles de 2021 bénéficient surtout aux 20 % les plus aisés
Prises ensemble, les mesures de 2020 et 2021 augmentent en 2021 le niveau de vie de la population de 1,1 %, soit de 280 euros par personne en moyenne : 240 euros en raison des réformes de 2020 et 40 euros de celles de 2021 (tableau suivant). Comme déjà dit au chapitre 4, en cumulant les mesures des deux années, le gain moyen de niveau de vie est quasi stable jusqu’au 3e décile puis croît jusqu’au 8e décile, atteignant + 490 euros pour les personnes situées entre le 7e et le 8e déciles, puis diminue légèrement (+ 430 euros pour les personnes dont le niveau de vie est supérieur au 9e décile).
Effet consolidé sur le niveau de vie et les inégalités des réformes de 2020 et 2021 par rapport à une législation contrefactuelle
c) La baisse d’impôt sur le revenu augmente le revenu disponible de la moitié la plus aisée des personnes
La loi de finances pour 2020 instaure une baisse d’impôt sur les revenus 2020 : le taux applicable à la première tranche du barème est abaissé de 14 % à 11 % et le barème est ajusté pour neutraliser cette mesure pour les foyers fiscaux imposés marginalement à 41 % ou 45 % (moins de 2 % des foyers fiscaux). Cette réforme se traduit par une baisse des taux de prélèvement à la source dès 2020. La baisse d’impôt représente une augmentation du revenu disponible de 5,4 milliards d’euros pour 15,3 millions de ménages, soit un gain annuel de revenu disponible de 350 euros en moyenne par ménage concerné. La réforme a peu d’impact sur la moitié la plus modeste de la population, dont peu de foyers fiscaux sont imposables (graphique suivant). Elle favorise donc principalement les personnes se situant au‑dessus du niveau de vie médian, avec un gain annuel moyen croissant jusqu’au 8e décile, atteignant 290 euros entre les 7e et 8e déciles. Le gain moyen décroît ensuite légèrement tout en haut de la distribution. Comme elle bénéficie aux personnes de revenus intermédiaires, cette mesure relève le revenu médian, donc le seuil de pauvreté, ce qui contribue à accroître de 0,2 point le taux de pauvreté monétaire.
Décomposition de l’effet des principales mesures concernant les prélèvements directs sur le niveau de vie, par dixième de niveau de vie (effet consolidé)
Ce sont en général des pays pauvres à l’exception de la Chine, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et dans une moindre mesure, l’Afrique du Sud voire quelques pays d’Amérique latine mais pas l’Inde où le nombre de pauvres est relativement élevé.
Bidonville à Delhi, Inde – 2008
Au niveau mondial, les trente dernières années présentent un paradoxe étonnant : alors que les plus riches ont vu leurs fortunes se multiplier et leur part dans la distribution des revenus mondiaux devenir de plus en plus écrasante, les plus pauvres du monde, eux aussi, ont connu une période de progrès remarquable. Selon E. Duflo, le nombre de personnes vivant dans une pauvreté extrême a été divisé par deux ; les mortalités infantile et maternelle ont également été divisées par deux ; presque tous les enfants du monde vont aujourd’hui à l’école ; des maladies comme le paludisme, ou VIH-SIDA, sont bien mieux maîtrisées. Ces avancées ne sont pas le fait de quelques pays exceptionnels ou d’une générosité inhabituelle des pays riches, mais de politiques plus raisonnées et plus efficaces dans de nombreuses parties du globe.
Mais cette évolution positive serait menacée aujourd’hui : la réduction de la pauvreté s’est ralentie depuis plusieurs années ; la crise du Covid, suivie par les sursauts du commerce international (baisse des importations de céréales par les pays africains suite à la guerre en Ukraine), a replongé de nombreux individus dans des pièges de pauvreté dont ils croyaient s’être échappés ; la pollution et les maladies non communicables, la détresse mentale sont autant de nouveaux risques pour la santé ; et plus que tout, les conséquences du réchauffement de la planète, qui vont frapper de manière disproportionnée les pays les plus pauvres, menacent d’effacer la plupart des gains acquis avant 2020.
On se réfère aussi à une étude aux États-Unis. Enfin une étude de l’Insee examine de nouvelles méthodes permettant de développer un système de comptes nationaux distributifs – Distributional National Accounts, DINA– et présente des résultats nouveaux sur la dynamique des inégalités de revenus mondiales Les séries DINA peuvent servir à analyser la répartition de la croissance dans les différents groupes de revenus.
1/ La pauvreté dans les pays du Sud
a) La pauvreté dans les pays du Sud s’est consiodérablement réduite entre 1990 et 2019
« Essayer de trouver les bons marqueurs et les bonnes façons de les agréger pour mesurer la pauvreté semble compliqué. Des composantes de la pauvreté pourraient être oubliées, car on n’y penserait pas intuitivement. Mieux vaut donc garder une vision large de la définition de cette notion. On peut tout de même dire que tout individu dont les ressources – soit personnelles, soit celles disponibles dans la société ou dans la communauté – limitent ses opportunités de se réaliser ou de mener la vie qu’il souhaite est pauvre. Ce concept de pauvreté évolue avec les sociétés. Selon la communauté internationale, les ménages pauvres sont ceux qui disposent de moins de 2,15 euros par personne et par jour pour leur consommation de base , pour prendre en compte les données sur les parités de pouvoir d’acaht les plus récentes (2017)« .
« Pourtant, en 2022 être pauvre ne signifie pas seulement ne pas avoir assez de revenus, ou encore ne pas disposer de quoi financer une consommation confortable. C’est aussi ne pas avoir accès à une bonne éducation ainsi qu’à un bon système de santé. Mais la pauvreté recouvre d’autres facettes. Par exemple, dans le cas des femmes, ce serait « ne pas pouvoir réaliser ses ambitions ». Il y a aussi un sujet plus d’actualité, frappant, dans les pays riches : l’accès à l’énergie y est devenu difficile pour de nombreuses personnes. Selon E. duflo, ne pas pouvoir se chauffer suffisamment ou devoir faire des sacrifices pour se chauffer fait partie de la pauvreté ».
« Jusqu’à la pandémie de Covid, la qualité de vie des personnes très défavorisées s’était nettement améliorée. Dans les trente dernières années précent 2020, l’extrême pauvreté a été divisée environ par deux. D’autres aspects de la pauvreté ont aussi évolué favorablement. La mortalité infantile a été divisée par deux depuis 1990 demême que la mortalité maternelle. D’autre part presque tous les enfants du monde sont scolarisés aujourd’hui — du moins dans le primaire —, avec une grande exception dans la zone du Sahel. Sur le plan sanitaire, le nombre de décès liés à l’épidémie du sida a chuté de manière radicale à partir des années 2000″.
« Mais il restait beaucoup de progrès à accomplir. Par exemple, la participation des femmes au marché du travail n’a pas vraiment augmenté. Mais dans l’ensemble, le bien-être des plus pauvres a énormément progressé. Cette amélioration vient, pour une large part, du développement économique rapide de l’Inde et surtout de la Chine, mais pas seulement. En Afrique, les revenus n’ont pas beaucoup augmenté; néanmoins les indicateurs de bien-être, en premier lieu ceux liés à la santé, ont évolué positivement ».
b) La crise du Covid et la guerre en Ukarine et leurs conséquences
L’année 2020 a marqué un tournant historique, avec la rupture d’un cycle de convergence mondiale des revenus. Les personnes les plus pauvres ont payé le plus lourd tribut à la pandémie : les pertes de revenu ont atteint en moyenne 4 % pour les 40 % les plus pauvres de la population, soit deux fois plus que pour les 20 % les plus riches. En conséquence, les inégalités dans le monde ont augmenté pour la première fois depuis des décennies.
« Les pays pauvres ont subi, et subissent toujours de plein fouet, les retombées économiques de la crise du Covid. L’adoption de mesures budgétaires vigoureuses a certes permis de réduire sensiblement l’impact de la pandémie sur la pauvreté. De fait, sans ce soutien, le taux de pauvreté moyen dans les économies en développement aurait été supérieur de 2,4 points de pourcentage. Celà étant, les dépenses publiques se sont avérées bien plus bénéfiques pour la réduction de la pauvreté dans les pays les plus riches, qui ont généralement réussi à compenser entièrement l’impact de la pandémie sur la pauvreté grâce à leur politique budgétaire et à d’autres mesures de soutien d’urgence. Les pays en développement, qui disposaient de moins de ressources, ont dépensé moins et obtenu des résultats plus modestes. À l’inverse des pays riches, ils n’ont pas été en mesure de financer des dispositifs de type « quoi qu’il en coûte », c’est-à-dire de multiplier les aides. Les pays riches ont dépensé en moyenne 25 % de leur PIB en mesures de soutien. Les pays pauvres ont déboursé 2 % de leur PIB, leurs populations ont été ainsi beaucoup moins protégées ».
« Tout s’y est effondré de manière beaucoup plus radicale, aussi bien les économies que les services sociaux. Ainsi l’Inde a perdu 27 % de son PIB en 2020. À cette crise du Covid, s’ajoute l’augmentation des prix alimentaires… 345 millions de personnes seraient en état d’insécurité alimentaire aujourd’hui ». Ils subissent également la hausse du cours du dollar et les problèmes d’approvisionnement liés à la guerre en Ukraine. Ils subissent enfin la hausse des taux d’intérêt ce qui implque que 9 pays pauvres sont incapables de rembourser leurs dettes publiques. « Bref, des gens sont tombés, ou retombés, dans la pauvreté. Et personne ne peut dire s’il s’agit d’une vague passagère ».
Selon une nouvelle étude de la Banque mondiale Rapport sur la pauvreté et la prospérité partagée, https://openknowledge.worldbank.org/entities/publication/a33782e6-415e-5699-a9a8-4a50dc4ae3bc, l’objectif d’élimination de l’extrême pauvreté dans le monde a peu de chances d’être atteint d’ici à 2030 en l’absence de taux de croissance record pendant le reste de cette décennie. L’étude montre que la pandémie de COVID-19 a infligé le plus grand revers à l’action menée depuis 1990 pour faire reculer la pauvreté dans le monde et que la guerre en Ukraine menace d’aggraver la situation.
Le rapport dresse un premier état de lieux de la pauvreté dans le monde après la série de chocs inédite qui a ébranlé l’économie mondiale ces dernières années. Il en ressort que la pandémie a fait basculer près de 70 millions de personnes dans l’extrême pauvreté en 2020, soit la plus forte augmentation en un an depuis 1990 et le début du suivi des chiffres de la pauvreté dans le monde. Cela signifie que 719 millions de personnes vivaient avec moins de 2,15 dollars par jour à la fin de 2020.
« Les conséquences vont être démesurées dans les pays pauvres du fait de leur situation géographique. Ils se trouvent entre l’équateur et les tropiques ; le climat y est bien plus chaud que dans les pays occidentaux. Par ailleurs, ces pays disposent de peu de moyens pour s’adapter aux conséquences du changement climatique puisque presque toutes les émissions viennent des pays riches. Seule la Chine a pu financer la transition écologique. Il s’agit d’un problème politique terrible avec les victimes d’un phénomène mondial, qui ne peuvent rien faire pour l’empêcher ».
2/ Comment lutter contre la pauvreté dans les pays du Sud ?
Le ratio prévu de 0,7% du PIB des pays riches pour aider les pays pauvres ne semble avoir été jamais atteint. L’objectif international, fixé aux pays riches, de consacrer 0,7 % de leur revenu national à l’assistance au développement est devenu une cause célèbre pour les activistes de l’aide, et, tout dernièrement, pour les hommes politiques. Toute omniprésente et durable qu’elle soit, la cible de 0,7 % n’a cependant jamais été déterminée dans l’intention de représenter le niveau « adéquat » de l’aide dont ont besoin les pays pauvres. Son historique montre qu’elle a été calculée en utilisant des méthodes qui n’ont que très peu de liens avec la compréhension actuelle du processus de développement. En fait, aucun gouvernement ou organisme international n’a jamais accepté de consacrer 0,7 % de son revenu à l’aide. Prévu au départ comme un outil politique destiné à encourager les pays riches à accroître modestement leur budget d’aide au développement, le chiffre de 0,7 % était un compromis entre diverses conjectures plus ou moins éclairées, fondées sur les conditions économiques du début des années 1960, et sur un modèle de croissance rudimentaire et très imparfait. En dépit de leurs origines, les « 0,7 % » ont acquis une vie propre pour devenir le cri de ralliement des partisans de l’aide au développement. En 2005, ceux-ci ont en effet plaidé une nouvelle fois (avec un certain succès) pour que les pays riches atteignent cette cible spécifique. Très peu de réflexion a toutefois été accordée au fait de savoir si ce chiffre de « 0,7 % » était adéquat, à la manière dont il avait été obtenu, et à sa réalité dans les accords internationaux.
a) Les pistes du Rpport de la Banque Mondiale
« Au cours de la prochaine décennie, il sera essentiel pour les pays en développement d’investir dans l’amélioration de la santé et de l’éducation, compte tenu des graves pertes d’apprentissage et des reculs sanitaires causés par la pandémie. En cette période d’endettement record et d’épuisement des ressources budgétaires, la tâche ne sera pas aisée. Les pays devront concentrer leurs ressources sur la valorisation du capital humain et l’optimisation de la croissance. ».
« Selon le rapport de la Banque Mondiale déja cité, des réformes nationales peuvent aider à relancer les progrès dans la lutte contre la pauvreté. Un resserrement de la coopération mondiale est également nécessaire. En matière de politique budgétaire, les pays doivent agir rapidement sur trois fronts :
b) Tenter une solution puis si elle ne marche pas en tenter une autre jusqu’à trouver celles qui marchent
Selon E. Duflo, les attitudes vis-à-vis de la pauvreté ont changé aussi bien dans les rangs des universitaires qu’au sein des gouvernements des pays en développement. Il y a beaucoup plus de pragmatisme et de volonté de s’attaquer aux problèmes concrets. Ce qui a conduit au progrès.
Elle distingue 3 manières pragmatiques de lutter contre la pauvreté plus une quattrième, à savoir le réglement de la dette écologique:
Les biens publics mondiaux (carré orahe)
3/ montée des inégalités de revenus dans le monde entre 1980 et 2015 mais moins nettement en Europe
Depuis vingt ans, les inégalités de revenus reculent entre habitants de la planète. Ce mouvement est paradoxal alors que les inégalités tendent à s’accentuer au sein de nombreux pays.
a) L’étude des inégalités depuis 1820
Le graphique suivant montre le degré d’inégalité qui caractérise les différentes régions du monde (https://wir2022.wid.world/www-site/uploads/2023/03/D_FINAL_WIL_RIM_RAPPORT_2303.pdf) . Les écarts sont considérables entre la région la plus égalitaire (l’Europe) et la plus inégalitaire (Moyen-Orient et Afrique du Nord, ou région MOAN). En Europe, la part de revenus des 10 % les plus aisés tourne autour de 36 %, alors qu’elle atteint 58 % dans la région MOAN. Entre ces deux cas de figure, on observe tout un éventail de situations. En Asie de l’Est, les 10 % les plus aisés perçoivent 43 % des revenus et en Amérique latine 55 %.
La moitié la plus pauvre est laissée pour compte : part de revenu perçue par les 50 % du bas, les 40 % du milieu et les 10 % du haut dans les différentes régions du monde, 2021
Si les inégalités se sont creusées dans la plupart des pays, les inégalités entre pays se sont quant à elles amoindries au cours des deux dernières décennies. Au niveau mondial, il en résulte que que le revenu moyen des 10 % des individus les plus riches était environ 50 fois plus élevé que celui des 50 % des pays les plus pauvres en 1980 et il est désormais un peu moins de 40 fois plus élevé (graphique suivant).
Inégalités de revenus mondiales : rapport 10 % du haut / 50 % du bas, 1820-2020
Dans le même temps, les inégalités se sont accrues de manière significative à l’intérieur des pays : le rapport entre le revenu moyen des 10 % des individus les plus aisés et celui des 50 % les plus pauvres au sein des pays presque doublé, passant de 8,5 à 15. Du fait de cette montée en flèche des inégalités intérieures, le monde reste aujourd’hui particulièrement inégalitaire, et ce malgré le rattrapage économique et la forte croissante des pays émergents. Cela signifie en outre que les inégalités intérieures pèsent aujourd’hui davantage que les inégalités entre pays, pourtant déjà considérables (graphique suivant)
Inégalités de revenus mondiales : inégalités entre pays et inégalités à l’intérieur des pays (coefficient de Theil), 1820-2020
Les inégalités mondiales semblent aussi fortes aujourd’hui qu’au début du XXe siècle. Ainsi, la part de revenu perçue par la moitié la plus pauvre de la population mondiale représente environ la moitié de ce qu’elle était en 1820, avant la grande divergence entre les pays occidentaux et leurs colonies (graphiques suivant). En d’autres termes, la route sera encore longue avant d’effacer les inégalités léguées par l’organisation très inégalitaire de la production mondiale entre le milieu du XIXe siècle et le milieu du XXe.
Inégalités de revenus mondiales, 1820-2020
b) Les inégalités de revenus diminueraient dans le monde depuis 1960
Les inégalités de revenus au niveau mondial tendent à diminuer depuis les années 2000, selon les mêmes données du Word Inequality Database (WID) concernant la part du revenu global qui va au dixième le plus riche. En 2000, les 10 % les plus riches du monde recevaient à eux seuls une masse dix fois plus grande de revenus que l’ensemble des 50 % les plus pauvres. Ce rapport est descendu progressivement jusqu’à 7,7 en 2020. Cette baisse ramène l’inégalité des revenus à son niveau de 1960.
Les années 1960 et 1970 ont été marquées par une forte progression des inégalités de revenus mesurées à l’échelle globale. Le rapport entre la masse des revenus perçue par les 10 % les plus riches et celle des 50 % les plus pauvres monte de 7,7 à 10,7 points en 1980, le plus haut atteint en 60 ans. La moitié la plus pauvre de l’humanité ne perçoit plus 6 %, comme en 1970, mais seulement 5 % de l’ensemble en 1980, tandis que les 10 % les plus riches démarrent leur progression, passant de 54 % à 56 % des revenus mondiaux au cours de la même décennie.
À partir de 1985, l’indicateur d’inégalités de revenus se stabilise au niveau mondial : les 10 % les plus riches captent environ dix fois plus que l’ensemble des 50 % les plus pauvres. Les plus riches continuent pourtant leur progression : ils atteignent une part record de 61 % de l’ensemble des revenus en 2000. Mais les 50 % les plus pauvres ont regagné le petit point qu’ils avaient perdu au cours des années 1970.
Le début des années 2000 semble marquer un tournant. Les inégalités de revenus reculent entre les habitants de la planète pour revenir à leur niveau de 1960. Les 10 % les plus riches voient leur part diminuer de 60 % à 55 % de l’ensemble des revenus, tandis que la part des 50 % les plus pauvres connait une très modeste progression, de 6 % à 7 %.
Les évolutions les plus sensibles en termes de partage des revenus se sont jouées à l’intérieur de la moitié la plus riche de la population mondiale. Les 40 % situés entre les 50 % du bas et les 10 % du haut de l’échelle des revenus, ont suivi une évolution inverse de celle de la courbe des 10 % les plus riches. Leur part a régressé entre 1970 et 2000, de 40 % jusqu’à son point le plus bas, à 33 %. Puis, elle a repris aux 10 % les plus riches le terrain qu’elle avait perdu, pour revenir en 2020 au niveau des années 1980, aux alentours de 38 %.
La baisse des inégalités globales de revenus au cours des 20 dernières années montre un rapprochement progressif entre les revenus des habitants des pays les plus riches et ceux des pays émergents, tout particulièrement les plus peuplés, la Chine et l’Inde. Pour autant, cette tendance n’empêche pas qu’au sein de nombreux pays, les inégalités de revenus continuent de progresser : les écarts s’agrandissent entre les riches et les pauvres à l’intérieur de la population chinoise et entre les habitants des États-Unis, par exemple (voir ci-dessous). Mais ils se réduisent entre une moitié pauvre de l’humanité prise dans son ensemble et une classe riche de plus en plus internationale. Cette dernière comprend désormais les plus riches Chinois, aux côtés des habitants aisés d’Amérique du Nord et d’Europe. En 60 ans, le monde a beaucoup changé : il s’est enrichi et la population a été multipliée par 2,5. Les populations des pays émergents ont connu une croissance démographique plus forte que celles des pays les plus riches. En 1960, les 10 % les plus riches du monde étaient composés presque exclusivement d’Américains et d’Européens favorisés. Les 50 % les plus pauvres comprenaient une grande majorité des habitants d’Asie. Aujourd’hui, la moitié la plus pauvre vit principalement en Asie du Sud et en Afrique subsaharienne, tandis que la population chinoise aisée est devenue majoritaire au sein des 50 % les plus riches du monde.
Évolution de la part du revenu global perçu par tranche de revenus en %
Inégalités de revenus dans le monde : rapport entre la part des 10 % les plus riches set des 50% les plus pauvres
Plusieurs éléments amènent à tempérer cette conclusion d’une baisse des inégalités de revenus dans le monde depuis 20 ans. Le découpage de l’humanité en seulement trois tranches de revenus reste grossier. Il comprend notamment une première moitié de la population mondiale gigantesque : 2,5 milliards d’adultes aujourd’hui dont les situations sont très hétérogènes. En son sein, d’autres phénomènes peuvent échapper à l’analyse. On ne mesure pas ici comment évolue le rapport entre des populations qui accèdent à la classe moyenne, en Inde ou en Chine par exemple, et des populations dont l’extrême dénuement persiste. Il ne faut pas aussi oublier que les données statistiques sont très approximatives dans les pays les plus pauvres, et qu’elles peinent à mesurer la réalité de la vie quotidienne de populations parfois démunies de tout.
De même, la tranche des 10 % d’en haut est vaste. Elle comprend près de 800 millions d’habitants, plus de douze fois la population française ! La diminution de sa part dans l’ensemble des revenus ne nous dit rien de l’évolution du sommet de l’échelle des revenus. La part perçue par le 1 % le plus riche du monde a connu une envolée, de 17 % de l’ensemble des revenus en 1983 à 21 % en 2000 (graphique suivant). Cette part a légèrement reculé après 2008, mais s’est maintenue à un niveau très élevé (19 % en 2020, selon les données du WID).
Évolution de la part du revenu mondial perçue par le 1% le plus riche
c) Croissance des inégalités à l’ibntérieur de chaque pays
Le tableau ci-après donne la décomposition de la croissance des revenus en Chine, en Europe, en Inde, en Russie et en Amérique du Nord par groupe de revenus. Le revenu national réel moyen par adulte a augmenté à des rythmes largement différents dans les cinq régions entre 1980 et 2016, affichant des taux impressionnants de 831 % en Chine et de 223 % en Inde et des taux modérés de 40 % en Europe, de 34 % en Russie et de 63 % aux États-Unis et au Canada.
Dans tous ces pays, la croissance des revenus est systématiquement supérieure dans les groupes de revenus élevés. En Chine, les revenus des 50 % les plus pauvres ont augmenté de 417 % tandis que ceux des 0.001 % les plus riches ont augmenté de plus de 3 750 %. L’écart entre les 50 % les plus pauvres et les 0.001 % les plus riches est encore plus important en Inde. En Russie, la tranche supérieure de la distribution présente également des taux de croissance extrêmes tandis que les revenus des 50 % les plus pauvres ont diminué. Cela reflète la transition d’un régime dans lequel les hauts revenus étaient limités par le système communiste à une économie de marché où la réglementation les limite très peu. L’Europe apparaît comme la région dans laquelle l’écart de croissance entre les 50 % les plus pauvres, la population totale et les 0.001 % les plus riches est le plus faible. En Chine, les tranches supérieures ont enregistré une croissance significative, mais la croissance globale est si importante que même le revenu moyen des 50 % les plus pauvres a fortement augmenté, ce qui devrait rendre la hausse des inégalités de revenus plus acceptable. En revanche, aux États-Unis et au Canada, il n’y a quasiment plus de croissance des revenus des 50 % les plus pauvres (+5 %).
Croissance du revenu réel et inégalités de revenus 1980-2015 (%)
Ainsi, la pauvreté n’est pas une notion homogène à une nation mais se traduit par des variations souvent importantes et croissantes au sein d’un même territoire. Et cela aussi bien pour les pays développés que pour les pays émergents. On pense par exemple aux Etats-Unis, à la Chine, à l’Inde, au Mexique, au Brésil, … L’Inde en 2021 a été frappée de plein fouet par la crise Covid. Il en a découlé un drame sanitaire majeur, avec quelques 3000 morts journaliers et une désorganisation massive des infrastructures notamment de santé face à l’ampleur des cas de contamination à gérer. On a observé également une chute sans précédent de l’économie du pays, avec une récession de plus de 20 points de contraction du PIB, une explosion du taux de chômage et de la pauvreté dans un pays où l’immense majorité de la population est constituée de travailleurs indépendants, et à très faible pouvoir d’achat. De 2019 à 2021, le taux de pauvreté est ainsi spassé d’environ 20 à 50% de la population.
Cetes la nouvelle puissance montante se nomme l’Inde : face à une Chine économiquement de plus en plus protectionniste, et témoignant par ailleurs de ruptures d’approvisionnement dans des filières de production qui ont été majoritairement positionnées au sein de cette nation depuis 1993, les investisseurs étrangers modifient leur rationalité géostratégique, notamment au profit de l’Inde. À partir de 2015, la plus grande démocratie du monde, mais aussi la plus grande démographie à venir, dépasse ainsi la Chine sur le montant des investissements étrangers effectués sur le territoire. Et il en est de même au niveau de la croissance du PIB de la nation même si en 2022 l’économie indienne reste comparativement de taille modeste face à la Chine. Avec environ 3000 milliards USD de PIB, elle représente seulement deux fois la taille de l’économie russe, et moins d’un cinquième de l’économie chinoise. La Chine est en effet la seconde puissance économique mondiale, avec une croissance fulgurante de son PIB enregistrée depuis 1993, et surtout 2002 (voir page PIB mondial).
Inégalité de richesse au sein de la nation : l’exemple de l’Inde en 2012
Source: Reserve Bank of India (2013)
Cas de Covid en Inde en 2021 par millions d’habitant
Source : O. Boissin, « Chine, masque, dettes et CAC 40 : les leçons de la crise Covid », 2021.
4/Dynamique des inégalités de patrimoine
Les statistiques disponibles sur la distribution du patrimoine et sur les actifs transfrontaliers sont très imparfaites surtout dans l’économie globalisée d’aujourd’hui. Une plus grande transparence et un meilleur accès aux sources de données administratives et bancaires font cruellement défaut pour approfondir les connaissances sur les évolutions sous-jacentes. Les séries doivent être vues comme imparfaites, provisoires et sujettes à révision. On observe une forte hausse des parts du patrimoine chez les plus riches aux États-Unis et en Chine ces dernières décennies, et une hausse plus modérée en France et au Royaume-Uni (graphique suivant). Des facteurs variés expliquent ces dynamiques différentes. Tout d’abord, la hausse des inégalités de revenus et la stagnation des revenus des plus pauvres peuvent naturellement expliquer la hausse des inégalités de patrimoine aux États-Unis. Ensuite, un processus très inégal de privatisation et d’accès des ménages chinois aux capitaux propres cotés et non cotés a probablement joué un rôle important dans la hausse extrêmement rapide de la concentration du patrimoine en Chine, notamment parmi les très hauts revenus. L’effet modérateur potentiellement important du haut niveau des prix de l’immobilier devrait également être pris en compte. L’effet « classe moyenne » a sans doute été particulièrement prononcé en France et au Royaume-Uni, où les prix des logements ont fortement augmenté par rapport aux prix des actions. Compte tenu de tous ces facteurs, il est difficile de prédire si la tendance observée, à savoir une plus forte concentration du patrimoine, va se poursuivre. Sur le long terme, la stabilité des inégalités de patrimoine dépend de l’inégalité entre les taux d’épargne de différents groupes de revenu et de patrimoine, de l’inégalité entre les revenus du travail et les taux de rendement du patrimoine et de la progressivité de l’impôt sur le revenu et le patrimoine.
Part du patrimoine des 10 % et 1 % les plus riches en Chine, aux États-Unis, en France et au Royaume-Uni, 1890-2015
5/ Dynamique des inégalités de revenus dans le monde
Les inégalités de revenus augmentent dans de nombreux pays, mais de grands pays émergents (Inde et Chine) rattrapent leur retard ce qui fait diminuer les inégalités de revenus mondiales. Les enquêtes menées auprès des ménages ne sont pas homogènes dans tous les pays ; elles captent mal les hauts revenus et ne sont pas cohérentes avec les agrégats macroéconomiques. Ces faiblesses soulignent une fois de plus le besoin de produire les séries DINA.
Le tableau précédent montre que la croissance mondiale moyenne est relativement faible (60 %) par rapport aux taux de croissance des pays émergents. Au niveau mondial (et contrairement à ce que l’on observe dans la plupart des pays), les taux de croissance n’augmentent pas de façon monotone avec les revenus. On observe plutôt une croissance élevée parmi les 50 % les plus pauvres (94 %), une faible croissance parmi les 40 % intermédiaires (43 %) et une forte croissance pour les 1 % les plus riches de la population mondiale (101 %), notamment parmi les 0.001 % les plus riches (235 %).
Le graphique suivant présente l’évolution, au sein de la population mondiale, de la part des revenus des 1 % les plus riches et des 50 % les plus pauvres, entre 1980 et 2016. La part des revenus des 1 % les plus riches est passée d’environ 16 % en 1980 à plus de 22 % en 2007, puis a légèrement diminué à 20.4 % en 2016. La part des revenus des 50 % les plus pauvres a oscillé aux alentours de 9 %, avec une très légère hausse entre 1985 et 2016. Tout au long de la période, au total, les 1 % les plus riches ont gagné environ deux fois plus que les 50 % les plus pauvres, un groupe qui, par définition, est 50 fois plus grand. Pour cette raison, les revenus des 1 % les plus riches sont en moyenne cent fois supérieurs à ceux des 50 % les plus pauvres. Autre constat notable : ni la forte croissance enregistrée dans les pays émergents depuis 2000 ni la crise financière de 2008 n’ont stoppé la hausse des inégalités de revenu mondiales .
Part du revenu mondial des 1 % les plus riches et des 50 % les plus pauvres, 1980-2050
On observerait ces dernières décennies une hausse de la part du revenu et du patrimoine détenue par les plus riches dans la quasi-totalité des pays, mais l’ampleur de cette hausse varie fortement, ce qui suggère que les politiques et les institutions des différents pays jouent un rôle. Les taux de croissance élevés des pays émergents réduisent les inégalités de revenus au sein du pays, mais cela ne garantit pas que le niveau d’inégalité sera acceptable dans le pays concerné et n’assure en rien la durabilité sociale de la mondialisation. Il est essentiel d’accéder à des données plus nombreuses et de meilleure qualité pour suivre la dynamique des inégalités de revenus mondiales : c’est un élément crucial non seulement pour mieux comprendre la situation actuelle et les forces qui domineront à l’avenir, mais aussi pour définir les réponses politiques appropriées.
Si il fallait donner un exemple de la difficulté de faire une synthèse des inégalités de revenus dans un pays, on pourrait prendre l’exemple des États-Unis où diverses études déjà mentionnées aboutissent à des conclusions opposées sans qu’on puisse dire vraiment qui a raison vu les sources utilisées et les hypothèses retenues. À moins d’être spécialiste, on se contentera ici d’exposer certains résulats de ces diverses études et encore celles récentes.
On a vu au chapitre précédent que selon le WIL World (World Inequality Lab), la croissance des revenus par adultes avant impôt du 1% les plus riches serait de 206% entre 1980 et 2015 contre 63% pour l’ensemble de la population et seulement 5% pour les 50% les plus pauvres. Et voilà que des économistes américains, G. Auten et D. Splinter (AS dans la suited du texte) [9], affirment que la part des revenus des 1% les plus riches n’aurait quasiment pas augmenté dans le revenu national. On présente leur analyse. Les économistes français, T. PIketti-E. Saez-G. Zucman (PSZ dans la suite du texte) ont publié une réponse qu’on résume aussi.
1/ Inégalités de revenus aux États-Unis selon G. Auten et D. Splinter (AS)
Par rapport aux données d’enquête, les données fiscales représentent mieux les groupes à revenus les plus élevés mais introduisent des défis supplémentaires. Les règles fiscales et les incitations à déclarer les revenus ont évolué au fil du temps. Une baisse différentielle des taux de nuptialité et changements de ménage sont autant de structures qui peuvent conduire à des résultats biaisés lorsque les unités fiscales sont l’unité d’observation. Des sources importantes des revenus sont absentes des données fiscales, y compris les paiements de transfert gouvernementaux et les paiements non imposables, les avantages sociaux fournis par l’employeur. La part des revenus manquant dans les données fiscales a augmenté avec le temps. Les revenus des déclarations fisclaes ne représentent qu’environ 60 % du revenu national ces dernières années. De plus, il existe de nombreux problèmes techniques liés aux différences entre ce qui est rapporté sur les déclarations de revenus et ce que les économistes considèrent comme le revenu économique de l’année en cours. À défaut de le faire de manière adéquate résoudre ces problèmes peut conduire à des conclusions biaisées.
L’étude commence par les revenus tels que déclarés dans les déclarations de revenus. AS développerait un système amélioré avec une mesure du revenu marchand – appelé revenu fiscal – qui corrige les questions fiscales techniques ainsi que les changements sociaux tels que la baisse des taux de nuptialité. AS ajoute les données manquantes de revenu pour tenir compte du revenu national total avec des estimations du revenu avant et après impôt, montrant les effets étape par étape de chaque ajustement. Cette approche estime également une mesure plus large du revenu avant impôt qui inclut les transferts en espèces et en nature, qui sont exclus du revenu national, ainsi qu’une mesure du revenu après impôts et transferts.
AS rappelle que l’analyse basée uniquement sur les revenus dans les déclarations fixscales de revenus des particuliers, comme dans l’analyse de PSZ, montre que la part la plus élevée des revenus fiscaux du 1% plus riches a plus que doublé, passant de 9 à 19,4 %.entre 1960 et 2019 (quasiment la hausse de PSZ). Un tiers de cette augmentation s’est toutefois produite dans les années juste avant et après la loi sur la réforme fiscale de 1986 (TRA86). Cette réforme majeure a réduit les taux d’imposition légaux et élargi l’assiette fiscale, modifiant ainsi considérablement les règles fiscales et les incitations à déclarer les revenus des entreprises. Il convient de prendre en compte les bénéfices non répartis des entreprises (c’est-à-dire les bénéfices après l’impôt sur les sociétés qui ne sont pas distribués sous forme de dividendes), ainsi que tenir compte des réformes d’élargissement de l’assiette fiscale. Sans ces ajustements, les parts des revenus les plus élevés sont sous-estimées dans les années 1960 et 1970, lorsque les taux élevés d’impôt sur le revenu des particuliers ont fortement incité à placer les revenus à l’intérieur des sociétés
Il faut également tenir compte de la baisse différentielle des taux de nuptialité, qui ont diminué substantiellement dans les groupes à revenus faibles et moyens, mais seulement légèrement au sommet de la répartition. À mesure que le taux de nuptialité diminuait, de plus en plus d’adultes déposaient des déclarations de revenus distinctes. Cela a augmenté le nombre total d’unités fiscales, augmentant ainsi le nombre d’unités fiscales à revenus élevés dans le 1 % le plus riche, et le nombre de taxes sur les revenus élevés des unités dans le pour cent des plus riches. Un autre changement social important est l’augmentation du nombre de ménages monoparentaux. Pour résoudre ces deux problèmes, AS prend en compte les deux adultes mariés ainsi que les personnes à charge, et base les groupes de revenus sur le nombre total d’individus. Autrement dit, chaque centile comprend un nombre égal d’individus plutôt qu’un nombre égal d’unités fiscales. Sans cette correction, il y aurait trop d’individus parmi les 1 % les plus riches, ce qui exagèrerait la part des revenus les plus élevés au cours des dernières décennies.
La prise en compte de ces critères donne des résultats très diffèrents de ceux utilisant uniquement les revenus fiscaux déclarés qui se basent sur des unités fiscales. La part du 1 pour cent le plus riche du revenu national avant impôts aurait augmenté de 4 points de pourcentage entre 1960 et 2019, soit moins de la moitié de l’augmentation des revenus fiscaux (graphique suivant). Pour le revenu après impôt, en incluant les transferts, la part du 1 pour cent le plus riche aurait très peu augmenté.
Parts de revenus des 1 % les plus riches selon AS
Notes : Les revenus fiscaux incluent les plus-values avec des seuils fixés sans plus-values. Source : calcul des auteurs
Les résultats seraient plus optimistes concernant la moitié inférieure de la distribution. PSZ estiment que les revenus réels moyens avant impôts des 50 pour cent les plus pauvres ont très légèrement augmenté entre 1979 et 2019, soit +5% (voir ci-dessus). En revanche, AS montre que les revenus réels avant impôts auraient augmenté de plus d’un tiers et le revenu réel après impôt aurait augmenté des deux tiers pour la moitié inférieure de la distribution. Alors que la part du revenu avant impôts des 50 pour cent inférieurs a diminué de 5,1 points de pourcentage, la part du revenu après impôt n’a diminué que de 3,1 points de pourcentage au cours de cette période. Ainsi, les impôts et les transferts compensent 40 pour cent de la baisse de la part des 50 pour cent les plus pauvres du revenu avant impôts. Ces résultats mettraient en évidence que les groupes à faible revenu ont bénéficié de l’augmentation des transferts et des réductions d’impôts, telles que l’extension des crédits remboursables et d’autres allègements qui ont contribué à un système fiscal plus progressif.
Selon AS, la part de revenu avant impôts des 1 % les plus riches la plus élevée serait de presque 6 % points inférieurs à l’estimation de PSZ pour 2014. Les différences les plus importantes proviennent de l’attribution des revenus d’entreprise sous-déclarés (2,0 pp), des revenus de retraite (1,0 pp) et de l’impôt sur les sociétés (0,7 pp), ainsi que la correction de la façon dont le revenu est déclaré dans les déclarations de revenus (0,4 pp).
Différents traitements des pertes d’entreprise et des revenus de retraite s’avèrent importants :
Outre l’augmentation de la part des ménages monoparentaux et des changements detaille de famille, ainsi que pour la baisse des taux de nuptialité, l’approche d’AS corrige de nombreuses caractéristiques particulières de la façon dont les revenus des particuliers et des sociétés sont déclarés et comment cela a changé au fil du temps. Même si de nombreuses améliorations n’ont que des effets modestes ou compensatoires sur les parts de revenus les plus élevées, leurs effets cumulés peuvent être significatifs et avoir des effets variables sur différentes parties de la répartition des revenus.
Ainsi l’analyse d’AS aborderait les limites des travaux antérieurs en tenant compte de la manière dont les revenus sont déclarés dans les déclarations de revenus et en attribuant les revenus qui ne figurent pas sur ces déclarations. Elle aborde l’incertitude créée par la nécessité d’imputer des composantes du revenu national non déclarées dans les données fiscales en montrant les ajustements étape par étape et imputations (tableau suivant). Cela permet de voir l’effet de chaque ajustement et d’envisager des estimations alternatives basées sur différentes combinaisons d’hypothèses.
a) Mesurer les parts de revenu les plus élevées avec des définitions cohérentes du revenu
Dans l’étude d’AS, la mesure du revenu avant impôts suit le concept de revenu national et exclut donc les paiements de transfert. Le revenu avant impôts plus les transferts ajoute les transferts gouvernementaux, qui ont considérablement augmenté, passant de 5 à 16 % du revenu national entre 1960 et 2019 (graphique suivant). Cette mesure fournirait une estimation plus complète des ressources économiques disponibles pour la consommation, l’épargne et le paiement des impôts, en particulier pour les familles bénéficiant de prestations de sécurité sociale et d’assurance chômage, ainsi que d’autres transferts en espèces et en nature. Il s’agit de la définition du revenu la plus large et la plus appropriée pour mesurer les taux d’imposition effectifs. En commençant par le revenu avant impôt plus les transferts , le revenu après impôt est estimé en soustrayant les impôts fédéraux, étatiques et locaux et en ajoutant les déficits publics et la consommation publique pour retrouver le revenu national.
Pour résoudre le problème des revenus manquants dans les revenus déclarés, et tenir pleinement compte du revenu national, AS mesure le revenu avant impôt en incluant les intérêts exonérés d’impôt, les bénéfices non répartis et les impôts des sociétés, les charges sociales et les assurances payées par l’employeur, les revenus locatifs imputés sur le logement, les revenus sous-déclarés et d’autres impôts et taxes. (c’est-à-dire le revenu marchand manquant dans le graphique suivant). Ces sources de revenus exclues sont passées d’une moyenne de 34 pour cent du revenu national dans les années 1960 à 39 pour cent depuis 2000. En raison de la diminution de l’importance des bénéfices non répartis et des impôts des entreprises et de l’importance croissante des impôts et des prestations de santé payées par les employeurs, une plus grande part de ces sources de revenus vont désormais à celles situées en dessous du haut de la distribution. Entre 1962 et 2019, la part supérieure de 1 % des revenus du capital non inclus dans les revenus fiscaux est passée de 4 à 2 % du revenu national, principalement en raison de la baisse des bénéfices non répartis des entreprises. Pendant ce temps, les 90 % inférieurs des revenus du travail non inclus dans les revenus fiscaux sont passés de 4 à 2 % du revenu national. Les recettes fiscales sont passées de 4 à 12 % du revenu national. Sans ces corrections, les parts des revenus les plus élevés seraient sous-estimées dans les années 1960 et surestimées au cours des dernières décennies.
Sources de revenus en proportion du revenu national plus transferts
Source : calcul des auteurs
La réforme fiscale de la TRA86 a abaissé le taux d’imposition le plus élevé des particuliers de 50 à 28 pour cent et a élargi l’assiette fiscale de manière à être neutre sur le plan distributif. L’élargissement de l’assiette visait les contribuables à revenus élevés, notamment en abrogeant l’exclusion de 60 % des plus-values à long terme et en limitant les déductions pour les pertes sur les investissements passifs. Avant la TRA86, le taux d’imposition le plus élevé des particuliers était supérieur au taux d’imposition des sociétés le plus élevé (50 % contre 46 %), permettant une certaine protection des revenus dans les sociétés dites « C » avec bénéfices non répartis. L’incitation à une telle protection avait été encore plus grande lorsque le taux d’imposition le plus élevé des particuliers était de 91 % avant 1964, puis de 70 % jusqu’en 1981. Cela a eu pour conséquence que davantage de revenus d’entreprise sont déclarés directement dans les déclarations de revenus des particuliers, car les revenus de transmission sont déclarés sur les déclarations de revenus des particuliers, alors que les bénéfices non répartis des sociétés C ne le sont pas. Cela conduit à des conclusions importantes pour les années 1960 et 1970, lorsque des taux élevés d’impôt sur le revenu des particuliers créaient de fortes incitations à abriter les revenus au sein des sociétés. Ne pas apporter ces corrections reviendrait à sous-estimer la part des revenus les plus élevés avant 1987.
Cette réforme a également considérablement augmenté le nombre de déclarants dépendants, qui seraient traités de manière inappropriée comme des unités distinctes à faible revenu si aucun ajustement n’était effectué. Au cours des deux années qui ont suivi cette réforme, le nombre de déclarants dépendants et de moins de 20 ans est passé d’environ 8 millions à 13 millions. Pour résoudre ce problème et rendre l’échantillon cohérent dans le temps et entre les données fiscales et celles du recensement, AS supprime de l’échantillon les déclarants à charge, les autres déclarants de moins de 20 ans et les déclarants non-résidents et augmente le nombre d’unités fiscales non déclarantes en conséquence. Sans cette correction, les unités fiscales non déclarantes sont sous-estimées et les parts des revenus les plus élevés surestimées, surtout depuis 1987.
b) Distribution du revenu national américain à l’aide de données fiscales
AS décrit les ajustements qui permettent de passer des données fiscales sur le revenu des particuliers aux définitions du revenu national (voir encadré). AS supprime séquentiellement les gains en capital, qui ne sont pas dans le revenu national, corrige l’échantillon en supprimant les déclarations des déclarants dépendants et des non-résidents, estime les revenus des non-déclarants à l’aide des déclarations de renseignements de l’IRS, ajuste les effets des réformes fiscales majeures, ajoute les impôts. exonérer les intérêts, apporte des ajouts et des corrections à diverses composantes du revenu et base les groupes de revenus sur le nombre de personnes physiques plutôt que sur les unités fiscales. Ces ajustements se traduisent par une mesure des revenus fiscaux plus large et plus cohérente dans le temps. Un revenu avant impôt cohérent avec le revenu national est ensuite obtenu en additionnant les sources de revenus non incluses dans les données fiscales. Les transferts gouvernementaux sont ensuite ajoutés pour obtenir le revenu avant impôts plus les transferts, qui constitue la mesure la plus large du revenu avant impôts et reflète mieux les ressources économiques des contribuables retraités et des autres personnes dépendant de ces transferts. Enfin, le reste de la politique gouvernementale consiste à soustraire les impôts et à ajouter les dépenses hors transferts et les déficits publics. Cela donne un revenu après impôt et correspond au revenu national total (voir ci-dessus).
1 – Revenu avant impôts : extensions
L’étape suivante dans le calcul du revenu avant impôt consiste à ajouter les sources de revenu incluses dans le revenu national mais non déclarées dans les déclarations de revenus des particuliers : (1) les bénéfices non répartis des sociétés et les impôts sur les entreprises, (2) les avantages sociaux et les charges sociales payés par l’employeur, (3 ) les revenus des comptes de retraite, (4) la correction de l’inflation élevée, (5) les revenus sous-déclarés et (6) d’autres composantes du revenu national. Le tableau suivant et le graphique suivant montrent l’impact de ces ajustements sur les parts de revenu les plus riches. Les effets de l’ajout des bénéfices non répartis et de l’impôt sur les sociétés diminuent avec le temps à mesure que la part de l’activité commerciale passe des sociétés C aux entreprises intermédiaires. Les effets des avantages sociaux payés par l’employeur et des charges sociales augmentent avec le temps.
Le tableau suivant montre que par rapport au revenu fiscal hors gains en capital, l’essentiel de la diminution de la part du 1 % le plus riche en 2019 résulte du passage d’un classement par unités fiscales à un regroupement par individus et à un classement par revenu ajusté en fonction de la taille. Cette approche a des effets similaires à ceux de l’approche de PSZ qui consiste à baser les groupes de revenus sur le nombre d’adultes et à diviser par deux le revenu des unités fiscales mariées.
Effets des ajustements sur les 1 % les plus riches du marché et sur les parts de résultat avant impôts
Notes : Les variations totales sont relatives au revenu fiscal, y compris les plus-values (seuils fixés sans plus-values). Des exemples de corrections suppriment les déclarants non adultes, dépendants et non-résidents et ajustent le nombre de non-déclarants en conséquence. L’imposition de limites de pertes après TRA86 rend de nombreuses pertes commerciales non déductibles au cours des années précédentes. Entre autres changements, la correction de la définition du revenu ajoute des pertes d’exploitation nettes qui reflètent l’activité économique des années précédentes. Fonder les groupes de revenus sur le nombre d’individus signifie que chaque centile comprend le même nombre d’individus (plutôt que d’unités fiscales). Classement des unités fiscales par contrôle du revenu ajusté en fonction de la taille pour les différences de taille des unités fiscales. Les extensions du revenu fiscal incluent les sources de revenus qui ne figurent pas sur les déclarations de revenus : les revenus fiduciaires conservés dans les fiducies et les successions, les bénéfices non répartis des entreprises (bénéfices non distribués), les impôts sur les sociétés qui font partie du revenu avant impôt, les impôts fonciers des entreprises, un ajustement en fonction de l’inflation qui augmente le revenu des entreprises. en raison de paiements d’intérêts réels inférieurs, de revenus sous-déclarés basés sur des études d’audit détaillées de l’IRS, de loyers imputés sur les logements occupés par leur propriétaire, de charges sociales payées par l’employeur et d’avantages qui font partie du revenu avant impôt, de revenus de compte de retraite absents des déclarations de revenus, ainsi que comme divers impôts et sources de revenus (à but non lucratif) inclus dans le revenu national mais pas dans le revenu fiscal.
2 – le revenu avant impôts plus les transferts
AS propose une mesure de revenu supplémentaire qui inclut les transferts publics en espèces et non monétaires : soit le revenu avant impôts plus les transferts (tableau suivant). Pour donner une idée de l’ampleur relative en 2019 : les prestations de sécurité sociale s’élevaient à 1 030 milliards de dollars, les allocations de chômage à 30 milliards de dollars, les autres transferts en espèces à 400 milliards de dollars, les prestations de Medicare nettes de primes à 820 milliards de dollars et les prestations de Medicaid à 670 milliards de dollars.
Effets des transferts, des impôts et des dépenses publiques sur les 1 % les plus riches
Remarques : Les totaux fiscaux sont basés sur les montants NIPA. Les taxes sur le carburant et les services publics ne sont pas incluses.
3 – Le revenu après impôt
Les impôts sont soustraits du revenu avant impôts et des transferts de manière séquentielle pour montrer l’effet de chaque impôt sur les actions les plus riches. Dans l’ensemble, les impôts sont devenus plus progressifs au fil du temps. L’impôt fédéral sur le revenu réduit la part du 1 % des revenus les plus riches d’environ un point de pourcentage au cours des décennies précédentes, mais de plus de deux points de pourcentage en 2019. Pour correspondre au revenu national, deux derniers ajustements tiennent compte du secteur public en incluant les déficits/excédents publics et la consommation publique (tableau précédent). Les dettes fédérales en matière d’impôt sur le revenu des particuliers sont les montants déclarés sur les déclarations de revenus et les montants retenus pour les non-déclarants. Les parties remboursables des crédits d’impôt, y compris les revenus gagnés et les crédits d’impôt supplémentaires pour enfants, entraînent des taux d’imposition moyens négatifs dans les groupes à faible revenu.
Étant donné que l’impôt sur les successions encourage la planification sur de nombreuses années avant le paiement effectif de l’impôt, nous supposons que les impôts sur les successions et les donations sont supportés par les défunts au cours de la décennie précédant leur décès. À l’aide des données fiscales sur la population, nous suivons la tranche de revenus des défunts au cours des dix années précédant leur décès afin d’estimer la part de l’impôt sur les successions payée par les défunts dans ces tranches de revenus. La part estimée de l’impôt sur les successions est ensuite affectée chaque année aux observations de ces tranches de revenus. Cette approche tient compte de la variabilité du revenu d’une année à l’autre parmi les individus très riches.
Les impôts sur le revenu, nationaux et locaux ainsi que les taxes foncières résidentielles sont basés sur des montants de déduction détaillés. Étant donné que presque toutes les déclarations de revenus en haut de la distribution détaillent les déductions, les montants déduits fournissent de bonnes mesures pour les groupes de revenus les plus élevés, tiennent compte de l’hétérogénéité au niveau de l’État et capturent la plupart des impôts sur le revenu des États (environ 70 % au cours des premières décennies et 90 pour cent au cours des dernières décennies). décennies). L’impôt sur le revenu des sociétés et l’impôt foncier sont ceux qui étaient auparavant utilisés pour calculer le revenu avant impôt. Les charges sociales comprennent les impôts des employés et des employeurs, ainsi que les impôts sur le travail indépendant déclarés dans les déclarations de revenus.
La consommation finale des APU comprend les dépenses évaluées au prix coûtant pour la défense nationale, l’éducation, les rues et autoroutes, ainsi que d’autres programmes non liés aux transferts. Comment répartir ces dépenses entre ménages ? Certains plaident en faveur d’une allocation égale par ménage. Le Congressional Budget Office a examiné les effets d’une répartition de la consommation finale des APU soit entièrement par habitant ou, soit entièrement en fonction du revenu du marché, suggérant que les deux s’appuient sur des hypothèses problématiques. D’autres ont réparti ces dépenses pour moitié par habitant et pour moitié en fonction du revenu, arguant que « les ménages en bénéficient sur une certaine base égalitaire ainsi que proportionnellement au revenu Pour tenir compte de la combinaison des types de dépenses publiques, AS répartit la consommation finale des APU pour moitié par habitant et pour moitié en fonction du revenu après impôt.
c) Résultats
Premièrement, AS montre comment le passage d’une mesure étroite à une mesure large du revenu marchand (du revenu fiscal au revenu national) affecte les parts de revenu les plus élevées. AS discute ensuite des différences entre ses estimations du revenu national et celles du PSZ, ainsi que des revenus élargis du Congressional Budget Office. Bien que l’accent soit mis sur les parts de revenu du 1 pour cent le plus riche, AS constate également que les augmentations des parts de revenu pour les 10 % les plus riches et pour les 0,1 % les plus riches sont plus faibles que celles de PSZ pour le revenu avant impôt et que leurs parts du revenu après impôt sont faibles (graphique suivant A).
1 – Du revenu fiscal à des mesures plus larges du revenu
Pour résumer les effets de l’élargissement de la mesure du revenu du revenu fiscal au revenu national, considérons les effets sur les 1 % les plus riches en 1960 et 2019. En 1960, l’échantillon d’AS et les corrections de revenu réduisent la part du 1 1 le plus riche du revenu fiscal de 9,0 à 8,1 % pour l’amélioration des revenus fiscaux. Les évolutions des revenus pour correspondre à la définition du revenu national augmentent cette part à 10,3 %. Le facteur le plus important qui fait augmenter la part de 1960 est l’ajout du revenu avant impôt des sociétés C (y compris les bénéfices non répartis et les impôts des sociétés) à la place des plus-values réalisées. Cela reflète la part beaucoup plus importante des revenus d’entreprise des sociétés C avant la TRA86. Pour 2019, alors que la part du revenu fiscal le plus élevé est de 19,4 pour cent, AS estime cette part du revenu avant impôts inférieure de près d’un tiers, soit 13,8 pour cent. Les facteurs les plus importants dans cette différence de 5,6 points de pourcentage (pp) tiennent compte de la baisse du taux de nuptialité dans les unités fiscales à revenus faibles et moyens (2,9 pp), y compris l’assurance fournie par l’employeur (0,9 pp), le remplacement des plus-values réalisées par C. bénéfices non répartis des sociétés (0,7 pp), y compris la part patronale des charges sociales (0,5 pp) et y compris les revenus sous-déclarés (0,4 pp).
Le revenu avant impôts et transferts comprend les transferts gouvernementaux, dont le plus important est constitué par les prestations de sécurité sociale. Par rapport au revenu national avant impôt, cette mesure évite le problème de considérer une grande partie des retraités âgés comme n’ayant pratiquement aucun revenu. En 1960, la part des revenus du 1 pour cent le plus élevé était de 9,8 pour cent, soit seulement un demi-point de pourcentage de moins que la part du revenu national avant impôts, car les transferts étaient relativement faibles. En 2019, la part la plus élevée a diminué de près de 2 points de pourcentage, passant de 13,8 à 12,0 pour cent (tableau précédent). Cette différence suggère qu’environ la moitié de l’augmentation des parts des revenus les plus élevés sur le marché a été compensée par des montants croissants de transferts.
Le revenu après impôt représente les impôts et les dépenses gouvernementales. Les impôts progressifs, évoqués plus en détail ci-dessous, ont encore réduit la part des revenus du 1 % le plus riche : de 1,5 point de pourcentage en 1960 et de 2,3 points de pourcentage en 2019. Les parts des revenus du 1 % le plus riche après impôt fluctuent avec le cycle économique mais sont restées relativement inchangées au cours des six dernières décennies. L’augmentation estimée de la part du revenu après impôt du 1 pour cent le plus élevé depuis 1962 est modeste de 0,2 point de pourcentage.
Il est également important de considérer la moitié inférieure de la répartition des revenus. AS montre que la part du revenu avant impôts des 50 pour cent les plus pauvres a diminué de 5 points de pourcentage depuis 1962. La diminution était de 4 points de pourcentage après prise en compte des transferts et de seulement 3 points de pourcentageaprès impôts et transferts. Le graphique suivant (B) montre que les revenus réels par habitant avant impôts de la moitié inférieure de la distribution a augmenté de 135 % depuis 1962. Les revenus réels après impôt ont presque triplé (augmentation de 193 pour cent). Depuis 1979, les revenus réels par habitant avant impôts ont augmenté de 40 % et après impôtsles revenus ont augmenté de 66 %.
Part des revenus des 50 % les plus pauvres et revenus réels moyens par habitant
Une vue plus globale montre que les impôts et les transferts ont conservé la plupart des parts de revenu relativement inchangé. Le graphique suivant (A) montre les effets combinés des impôts et des transferts sur le revenu parts des quintiles de revenu supérieur, intermédiaire et inférieur. Alors que la part du quintile supérieur du revenu avant impôts et transferts, augmente de 5 points de pourcentage depuis 1962, il serait resté pratiquement inchangé après impôts et transferts compris : diminutions à la fin des années 1960 compensées par des augmentations depuis 1979. La part du quintile intermédiaire a légèrement diminué depuis 1962, mais après impôts et transferts, elle a augmenté légèrement. La part du quintile inférieur a diminué de 1,3 point de pourcentage depuis 1962, mais a augmenté de 0,4 point de pourcentage après prise en compte des impôts et des transferts. Autrement dit, augmenter les transferts et la progressivité fiscale compense l’augmentation de la part des revenus les plus élevés dans le revenu avant impôts.
Il est également important de savoir ce qui est arrivé aux revenus réels dans l’ensemble de la distribution. Comme représenté sur la graphique suivant (B), le revenu réel par habitant après impôts et transferts a augmenté à des taux similaires pour les couches les plus pauvres, Quintiles de revenus moyens et supérieurs : triplement dans toutes les catégories de revenus. Les revenus réels avant impôts également a augmenté considérablement, plus que doublé dans toutes les catégories de revenus. Comme discuté ailleurs, le une croissance plus importante du revenu après impôts et transferts reflète l’importance croissante des transferts des paiements et des réductions d’impôts pour les contribuables à revenus faibles et moyens.
Parts de revenu et revenus réels par habitant par quintile
2 – Comparaison avec les estimations de PSZ
AS traite des similitudes et des différences entre leurs méthodologies et celles de de PSZ. Il est important de noter que l’analyse d’AS du revenu avant impôts suit de près la définition du revenu national du NIPA, tandis que PSZ utilise une mesure modifiée qui inclut les prestations de sécurité sociale et soustrait les charges sociales associées.
Beaucoup des ajustements d’AS ont des effets similaires à ceux de PSZ. Les groupes de revenus basés sur tous les individus et classés par revenus ajustés en fonction de la taille et par groupes de revenus PSZ basés sur le nombre d’adultes réduisent les parts de revenus les plus élevées d’un montant similaire. Il existe peu d’incertitude quant à la répartition de certains montants car ils sont déclarés dans les déclarations de revenus (impôts sur le revenu, prestations de sécurité sociale et intérêts exonérés d’impôt au cours des dernières décennies) ou calculés à partir des valeurs déclarées (charges sociales, loyers et taxes foncières imputés au cours des dernières décennies). D’autres allocations ont des effets similaires sur les parts les plus élevées parce que le haut de la distribution ne reçoit qu’un petit montant (transferts) ou parce que les différentes sources de données utilisées suggèrent des distributions similaires (assurance parrainée par l’employeur).
Tandis que les parts de 1 pour cent de PSZ sont systématiquement plus élevées de plus d’un point de pourcentage au cours des décennies précédentes, les estimations d’AS des changements dans la part des revenus les plus riches sont similaires. Comme le montre le tableau suivant, de 1962 à 1979, la part initiale de PSZ avant impôts diminue de 1,4 pp et celel d’AS diminue de 1,7 pp. Cette similitude s’explique par le fait qu’au cours de ces décennies, la plupart des revenus exclus des déclarations fiscales provenaient des bénéfices non distribués et les deux méthodes de répartition ont des effets distributifs similaires.
Depuis 1979, cependant, les conclusions d’AS sur les niveaux et les tendances des parts des revenus les plus élevés sont très différentes, principalement en raison de différences dans la manière de répartir les éléments du revenu national qui ne figurent pas dans les déclarations fiscales (graphiques suivants). PSZ estime que la part du 1 % le plus riche du revenu avant impôts a augmenté de 9,0 pp (11,2 à 20,2 %) entre 1979 et 2014, tandis que AS montre 4,8 pp (9,4 à 14,2 %). Une partie de cette différence est due à des ajustements pour la loi TRA86. Pour le revenu après impôts, la part de PSZ a augmenté de 6,5 points (9,1 à 15,7 pour cent); la hausse de AS serait de seulement 1,7 points (7,4 à 9,1 pour cent) (tableau suivant).
Sur l’ensemble de la période allant de 1962 à 2014, la part du 1 % supérieur avant impôts de PSZ augmente de 7,6 points de pourcentage, alors que l’ estimation AS est d’une augmentation de 3,0 points de pourcentage. Pour le revenu après impôts, la part de PSZ augmente de 5,6 pp, alors que celle d’AS n’augmente que de 0,5 pp.
En 2014, la part AS du revenu avant impôts de 1 % est de 14,2 %, soit 6,0 points de moins que l’estimation de PSZ. Les différences les plus importantes proviennent de nos approches de répartition des revenus sous-déclarés (2,0 pp) et des revenus de retraite (1,0 pp). Les autres différences incluent les répartitions d’AS de l’impôt sur les sociétés (0,7 pp), des autres impôts (0,7 pp) et les corrections concernant la manière dont les revenus sont déclarés dans les déclarations de revenus (0,4 pp) (tableau suivant).
Part des 1 % les plus riches du revenu national : comparaison avec les données de PSZ
Notes : Les ajustements utilisés pour estimer le revenu d’Auten-Splinter avant et après impôt sont répertoriés dans les tableaux.1 et 2 et décrits en détail dans l’annexe en ligne. La série Piketty-Saez exclut les gains en capital pourrendre plus comparable au revenu national. Sources : Calculs des auteurs, Piketty et Saez (2003 avec mises à jour) et Piketty, Saez et Zucman (2018, série mise à jour en octobre 2021).
Comparaison des parts de revenus des 1 % les plus riches et des évolutions
Sources: Authors’ calculations and Piketty, Saez, and Zucman (2018).
Un tiers de la différence en 2014 est dû au fait que PSZ attribue beaucoup plus de revenus sous-déclarés à ceux dont les revenus déclarés sont les plus élevés (que ce que révèlent les audits détaillés de l’IRS). Cela est principalement dû au fait que PSZ attribue les revenus d’entreprise sous-déclarés uniquement aux revenus d’entreprise déclarés positifs. L’approche PSZ ignorerait la part importante des revenus d’entreprise sous-déclarés que l’on retrouve dans les déclarations de revenus comportant des pertes d’entreprise déclarées, surestimant ainsi les montants des déclarations qui font état de bénéfices importants. Elle ignore également les preuves selon lesquelles les taux moyens de sous-déclaration ont tendance à diminuer à mesure que les niveaux de revenus déclarés sont élevés. En 2014, l’approche PSZ implique de distribuer environ 50 pour cent des revenus d’entreprise sous-déclarés aux 1 pour cent les plus riches. Cependant, les données d’audit suggèrent que seulement 15 pour cent environ devraient atteindre le 1 pour cent final après le reclassement. L’approche PSZ supprime les revenus sous-déclarés trouvés plus bas dans la distribution et les affecte au sommet.
Les différences dans la répartition des revenus de retraite privés expliquent environ un point de pourcentage de la différence entre les parts les plus riches avant impôts. Notre revenu de retraite pour 2014 provient environ pour moitié de distributions imposables (dont le pour cent le plus riche reçoit environ 2 pour cent) et pour moitié de l’accumulation interne, que nous répartissons en fonction des actifs du compte de retraite (le pour cent le plus riche reçoit environ 7 pour cent). Dans l’ensemble, le 1 pour cent le plus riche reçoit environ 6 pour cent du revenu total de retraite. En comparaison, les données de PSZ indiquent qu’ils ont alloué plus du double de cette part au 1 pour cent le plus riche. La part élevée de PSZ est en grande partie due à leur utilisation des distributions IRA non imposables et imposables et des revenus de retraite déclarés dans les déclarations de revenus pour allouer les « revenus de placement payables aux fonds de pension » – c’est-à-dire l’accumulation interne. L’hypothèse de PSZ surestimerait considérablement la part des revenus les plus élevés. Dans des mises à jour récentes, PSZ a partiellement résolu ce problème, mais continue de supposer qu’une trop grande partie (10 %) des montants non imposables sont des revenus.
L’estimation de PSZ concernant la part du 1 % le plus riche du revenu après impôt est donc bien plus élevée que celle d’AS (15,7 % contre 9,1 % en 2014), mais l’essentiel de cette différence s’explique par les écarts avant impôt (20,2 % contre 14,2%). Après prise en compte des différences avant impôts, la différence nette restante n’est que de 0,5 point de pourcentage. Cette petite différence est le résultat de plusieurs facteurs compensatoires. La part de 1 % les plus riches du PSZ est supérieure de 1,3 point de pourcentage en raison de l’allocation de toute la consommation publique en fonction du revenu après impôt, ces derniers ignorant ainsi les aspects redistributifs et de biens publics de la consommation finale des APU capturés par l’allocation de moitié par habitant. Un autre 0,4 point de pourcentage est dû à la répartition par le PSZ des déficits publics pour moitié par les paiements de transfert. La répartition d’AS des déficits par les impôts courants serait plus cohérente avec les données historiques que l’hypothèse du PSZ selon laquelle les transferts courants seraient considérablement réduits. Ces deux effets, qui font augmenter les estimations des parts supérieures du PSZ, sont largement compensés par les différences dans la répartition du fardeau des entreprises et des impôts courants.
2/ La réponse de T. Pikety ,E. Saez et G. Zucman
AS fournit des estimations de l’inégalité des revenus aux États-Unis, en commençant par les revenus observés dans les déclarations de revenus et en procédant à des ajustements pour tenir compte des revenus non connus. Ils concluent qu’après leurs ajustements, la part des 1 % des revenus les plus riches a diminué.n’a pas beaucoup changé depuis 1960.
Parce que la concentration des revenus observés a augmenté de façon spectaculaire (ce qui n’est pas controversé), AS doit supposer que les revenus non observés sont désormais distribués de manière beaucoup plus équitable entre les individus.Ces hypothèses impliquent des niveaux d’activité invraisemblablement faibles. AS attribuent ainsi par erreur une quantité importante et croissante d’activités non imposées de revenus du capital au bas de la distribution en raison de plusieurs facteurs ertonés dans leur méthodologie
a) L’écart entre revenu national et revenu fiscal
Toutes les mesures que nous pouvons observer directement montrent une augmentation massive de la concentration de revenus et richesses au sommet : revenus des revenus individuels, salaires et traitements des revenus sociaux, rémunération des PDG et classements des individus les plus riches tels que le Forbes 400.
En particulier, il y a eu une forte augmentation de la concentration des revenus fiscaux (c’est-à-dire les revenus observables dans les déclarations fiscales). La part des revenus fiscaux (hors plus-values) gagnée par les plus 1% les plus riches est passée de 8,4% en 1960 à 17,6% en 2019 selon nos estimations . Les revenus fiscaux représentent 60 à 70 % du revenu national total sur la période. Pour compenser l’augmentation de la part des revenus des 1 % les plus riches, il faut que les 30 à 40 % restants du revenu national soit désormais répartis de manière beaucoup plus équitable.
Les principales sources de revenus non imposés sont :
b) Distribution des revenus d’entreprise non imposés
Le revenu d’entreprise est le revenu des sociétés S (sociétés qui choisissent de transmettre leurs revenus, pertes, déductions et crédits à leurs actionnaires aux fins de l’impôt fédéral), des sociétés de personnes et des entreprises individuelles. Ces revenus ne sont pas soumis à l’impôt sur les sociétés, mais « répercutés » sur leurs propriétaires et soumis à l’impôt sur le revenu des personnes physiques. Il existe néanmoins un écart important entre les revenus déclarés dans les déclarations de revenus et les véritables revenus économiques de ces entreprises. Environ la moitié du montant des revenus professionnels dans les comptes nationaux n’est pas déclaré à l’impôt sur le revenu des personnes physiques avec une tendance à la hausse (40 % au début des années 1960, puis 55 % à la fin des années 2010).
Le revenu d’entreprise est l’une des formes de revenu les plus concentrées, et sa concentrationa fortement augmenté depuis les années 1960. Les 1 % d’adultes les plus riches en gagnent environ 55 % selon les données fiscales d’aujourd’hui. Mais AS suppose que les revenus d’entreprise non imposés sont très également distribué. Selon eux, les 1 % les plus riches n’en gagnent qu’environ 15 % (graphique suivant). En d’autres termes, les revenus observables des cabinets de médecins et de dentistes, des chaînes de vente au détail, des sociétés immobilières, les partenariats pétroliers et gaziers, les cabinets d’avocats, etc., peuvent être extrêmement concentrés, mais leurs activités non imposées selon AS, sont répartis de manière beaucoup plus équitable.
Est-ce réaliste ? Ces dernières années, environ 50 à 60 % des revenus non imposés des entreprises correspondent à de l’évasion ficale; le reste est dû aux dispositions du code des impôts qui réduisent le revenu imposable en dessous de revenu économique. Les principales dispositions sont la comptabilisation totale de l’investissement et des calendriers d’amortissement généreux pour les actifs non dépensés. Ces dispositions se retrouvent majoritairement au sommet de la distribution – les propriétaires d’entreprises à forte intensité de capital et à capital restreint. Quant à l’évasion fiscale, il n’existe aucune preuve pour étayer l’hypothèse formulée par AS. qu’elle est concentré au bas de la distribution.
Part des revenus d’entreprise gagnés par les 1 % les plus riches : revenus imposés par rapport aux revenus non imposés. AS suppose que les 1 % les plus riches gagnent une très petite fraction du revenu d’entreprise non imposé, même si les 1 % les plus riches gagnent plus de 50 % du revenu d’entreprise imposé
Notes : La ligne rouge montre l’hypothèse implicite formulée par Auten et Splinter (2023) concernant la fraction des revenus non imposés (revenus d’entreprise répercutés (sociétés S, sociétés de personnes, entreprises individuelles) gagnés par les 1 % les plus riches. La ligne noire (resp. pointillée) montre la fraction du revenu net d’entreprise imposé (resp. non imposé) gagné par les 1 % des adultes les plus riche (avec des revenus répartis également entre les conjoints) de la distribution du revenu avant impôt de Pike\y, Saez et Zucman (2018, mis à jour).
Une autre série d’hypothèses est formulée dans PSZ (2018). Selon la méthodologie PSZ, la distribution des revenus d’entreprise non imposés est supposée être la même que celui des revenus d’entreprise imposés, composante par composante. Pour chaque type de revenu d’entreprise, le rapport entre le revenu non imposé et le revenu réel est supposée être la même dans toutes les catégories de revenus. Cela implique que la part la plus élevée de 1 % des revenus non imposés est inférieur à la part des 1 % les plus riches des revenus imposés des entreprises depuis la fin des années 1980, mais évolue parallèlement à celui-ci. Cette hypothèse peut être considérée comme conservatrice, étant donné que les riches ont plus d’incitations et plus de ressources pour éviter les impôts.
Pour clarifier les hypothèses formulées par AS, le graphique suivant représente le rapport entre les activités non imposées et les activités réelles, selon l’hypothèse d’AS. Il est frappant de constater que AS suppose que les revenus d’entreprise gagnés par les 99 % les plus pauvres était majoritairement imposé dans les années 1960, mais pratiquement non imposé aujourd’hui. Ce qui pourrait expliquer ce changement n’est jamais expliqué; en fait, cette hypothèse ne repose sur aucune base logique ou empirique. Inversement,AS supposes que la majeure partie des revenus réels des entreprises des 1 % les plus riches est imposée à la fois aujourd’hui et dans les années 1960, même si les 1 % les plus riches bénéficient aujourd’hui d’exonérations bien plus généreuses.
Part des revenus réels d’entreprise qui n’est pas imposée : les hypothèses AS supposent qu’une fraction élevée et croissante des 99 % des revenus des entreprises les plus pauvres n’est pas imposée mais qu’une fraction faible et stable des 1 % des revenus d’entreprise les plus riches n’est pas imposée
Notes : La ligne rouge (resp. ligne rose pointillée) montre l’hypothèse implicite formulée par Auten et Splinter (2023) sur la fraction des revenus d’entreprise des 99 % inférieurs (resp. des 1 % supérieurs) (société S, société de personnes, entreprise individuelle) qui est non imposé. La ligne noire en pointillés montre le ratio à l’échelle de l’économie.
Ces hypothèses ne sont jamais discutées explicitement par AS, ce qui rend la tâche presque impossible pour les lecteurs, ou comprendre le cœur de leur méthodologie, c’est-à-dire les facteurs spécifiques qui pourraient expliquer pourquoi les véritables inégalités de revenus ont beaucoup moins augmenté que les inégalités de revenus observées.
Étant donné que les revenus des entreprises sont importants, ont connu une croissance rapide et sont très concentrés, Les hypothèses d’AS concernant les revenus d’entreprise non observés ont des effets importants. Le evenu d’entreprise non imposé représente plus de 7 % du revenu national en 2019. Selon AS, les 1 % les plus riches ne représentent que 1,0 % du revenu national, mais 3,5 % dans le traitement neutre du PSZ. La différence explique la moitié de l’écart tant du niveau et de l’évolution de la part des revenus avant impôts des 1 % les plus riches entre AS et PSZ.
c) Répartition des revenus du capital non imposés
Comme le montre le graqhique suivante, il existe un problème similaire dans le traitement par AS des revenus du capital (définis comme suit : exclure les revenus d’entreprise mentionnés ci-dessus).
Part des revenus du capital gagnés par les 1 % les plus riches : revenus imposés ou non imposés AS suppose que les 1 % les plus riches gagnent une très petite fraction des revenus du capital non imposés
Notes : La ligne rouge montre l’hypothèse implicite formulée par Auten et Splinter (2023) concernant la fraction des revenus non imposés. revenus du capital (bénéfices non distribués, revenus gagnés sur les comptes de retraite, loyers non imposés, revenus des fiducies et fiduciaires, etc.) gagnés par les 1 % les plus riches. La ligne sombre (resp. pointillée) montre la fracAon des personnes taxées (resp. non taxées) revenus du capital gagnés par les 1 % de particuliers adultes les plus riches (avec des revenus répartis également entre les conjoints) de la période avant impôt Répartition des revenus à Pike\y, Saez et Zucman
Les revenus du capital imposés (dividendes, intérêts imposables, loyers, revenus des fiducies et des successions) sont fortement concentrée, et sa concentration a augmenté de façon spectaculaire depuis les années 1980. Selon AS, les revenus du capital non imposés (bénéfices non répartis des sociétés, revenus de placements gagnés sur des revenus exonérés d’impôt)comptes de retraite, loyers non imposés, intérêts exonérés d’impôt, revenus de fiducies, etc.) est beaucoup sont plus équitablement répartis que les revenus imposés – et de plus en plus. Les 1 % les plus riches gagnent seulement environ 15 % des revenus du capital non imposés dans les années 2010 selon AS.
Il est certainement vrai que les revenus du capital non imposés sont répartis de manière plus équitable que les revenus du capital imposés aujourd’hui, et en effet la méthodologie PSZ présente également cette caractéristique. Cela est dû aux grands montants des revenus du capital dans les fonds de pension exonérés d’impôt et les comptes de retraite individuels.
Cependant, la méthodologie AS implique des niveaux invraisemblablement faibles de concentration du capital non imposé. La façon la plus simple de voir cela est de calculer ce que les hypothèses AS impliquent pour le répartition du revenu total du capital, imposé et non imposé (ligne rouge pointillée dans le graphique suivant). La majeure partie des revenus du capital n’est pas imposée (environ 75 à 80 % dans les années 1960 et 1970, et près de 90 % dans les années années 2010), et AS supposent que les revenus du capital non imposés sont de plus en plus équitablement répartis. Il s’agit, selon AS, d’une égalisation massive du capital aux États-Unis depuis les années 1960.. Cela est également vrai si l’on considère 1/3 des revenus d’entreprise comme revenus du capital (ligne rouge claire).
Part des revenus du capital par rapport à la part de la richesse détenue par les 1 % les plus riches Les hypothèses d’AS sur le capital seraient incompatibles avec les preuves existantes sur la richesse
Notes : La ligne rouge représente la part des revenus du capital gagnée par les 1 % les plus riches dans le revenu avant impôt selon l’AS. méthodologie (en clair : en comptant 1/3 des revenus de l’entreprise comme revenus du capital ; en pointillés : en ne tenant pas compterevenus d’entreprise et incluant uniquement les revenus purs du capital : bénéfices des sociétés C, intérêts, loyers). Les courbes noires montrent la part de la richesse détenue par les 1 % d’adultes individuels les plus riches classés par richesse (la richesse étant répartie également entre conjoints), en grisé dans le Saez et Zucman.
Ceci serait en contradiction avec un grand nombre de preuves démontrant que la concentration des richesses a fortement augmenté aux États-Unis (graphique précédent). Toutes les séries actuellement disponibles – provenant des données fiscales (Saez et Zucman, 2016 ; Smith, Zidar et Zwick, 2023), données d’enquête (l’Enquête surConsumer Finances), enquêtes ancrées aux agrégats des comptes nationaux (Comptes financiers de la Réserve fédérale) et les déclarations de succession correctement pondérées (Saez et Zucman, 2019) – montrent que la part de la richesse détenue par les 1 % les plus riches aurait considérablement augmenté depuis les années 1980. AS n’explique jamais comment leurs conclusions sur le capital (qui sont des hypothèses essentielles) peuvent être conciliées avec ces tendances.
La plupart des revenus du travail dans l’économie sont imposés, mais la plupart des revenus du capital et des entreprises ne sont pas imposés. Ainsi, en choisissant soigneusement les hypothèses concernant la répartition des activités et du capital non imposés , on peut obtenir de nombreuses répartitions possibles différentes de ces formes de revenu, qui jouent un rôle clé au sommet de la distribution. AS font des hypothèses implicites, e qui conduit à effacer la montée des inégalités de capital. Ces hypothèses, lorsqu’elles sont explicitées, sont difficiles, voire impossibles, à justifier logiquement ou empiriquement, elles donnent également des résultats qui sont largement incompatibles avec les preuves existantes sur la concentration des richesses.
3/ Commentaires sur ces travaux aux conclusions différentes
Piketti – Saez – Zucman ont estimé que la part des revenus totaux accaparée par le 1 % des plus hauts revenus avait doublé depuis les années 1960, passant d’environ 8 % de tous les revenus à 14,6 % (et bien au-delà par la suite, dans des analyses subséquentes ). Il y aue probablement augmentation des inégalités aux États-Unis depuis 1960.
Auten et Splinter ont fait le même exercice à partir de données fiscales de 1962 à 2019. Selon leurs conclusions, sur l’ensemble des revenus des Américains, la part avant impôts du 1 % des plus riches baisse plutôt entre 1962 et 1979, passant de 11,1 % à 9,4 % du total, avant de remonter à 13,8 % en 2019. Une hausse totale d’environ 2,6 points de pourcentage sur l’ensemble de la période. Et si on calcule le revenu après impôts, en incluant les prestations gouvernementales, la hausse ne serait que de 0,2 % depuis 1962 (et de 1,4 % depuis 1979). On peut presque parler de stagnation.
a) Les hypothèses retenues et les méthodes sont différentes
Pourquoi arrivent-ils à des conclusions aussi différentes de celles des économistes français? C’est avant tout une question de données et de méthodologie. Ceux-ci basaient leur analyse uniquement sur les déclarations de revenus des particuliers.
Or, arguent Auten et Splinter, une part grandissante des revenus n’apparaît pas dans ces déclarations, de sorte que ceux qui y figurent ne représentent qu’environ 60 % de l’ensemble des revenus des américains. Ainsi, Piketti – Saez – Zucmann’auraient produit qu’un portrait partiel de la réalité.
Auten et Splinter, eux, puisent dans les données du fisc américain en liant les déclarations de revenus avec d’autres revenus, par exemple les prestations d’aide sociale ou de retraite. Ils rappellent aussi que la réforme fiscale américaine de 1986 a changé la donne : le taux d’imposition sur la tranche la plus élevée des revenus est passé de 50 % à 28 %, sous le taux des entreprises (qui a baissé depuis). Ce changement a mené des ménages à hauts revenus à cesser de se servir de leurs entreprises pour payer moins d’impôts, ou à se verser davantage de dividendes.
Les économistes américains évoquent aussi les changements concernant le mariage aux États-Unis, qui ont une influence sur les déclarations de revenus communes. Le taux de nuptialité a baissé chez les moins nantis, tandis qu’il s’est maintenu chez le 1 %. Il y avait donc plus de personnes classées dans le 1 % que leur nombre réel dans les études initiales de PS, puisqu’elles s’y trouvaient par association.
Ils soulignent quand même les limites de leur propre analyse. « La part importante de revenus non déclarés dans les données fiscales et les difficultés à prendre en compte des changements sociaux et économiques majeurs font qu’il existe une incertitude considérable quant à l’estimation de la répartition des revenus au fil du temps », écrivent-ils dans leur conclusion.
Démolissent-ils le mythe d’un accroissement des inégalité de revenus ? Pas exactement. Sur le strict plan des revenus, l’écart se creuse moins rapidement qu’on ne le croyait. Mais si 1 % des Américains accaparent près de 14 % de tous les revenus, c’est aussi que les inégalités de revenus persistent.
b) La nécessaire prise en compte les transferts avec la réserve de la répartition
Une seconde limite des données sur les 1% les plus riches des travaux de PSZ est qu’elles portent le revenu avant impôt et transferts. C’est aussi le cas des séries compilées par B. Garbinti et J. Goupille-Lebret dans l’article d’Economie et statistique [8]. Or on connaît bien le très fort pouvoir redistributif en France, de ces impôts et transferts, qui contribuent à réduire très fortement les inégalités primaires. Un groupe de statisticiens de l’INSEE a ainsi montré que le rapport entre le revenu primaire moyen des 10% des individus les plus aisés et des 10% les plus pauvres, est de 13 sans tenir compte des transferts, mais qu’il est ramené à 7 en les prenant en compte, et même à 3 si l’on tient compte d’une « redistribution élargie » fondée sur la valorisation monétaire des services publics.
On a vu que l’effet de ces transferts a permis une certaine stabilité sur l’évolution des inégalités de revenus en France entre les ultra-riches et le reste de la population depuis 1998 qui se seraient aggravé es sans eux. On sait que le rapport interdéciles des niveaux de vie (le rapport entre les niveaux de vie des 10% les plus riches et les 10% les plus pauvres) est à peu près resté stable depuis 1998 alors qu’elle a augmenté de 1% avant redistribution. Rappelons que la notion de niveau de vie prend en compte la composition du ménage (nombre d’individus qui le composent) et les transferts sociaux et les impôts. Il donne donc une vision plus réaliste des inégalités de revenus que celle qui est calculée sur le revenu primaire. Mais rien ne dit que cette stabilité du rapport des niveaux de vie joue également entre le dernier centile et le reste des revenus. En tout cas, pour juger véritablement de l’évolution des inégalités de revenus entre les plus riches des Français (le 1%) et les autres il faudrait pouvoir disposer de cette information.
AS vont jusqu’à estimer des revenus après transferts sociaux en espèce et en nature. Ce faisant, ils sous-entendent que la redistribution de la richesse fonctionne aussi aux États-Unis, puisque les moins nantis auraient vu leur situation financière s’améliorer presque dans la même proportion que les plus riches. Mais comment font-ils pour répartir ces revenus de redistribution par catégories de ménages ?
c) Qu’en est il de la répartition du patrimoine ?
Mais surtout le grand absent du débat, c’est l’accumulation de la richesse, à savoir le patrimoine. Parce que la question du 1 % dépasse largement celle des revenus. On a vu qu’ il y a deux types d’ultra-riches : ceux qui ont les revenus annuels les plus élevés, et ceux qui revendiquent une richesse accumulée. Or on a vu que ces 1% posséderaient bien plus de 30% du patrimoine aéricain. Or Auten et Splinter ne se sont pas penché sur les énormes inégalités de patrimoine aux États-Unis pas plus que les autres économistes.
4/ Les travaux sur les dépenses et revenus
a) Dépenses des ménages et revenus aux États-Unis
Plusieurs études ont été publiées sur ces questions [10]. Les dépenses sont un élément clé mais souvent négligé des bilans familiaux. Lors de la mesure de la sécurité financière des ménages, une attention particulière est généralement accordée au revenu, mais beaucoup moins à la question de savoir si ces ressources sont suffisantes pour couvrir les dépenses. Pour commencer à combler cette lacune dans le discours politique, ce recueil de graphiques utilise l’Enquête sur les dépenses de consommation du Bureau of Labor Statistics pour explorer les dépenses des ménages, en examinant les changements dans les dépenses globales et entre les catégories individuelles de 1996 à 2014. Il détaille également les différences de dépenses par revenu, avec un accent particulier sur la mesure dans laquelle les ménages ont une marge de manœuvre budgétaire qui pourrait être consacrée à l’épargne et à d’autres efforts de création de richesse.
Cette analyse porte sur la population en âge de travailler, qui comprend les répondants à l’enquête ou leurs conjoints âgés de 20 à 60 ans. Afin d’examiner les différences de dépenses en fonction du revenu, l’échantillon a été divisé en tiers.
L’analyse montre que tant le revenu médian que les dépenses se sont contractés après la Grande Récession, reflétant la crise économique du pays. En examinant les dépenses des ménages, cette recherche contribue à faire la lumière sur la sécurité financière de la famille au fil du temps, et en particulier ces dernières années. Les principales constatations comprennent:
Les données suivantes sont ajustées à l’inflation en utilisant l’indice de consommation personnelle BEA, dont la population est limitée aux ménages dans lesquelles le répondant ou le conjoint a entre 20 et 60 ans.
Les ménages ont dépensé plus en 2014 qu’en 1996, après ajustement pour l’inflation; cela vaut, que les chiffres soient basés sur des moyennes (moyennes) ou des médianes. Le ménage type a vu ses dépenses augmenter de plus de 25%, passant de 29 400 $ en 1996 à 36 800 $ en 2014. Les dépenses moyennes ont augmenté de 27% depuis 1996, passant de 43 200 $ à 54 800 $. Une grande partie de la croissance s’est produite entre 2012 et 2014, signalant une reprise prometteuse après la Grande Récession et la crise du logement.
Après une longue reprise, les dépenses des ménages augmentent pour revenir aux niveaux d’avant la récession (dépenses moyennes et médianes)
De 2004 à 2008, le revenu médian des ménages n’a augmenté que de 1,5% 3, tandis que les dépenses médianes ont augmenté d’environ 11%. Au cours de cette période, le ratio dépenses / revenu (le pourcentage du budget d’un ménage utilisé pour les dépenses) a bondi de 9%. Au début de la reprise, les dépenses médianes des ménages sont revenues aux niveaux d’avant la crise, mais le revenu médian des ménages a continué de se contracter. En 2014, le revenu médian avait chuté de 13% par rapport aux niveaux de 2004, tandis que les dépenses avaient augmenté de près de 14%. Cette modification du ratio dépenses / revenus dans les années qui ont suivi la crise financière est une indication claire des raisons et de la façon dont les ménages se sentent financièrement tendus.
Les dépenses ont augmenté et les revenus ont chuté depuis la fin de la grande récession
Pour une famille type de quatre personnes (deux salariés et deux enfants), alors que le revenu médian du ménage a augmenté d’environ 10000 $ entre 1996 et 2014, les dépenses annuelles ont également augmenté d’environ le même montant, en grande partie en raison de la hausse des dépenses pour les besoins essentiels: logement, nourriture, et le transport. Bien que la variation absolue des revenus et des dépenses ait été similaire, cette famille avait moins de mou dans son budget en 2014 qu’en 1996, son ratio dépenses / revenu étant passé de 71% à 75%.
Une famille typique de quatre personnes avec deux salariés et deux enfants, avait des dépenses plus élevées par rapport au revenu en 2014 qu’elle ne l’avait 19 ans plus tôt. (Dépenses médianes)
Environ les deux tiers des dépenses des familles sont consacrés aux besoins essentiels: logement, nourriture et transport. En 2014, les obligations de logement représentaient la plus grande part du revenu avant impôts des ménages, soit environ 25%. Au cours de la période d’étude de 19 ans, les dépenses médianes globales de logement ont absorbé 21% du revenu avant impôts des familles. La deuxième plus grande dépense, la nourriture, consommait généralement près de 10 pour cent du revenu familial, tandis que le transport en prenait 7 pour cent. La proportion des dépenses des ménages que représentent ces catégories a très peu changé au cours des deux dernières décennies.
Le logement, la nourriture et les soins de santé représentent une plus grande part du revenu en 2014 qu’ils ne le faisaient 19 ans plus tôt (dépenses médianes en % du revenu)
Au cours des deux dernières décennies, les dépenses de logement ont augmenté pour les Américains à tous les niveaux de revenu. En 2014, les ménages du tiers inférieur ont dépensé beaucoup moins en dollars absolus (environ 9 200 $) que ceux du tiers moyen ou supérieur, dont les dépenses médianes de logement ont atteint respectivement 11 500 $ et 18 000 $. Cependant, le ménage typique à faible revenu a dépensé beaucoup plus pour le logement en proportion du revenu (40%) que ceux du milieu (25%) ou du haut (17%).
Le coût du logement des ménages à faible revenu a augmenté de plus de 50% depuis 19 ans (dépenses de logement dans les 3 catégories de ménages)
Depuis le début de la crise du logement en 2007, les taux d’accession à la propriété ont baissé parmi les ménages à revenu moyen et élevé. Ces baisses ont affecté le marché locatif, les anciens propriétaires devenant locataires, entraînant des taux de vacance locatifs à des niveaux historiquement bas inférieurs à 7%. 4 La diminution de l’offre de propriétés locatives a augmenté considérablement le coût des logements locatifs; en 2014, les locataires de chaque échelon de l’échelle des revenus ont consacré une part plus élevée de leur revenu au logement qu’ils ne l’avaient fait au cours de n’importe quelle année depuis 2004. Bien que les locataires et les propriétaires aient dépensé plus pour le logement en 2014, des différences notables dans la proportion des ressources du ménage allant Le logement était évident dans tous les groupes de revenu, les ménages locataires à faible revenu consacrant près de la moitié de leur revenu avant impôts au loyer.
Les locataires à faible revenu consacrent près de 50% de leur revenu au loyer en 2014 (Pourcentage du revenu utilisé pour le logement par catégories de revenu et par statut de logement, 2000-2014)
Comme pour le logement, les ménages du groupe à faible revenu dépensent beaucoup moins en dollars absolus, mais beaucoup plus en pourcentage de leur revenu, en transport que ceux des groupes à revenu moyen ou élevé. De plus, les coûts de transport ont augmenté ces dernières années pour les ménages du bas, alors que ces dépenses étaient plus stables pour les autres groupes de revenu. Les ménages à faible revenu ont consacré près de 16% de leur revenu au transport en 2014, contre 9% quatre ans plus tôt. En revanche, les ménages du milieu ont consacré environ 11% de leur revenu au transport en 2014, tandis que ceux du haut ont dépensé 8%.
Au cours des 15 dernières années, les familles à faible revenu ont généralement consacré une part plus importante de leur budget au transport que les familles plus aisées (Dépenses en dollars et en % du revenu)
À mesure que la part du revenu du ménage utilisée pour le transport augmentait, le montant destiné à diverses sous-catégories a également augmenté. Pour tous les groupes de revenu, les dépenses en essence et en huile à moteur ont doublé entre 1996 et 2014. Pour les ménages du tiers inférieur, le coût annuel moyen du carburant, de l’assurance automobile, de l’entretien et de la réparation des véhicules et du transport en commun en 1996 était en moyenne de 2 000 $ par année; en 2014, ce groupe a dépensé près de 2 100 $ uniquement en carburant. Ces hausses de coûts extrêmes obligent les ménages à faire des choix difficiles et à faire des compromis pour répondre à leurs besoins essentiels.
Les ménages les plus modestes ont dépensé plus pour l’essence en 2014 que pour l’ensemble des transports 19 ans plus tôt (sous-catégories de dépenses par revenu)
Bien que les conditions économiques systémiques, telles que les récessions ou les changements boursiers, affectent les tendances des dépenses de consommation, les ménages individuels prennent également des décisions sur la façon de dépenser leur argent discrétionnaire. En 2014, les ménages de l’ensemble de la répartition des revenus ont dépensé beaucoup plus pour l’épicerie que pour les repas au restaurant, mais, comme on pouvait s’y attendre, ceux du tiers supérieur ont dépensé beaucoup plus en nourriture hors de chez eux que les autres groupes. Les ménages au sommet ont également dépensé plus que d’autres pour les divertissements, y compris les animaux de compagnie et les soins pour animaux de compagnie, les équipements et services multimédias, l’admission à des événements tels que des films ou des pièces de théâtre et des jouets pour enfants. Les ménages typiques au sommet dépensent 380 $ par mois pour les repas au restaurant et les divertissements. À l’inverse, les ménages du tiers inférieur, qui avaient beaucoup moins de marge de manœuvre dans leur budget, consacraient très peu de ressources à ces deux catégories – environ 128 $ par mois.
Les ménages disposant d’une plus grande marge de manœuvre budgétaire dépensent davantage en nourriture et en divertissement (dépenses alimentaires et de divertissement par revenu)
Enfin la marge de manœuvre des familles dans leur budget a diminué pour tous les groupes de revenus entre 2004 et 2014. Cela signifie que les ménages avaient moins de revenus à consacrer aux investissements de création de richesse, tels que l’épargne à court et à long terme, l’éducation et l’assurance-vie. En 2004, le ménage type du tiers inférieur avait un peu moins de 1 500 $ restants après prise en compte des dépenses annuelles. À peine 10 ans plus tard, ce montant était tombé à moins de 2 300 $, soit une baisse de 3 800 $. Ces ménages peuvent avoir dû utiliser l’épargne, obtenir de l’aide de la famille et des amis ou utiliser le crédit pour faire face aux dépenses annuelles régulières des ménages. Le ménage type du tiers moyen a vu sa marge de manœuvre passer de 17 000 $ en 2004 à 6 000 $ en 2014. À noter que comme le revenu est mesuré avant impôt, certaines familles auront encore moins de mou dans leur budget que ce chiffre ne le laisse entendre.
Tous les ménages avaient moins de marge de manœuvre financière en 2014 qu’en 2004, mais les ménages à faible revenu ont plongé dans le rouge. (Montant du revenu restant après toutes les dépenses par revenu)
b) Inégalités de revenus et modèles de consommation par catégorie de revenu
Une autre publication examine s’il y a eu une divergence croissante dans la consommation de produits de luxe et de nécessité entre les classes de revenus [10]. L’analyse montre que si les produits de première nécessité représentent la majorité du panier de consommation des quintiles de revenus inférieurs et moyens, leur consommation de produits de première nécessité en dollars corrigés de l’inflation a diminué en raison de la hausse des prix de ces biens et de la stagnation de la croissance des revenus. Les quintiles de revenu supérieurs ont vu leur consommation de produits de luxe augmenter, parallèlement à une baisse de leur consommation de produits de première nécessité.
Alors que les inégalités de revenus se sont accrues aux États-Unis, les chercheurs se demandent à juste titre si elles ont également conduit à des inégalités de consommation relative. C’est une question importante car la consommation est clairement une meilleure mesure du bien-être d’un individu que son revenu.
Les résultats de la recherche sur la présence d’inégalités de consommation restent cependant quelque peu mitigés. De nombreuses études ont montré que les inégalités de consommation ont moins augmenté que les inégalités de revenus au cours des dernières décennies tandis que d’autres ont constaté que la hausse était assez similaire. Malgré cette divergence dans les résultats, il serait utile de savoir si les modèles de consommation des individus de différentes classes de revenus ont été réorganisés au cours de la même période où les inégalités de revenus ont augmenté.
On peut distinguer le luxe et les nécessités dans les données de consommation produites par le Bureau of Economic Analysis qu’on peut utiliser pour révéler les changements de tendance dans les modèles de consommation pour différentes classes de revenu au cours des trois dernières décennies. Il apparaît alors que pour les quintiles de revenus inférieurs et moyens, la part de la consommation totale (réelle) corrigée de l’inflation destinée à l’achat de produits de première nécessité s’est contractée depuis 1984, tandis que la part du total destinée à l’achat de produits de luxe est restée assez constante ou a légèrement augmenté. Cependant, pour le quintile de revenu le plus élevé, la consommation relative de produits de luxe a augmenté.
Il apparaîtrait disparité croissante entre les Américains les plus riches et les plus pauvres au lendemain de la Grande Récession de 2007-2008. Alors que le revenu moyen est revenu aux niveaux d’avant la récession, les gains de revenu ont été répartis de manière inégale. Pour mieux comprendre l’évolution et la répartition du revenu aux États-Unis, les chercheurs amérivcains en économie délimitent souvent la population en cohortes de revenu appelées «quintiles» comem en Europe. Les ménages sont divisés en quintiles en fonction de leur revenu brut.
Les données montrent que les 20 pour cent les plus riches ont représenté plus de 80 pour cent de l’augmentation du revenu des ménages de 2008 à 2012 (graphique suivant). Pendant ce temps, les revenus ont en fait chuté pour les 20% les plus pauvres. Par exemple, les données obtenues de l’enquête sur les dépenses de consommation du Bureau of Labor Statistics montrent que le quintile de revenu le plus élevé aux États-Unis a connu une augmentation du revenu nominal d’environ 7100 $ entre 2007 et 2012, tandis que le quintile de revenu le plus bas a connu une baisse d’environ 360 $. Tous ces changements de revenus ont eu un impact direct sur les dépenses.
Niveaux de revenu nominal moyen après impôt, quintiles (Source : Bureau of Labor Statistics)
En raison des changements importants du taux de croissance du revenu par catégorie de revenu au cours des dernières décennies, les modèles de consommation des différentes catégories de revenu peuvent également avoir changé. Ces changements sont causés par une myriade de facteurs, mais une façon de les considérer est en termes de revenu et d’effets de substitution (qui vient de la théorie de la microéconomie). L’effet revenu indique qu’à mesure que les revenus des consommateurs augmentent, leur consommation augmentera également, jusqu’à un point de satiété, tandis que l’effet de substitution indique que les modèles de consommation des consommateurs sont affectés par les variations des prix relatifs des biens (c’est-à-dire à mesure que les prix pour un bien donné, les consommateurs réduiront leur consommation de ce bien dans la mesure du possible et augmenteront leur consommation d’un bien substituable qui leur procure un niveau de satisfaction comparable).
Depuis 1984, l’inflation des prix des biens de consommation, telle que mesurée par l’indice des dépenses de consommation personnelle du Bureau of Economic Analysis, a augmenté à un taux moyen très modéré de 2,4 pour cent par an. Au fur et à mesure que l’on devient plus riche en dollars réels, il est raisonnable de supposer que l’on remplacerait les biens et services considérés comme des nécessités par ceux considérés comme des produits de luxe. Dans la mesure où la croissance du revenu d’une personne continue de dépasser le taux de croissance des prix, nous nous attendons à ce que ce glissement vers des produits de luxe relatifs s’intensifie à long terme.
En utilisant ces principes comme toile de fond, ons aborde la question de savoir comment les modèles de consommation ont changé parmi les quintiles de revenu à mesure que la croissance des revenus a changé, associée à des changements continus des prix des biens. Plus précisément, y a-t-il eu des changements dans la consommation relative de biens de première nécessité et de luxe des populations, car certains quintiles ont prospéré tandis que d’autres ont connu une croissance lente des revenus?
Il n’existe pas de méthode claire pour classer les biens et services comme produits de luxe ou de première nécessité. Toute classification est au mieux subjective et au pire incohérente. Qu’est-ce qu’un article de luxe pour une personne – comme un logement en propriété lorsque des logements locatifs de qualité comparable sont disponibles à un coût moindre – pourrait raisonnablement être classé comme une nécessité pour un autre – comme un logement en propriété lorsqu’aucun immeuble locatif de qualité comparable n’est disponible . Cette subjectivité rend impossible la somme de l’utilité relative de divers biens et services parmi les individus. Cependant, en supposant que cette variation s’annule chez un grand nombre de personnes appartenant à des groupes de revenus classés de manière similaire, un bien ou un service peut être systématiquement classé comme une nécessité ou un luxe au sein d’une cohorte donnée en observant les parts de consommation.
On peut utiliser une méthode de classification empirique pour construire une métrique pour classer les biens et services comme produits de luxe ou nécessités. Je commence par une définition possible d’un «luxe» comme un bien ou un service qui est consommé dans de plus grandes proportions à mesure que le revenu d’une personne augmente. De même, une nécessité serait un bien ou un service dont la consommation est proportionnellement moindre à mesure que le revenu absolu d’une personne augmente. J’utilise cette définition pour classer les catégories de dépenses comme des produits de luxe ou des nécessités selon que leur part de la consommation augmente ou diminue à mesure que le revenu augmente (tableau suivant).
Part moyenne de la consommation réelle totale, 1984-2012
Pour identifier quelles catégories de dépenses sont consommées dans des proportions plus ou moins importantes à mesure que le revenu augmente, on peut analyser les données de consommation aux États-Unis provenant de la série annuelle de l’enquête sur les dépenses de consommation du Bureau of Labor Statistics.
Les résultats de cette analyse montrent comment les parts des différentes catégories de consommation réelle, calculées en moyenne sur la période d’analyse 1984-2012, changent à mesure que le revenu passe du quintile de revenu le plus bas au quintile de revenu le plus élevé. La classification dans la dernière colonne, «type de consommation relative», résulte de la méthode de ce chercheur. Un type spécifique de bien ou de service est classé comme un luxe s’il est consommé davantage, en pourcentage, à mesure que les niveaux de revenu réel augmentent (c’est-à-dire en passant du quintile de revenu inférieur au quintile supérieur). De même, un bien ou un service spécifique est classé comme une nécessité s’il représente un pourcentage plus faible de la consommation à mesure que les niveaux de revenu réel augmentent.
L’utilisation de cette méthode pour trier les données en produits de luxe et de produits de première nécessité révèle que dans toutes les catégories de revenus, la consommation de biens et services classés comme produits de première nécessité a diminué de 1984 à 2012, passant de 45,7% à 36,7% (graphique suivant). De même, la part de la consommation moyenne dans toutes les catégories de revenus a augmenté pour les articles classés comme produits de luxe au cours de la même période, passant de 51,0% à 56,0%. Bien que ce mouvement de tendance soit similaire dans les divers quintiles de revenu, il est loin d’être constant. Par exemple, les consommateurs du quintile de revenu le plus bas ont réduit leur consommation de biens et services classés comme produits de première nécessité de 63,5% en 1984 à 54,5% en 2012. Les consommateurs du quintile de revenu le plus élevé ont vu leur consommation de produits de première nécessité passer de 33,8% à 27,7%.
Répartition des dépenses de consommation personnelle réelles sur tous les quintiles de revenu (Source : Bureau of Labor Statistics)
Ces résultats montrent que les consommateurs ont, en général, considérablement augmenté leur consommation de produits de luxe au cours des 30 dernières années à mesure que leur niveau de revenu réel augmentait. Récemment, cependant, comme l’illustre la figure 2, cette tendance s’est inversée, les revenus ayant souffert au cours de la récente période de récession et de reprise. Depuis 2007, année du début de la Grande Récession, la consommation de produits de luxe a diminué et n’a commencé que récemment à se stabiliser en 2012. De même, la consommation d’articles de première nécessité a commencé à augmenter en 2007 et a ralenti en 2012.
Comme l’illustre le graphique suivant, les parts relatives de la consommation de produits de luxe et de produits de première nécessité varient considérablement d’un groupe de revenu à l’autre. À partir des différents graphiques, on peut voir que, à mesure que le niveau de revenu augmente, les articles de luxe représentent une plus grande part du panier de consommation du consommateur. S’il est vrai que tous les groupes de revenu ont réduit leur consommation de produits de première nécessité au cours de la période d’analyse, le rythme auquel ils sont passés à consommer de plus grandes quantités de produits de luxe variait considérablement d’un groupe à l’autre. Comme les résultats du tableau 1 et de la figure 3 sont détaillés, les quintiles de revenu le plus bas et le plus élevé étaient les plus invariants au fil du temps en ce qui concerne leur consommation de produits de luxe. Les consommateurs à revenu moyen ont connu la plus grande variation de tous les groupes. Leur consommation de produits de première nécessité a diminué de 12,2 points de pourcentage au cours de la période analysée,
Part relative de la consommation réelle par quintiles de revenu (Source : Bureau of Labor Statistics)
Si la croissance des revenus continue d’être à la traîne pour les groupes à revenu faible à moyen, deux implications potentielles à long terme pour la croissance économique future viennent à l’esprit. Premièrement, alors que la consommation a progressivement rebondi après la récession, les tendances actuelles de la croissance des revenus et des inégalités de revenus modifient la combinaison de biens et de services que les consommateurs achètent. Alors que les modèles macroéconomiques ont tendance à se concentrer sur les effets de revenu moyen, il peut y avoir des informations utiles dans les modèles désagrégés.
Deuxièmement, dans la mesure où la consommation de l’éducation continue de diminuer en proportion de la consommation réelle pour tous sauf le quintile de revenu le plus élevé, cela peut exacerber la tendance des inégalités de revenus au cours des prochaines années; une éducation accrue est l’un des moyens les plus fiables d’accroître les revenus. Les quintiles de revenu le plus bas, le deuxième, le moyen et le deuxième plus élevés ont tous vu leur part de l’éducation diminuer considérablement au cours de la période d’analyse (8,1 à 2,6%, 2,8 à 1,2%, 2,5 à 1,1% et 2,6 à 1,6%). pour cent, respectivement). Le quintile de revenu le plus élevé a vu sa part de la consommation d’éducation rester relativement stable, ne diminuant que légèrement de 3,4 à 3,2 pour cent.
Michel Braibant
[1] L’économie des inégalités, Thomas Piketti, Collection la Découverte, 1997, https://www.editionsladecouverte.fr/l_economie_des_inegalites-9782707185679; voir aussi Thomas Piketti, Le Capital au XXIe siècle , https://www.seuil.com/ouvrage/le-capital-au-xxie-siecle-thomas-piketty/9782021082289, voir aussi https://www.insee.fr/fr/statistiques/6441712#:~:text=La%20mobilit%C3%A9%20interg%C3%A9n%C3%A9rationnelle%20des%20revenus%2C%20qui%20constitue%20un%20indicateur%20de,leurs%20enfants%20de%2028%20ans voir aussi https://www.insee.fr/fr/statistiques/7666845?sommaire=7666953 voir aussi https://www.insee.fr/fr/statistiques/7941437?sommaire=7941491#:~:text=Glossaire-,Depuis%20le%20milieu%20des%20ann%C3%A9es%201990%2C%20les%20in%C3%A9galit%C3%A9s%20de%20niveau,mani%C3%A8re%20plus%20limit%C3%A9e%20apr%C3%A8s%20redistribution&text=En%202022%2C%20en%20France%20m%C3%A9tropolitaine,2%20028%20euros%20par%20mois.
[2] Définir et mesurer la pauvreté : un exercice délicat, JM Charbonnel https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2014-2-page-10.htm, voir aussi Qu’est-ce qu’être pauvre aujourd’hui en Europe ? J. Accardo et T. de Saint Pol, Insee, https://www.insee.fr/fr/statistiques/1377052?sommaire=137706
[3] Interaction entre le revenu, la consommation et la richesse des ménages – statistiques sur les principaux résultats, https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Interaction_of_household_income,_consumption_and_wealth_-_statistics_on_main_results voir aussi https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Concepts_for_household_consumption_-_comparison_between_micro_and_macro_approach, voir aussi Quel lien entre pouvoir d’achat et consommation des ménages en France aujourd’hui ? Une analyse par catégorie de ménages et par fonction de consommation, https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/4176734/062019_dossier1.pdf
[4] Plus d’épargne chez les plus aisés, plus de dépenses contraintes chez les plus modestes, J. Accardo, S. Billot, Insee, https://www.insee.fr/fr/statistiques/4764600, voir aussi En 2021, les inégalités et la pauvreté augmentent, Valérie Albouy, Anne Jaubertie, Arnaud Rousset (Insee), https://www.insee.fr/fr/statistiques/7710966
[5] https://www.inegalites.fr/L-essentiel-du-Rapport-sur-les-riches-en-France-edition-2022
[6] Réduction des inégalités : la redistribution est deux fois plus ample en intégrant les services publics https://www.insee.fr/fr/statistiques/5371275?sommaire=5371304, voir aussi la redistribution élargie, incluant l’ensemble des transferts monétaires et les services publics, améliore le niveau de vie de 57 % des personnes, https://www.insee.fr/fr/statistiques/7669723, Voir aussi le Rapport du groupe d’experts sur la mesure des inégalités et de la redistribution, Insee Méthodes, n° 138, février 2021, voir aussi Vers un système de comptes nationaux distributifs : méthodes et estimations des inégalités mondiales avec les données WID.world, Insee, https://www.insee.fr/fr/statistiques/4770254
[7] Les revenus et le patrimoine des ménages, Insee, Édition 2021, https://www.insee.fr/fr/statistiques/5371304, voir aussi https://www.insee.fr/fr/statistiques/6960027#:~:text=La%20mesure%20de%20la%20corr%C3%A9lation,%C3%A9chelle%20des%20revenus%20(m%C3%A9thodes).
[8] https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Interaction_of_household_income,_consumption_and_wealth_-_methodological_issues, voir aussi https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Living_conditions_in_Europe_-_income_distribution_and_income_inequality voir aussi https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Early_estimates_of_income_inequalities#Median_disposable_and_employment_income_increase_at_EU_level_and_in_all_countries
[9] Income Inequality in the United States: Using Tax Data to Measure Long-Term Trends, G. Auten, D. Splinter, September 29, 2023 https://davidsplinter.com/AutenSplinter-Tax_Data_and_Inequality.pdf, voir aussi Comment on Auten and Splinter (13 dédembre 2023), https://gabriel-zucman.eu/files/as-response-2023.pdf
[10] https://www.pewtrusts.org/-/media/assets/2016/03/household_expenditures_and_income.pd, voir aussi https://www.clevelandfed.org/newsroom-and-events/publications/economic-commentary/2014-economic-commentaries/ec-201418-income-inequality-and-income-class-consumption-patterns.aspx