I – MÉTHODOLOGIE : DÉPENSE, BÉNÉFICIAIRES, FINANCEMENT
Deux remarques générales peuvent être faites par rapport aux 5 questions précédentes, qu’avait développées les comptables français et le SCN 93.
1/ D’abord, la notion de dépense a fait l’objet de discussions. Certains comptes satellites, s’appuyant sur leur système statistique de base (R&D autrefois, éducation, tourisme,…) évaluent la dépense « intérieure », définie comme la somme des coûts des producteurs caractéristiques du domaine.
Puis ils passent à la dépense nationale en ajoutant les financements versés à 1’étranger et en retirant les financements reçus de l’étranger.
En revanche, la méthode du SCN 1993 s’intéresse d’abord aux emplois des unités résidentes en produits spécifiques et aux transferts spécifiques puis à la dépense nationale (en retirant les financements par des non-résidents). Elle propose aussi des équilibres ressources-emplois en produits spécifiques qui permettent d’évaluer, entre autres, une consommation intérieure en produits spécifiques. Dès lors, l’ordre des questions a une certaine importance. Les comptes satellites qui évaluent d’abord la dépense intérieure partent des comptes des producteurs caractéristiques. Ils analysent donc d’abord le secteur de production.
2/ Ensuite, l’expérience des comptes satellites français a montré que le volet « bénéficiaire » est resté modeste parce qu’il n’est pas toujours facile d’identifier le bénéficiaire d’une dépense en partie du fait des insuffisances du système statistique. La construction et de l’entretien des routes bénéficient-ils aux véhicules de tourisme ou aux véhicules lourds et dans quelles proportions? La médecine du travail, la formation professionnelle et l’utilisation des véhicules de tourisme d’entreprise sont-elles avantageuses pour les ménages ou les entreprises? De même, dans le domaine de l’éducation, l’augmentation des qualifications profite sans doute au système de production de l’entreprise, à la communauté et à l’individu. Un autre exemple est celui des subventions gouvernementales aux chemins de fer français (SNCF). On peut démontrer que ces avantages profitent aussi partiellement aux utilisateurs ferroviaires, car ils couvrent non seulement les coûts d’exploitation, mais contribuent également au financement d’investissements qui améliorent le confort et la vitesse (par exemple, le train à grande vitesse TGV), bref la qualité de service. Les réponses à ces questions dépendent en grande partie des conventions comptables.
1/ Définir le champ
Pour calculer des agrégats significatifs tels que les dépenses nationales dans un domaine donné, nous devons commencer par une délimitation précise des limites du champ. Celles-ci sont définies par l’identification des dépenses spécifiques à un domaine, notamment:
– Achats de produits caractéristiques ainsi que les dépenses d’investissement par activité caractéristique sur des produits non spécifiques,
– Achats de « biens et services connexes« ,
– « transferts » spécifiques à un champ : Ceux-ci sont traités comme un élément distinctif de la Dépense nationale en supposant qu’ils ne sont pas déjà inclus dans l’évaluation des deux éléments précédents. Sinon, ils ne seront incorporés que dans les comptes de financement.
Ces catégories sont parfois complexes à définir. Les produits spécifiques incluent les produits caractéristiques et les produits connexes. Mais il faut distinguer les activités caractéristiques – qui sont les éléments constitutifs de l’économie du secteur – des produits caractéristiques. En règle générale, les deux peuvent être traités conjointement. Les activités caractéristiques impliquent la production de produits, tandis que les produits caractéristiques génèrent la consommation du champ. Deux domaines sont particulièrement problématiques à cet égard.
Le premier est le tourisme. L’activité des hôtels, des bars et des restaurants n’est « caractéristique » que par la part de leurs services fournis aux touristes. Le problème consiste à identifier la consommation de produits touristiques et, surtout, les dépenses d’investissement des activités caractéristiques correspondantes.
Le défi est encore plus grand dans le domaine de la protection de l’environnement, où seul un petit nombre de biens et services peut être considéré comme spécifique (voir page Compte Environnement). La plupart des dépenses n’impliquent pas l’achat de produits. Ils sont générés par des actions (telles que la mise au point de produits moins polluants) ou des programmes (protection des parcs naturels, traitement de l’eau) qui ne figurent pas en tant que tels dans la classification des activités et des produits, car ce sont des fonctions. La relation entre les produits, les activités et les objectifs est beaucoup plus floue que dans les autres comptes satellites. Par exemple, le producteur d’un mur d’isolation phonique le long d’une voie publique n’est pas caractéristique du domaine de l’environnement, mais le service gouvernemental qui le met en service l’est.
Un domaine peut être défini par des actions qui lui sont spécifiques et qui génèrent une dépense. Ces actions peuvent appartenir à la production, telle que définie dans le cadre central : exemples des services de médecin dans le compte des soins de santé et des services d’enseignement dans le compte de l’éducation. Une telle production entraîne une dépense telle que la consommation finale ou la formation de capital. Alternativement, les actions peuvent correspondre à une dépense qui n’a pas de contrepartie de production dans le cadre central. Dans ce cas, l’identification des activités caractéristiques est plus difficile.
a) Les produits caractéristiques
Ils n’ont pas vraiment une définition rigoureuse. Le chapitre du SCN les définit ainsi : « Ce sont les produits typiques du domaine » et d’ajouter « … que ceci implique qu’on étudie complètement leur secteur de production« . En fait, la distinction entre les produits caractéristiques et les biens et services connexes se traduit surtout par ses conséquences dans le chiffrage d’un compte satellite (niveau de la dépense nationale et présentation des tableaux). Si une activité est caractéristique, on retient la dépense en capital des producteurs de cette activité dans la dépense nationale. Si une activité est caractéristique, on en analyse la production.
La nomenclature des produits caractéristiques peut être plus détaillée que celle du cadre central : dans le cas du tourisme, l’hébergement est décrit selon plusieurs formes (hôtellerie , location, camping,…), croisées avec une nomenclature de types de séjour (long séjour, court séjour, tourisme d’affaires,…). De même, dans l’éducation, les services d’enseignement sont décrits selon l’organisation du système éducatif (primaire, secondaire, supérieur,…), que le mode de .production soit marchand ou non marchand. On peut aussi distinguer différentes formes de formation de capital des activités caractéristiques : matériels, infrastructures et autres pour les transports. Naturellement, il faut que la nomenclature des activités caractéristiques du compte satellite puisse être articulée à celles du cadre central.
Elle peut être aussi une nomenclature fonctionnelle, voire une nomenclature de programmes, qui peut être ensuite détaillée selon une nomenclature de produits : ce serait le cas dans un compte satellite des transports qui définirait d’abord les différents modes (route, rail, aérien,…} comme produits caractéristiques. De même,, un compte satellite de l’environnement retiendra comme première nomenclature d’activités caractéristiques, celle des différents programmes (eau, déchets, air, ….).
Enfin, une activité peut être caractéristique de plusieurs domaines : par exemple, la médecine scolaire appartient aux domaines de la santé et de l’éducation; les transports de voyageurs de longue distance, aux domaines des transports et pour partie du tourisme .
b) Les biens et services connexes
Les biens et services connexes sont a contrario des produits auxquels on s’intéressera seulement pour leur financement et usage, non pour la production. Ceci a pour conséquence de ne pas retenir les dépenses en capital des activités qui produisent ces biens et services. Un critère significatif fait référence à 1’usage final du produit : si le produit est consommé secondairement par les acteurs du domaine, alors c’est un bien ou service connexe : par exemple, on peut considérer que les services d’assurance automobile sont connexes au domaine du transport routier; leur production (consommation) ne représente que le tiers de la production de service d’assurance en France. De même, les livres et fournitures scolaires (biens et services connexes au domaine de l’éducation) n’ont pas en général, la seule population scolarisée comme clientèle. Autre exemple, les achats de biens et services par les touristes auprès d’activités non-caractéristiques du tourisme pendant la durée de leur séjour (leurs dépenses d’alimentation ou les dépenses d’utilisation des véhicules) peuvent être considérés comme des biens et services connexes du domaine du tourisme.
c) Les transferts spécifiques du domaine
Ce sont eux qui posent le plus de problèmes. Qu’est-ce-qu’un transfert spécifique d’un domaine et donc comment établir une liste de transferts spécifiques du domaine? Le SCN précise que si les transferts spécifiques servent à financer l’acquisition de biens et services spécifiques, ils ne doivent pas être inclus une seconde fois dans le calcul de la dépense nationale mais il ajoute qu’il faut distinguer explicitement les transferts qui sont une composante de la dépense nationale et ceux qui constituent des instruments intermédiaires de financement de la dépense nationale, notamment pour l’étude du financement.
Un transfert spécifique d’un domaine est un versement monétaire (ou en nature) d’un agent à un autre dont la mise en oeuvre est générée par une activité (action) du domaine. Cette définition exclut toutefois les transferts à caractère général, telle la TVA. Par exemple, dans un compte de la route, seul le supplément de TVA par rapport au taux normal ou la taxe spéciale sur les assurances auto sont des transferts spécifiques du domaine routier.
Parfois, cette définition ne pose pas de problèmes. Dans la protection sociale, les services « caractéristiques » du domaine ont une importance limitée puisque ce ne sont que les services rendus par les Caisses qui gèrent la protection sociale [8]. En revanche, l’essentiel est constitué de transferts sous forme de prestations sociales, qui sont décrites selon le risque qu’elles couvrent et selon leur type (nature ou espèce). De même, les bourses d’étude sont des transferts spécifiques du domaine de l’éducation.
Mais le problème devient plus complexe pour certaines opérations, telles les recettes des administrations publiques. La réponse à la question peut dépendre alors de conventions juridiques et fiscales : en vertu du principe d’universalité budgétaire – les recettes fiscales de l’Etat ne sont pas affectées à des dépenses spécifiques à l’exception des budgets spéciaux – on ne devrait retenir que les transferts correspondant à ce dernier cas. De même, pour les collectivités locales, certains transferts à caractère général (comme la dotation globale de fonctionnement versée par 1’Etat aux communes) sont exclus des comptes satellites dès lors qu’il n’y a pas affectation directe et explicite des transferts aux dépenses du domaine. Dans ce cas, les dépenses des communes sont incluses telles quelles dans la dépense nationale.
Cependant, on peut s’interroger sur ces conventions. Par exemple, dans les transports,, la plupart des taxes qu’ils génèrent sont assez bien identifiables, étant perçues à la consommation (taxe spéciale sur les assurances,…) ,ou à la production (taxe à l’essieu,…). Certes ces impôts ou autres transferts ne sont pas affectés explicitement à des dépenses de transport (en regard du principe d’universalité) mais on pourrait admettre qu’il existe une certaine politique des transports, marquée notamment par une redistribution .des financements entre modes.
2/ Le secteur de production
En France, l’élaboration des comptes des producteurs d’activités caractéristiques a constitué souvent la première étape nécessaire à l’évaluation des agrégats de dépense du compte satellite (éducation, recherche, environnement,…)» en cohérence avec le système statistique de base qui interroge les exécutants Elle est aussi un gage de cohérence comptable entre une estimation de la dépense nationale faite à partir de la demande (les emplois) et une estimation faite à partir de l’offre (les ressources).
Si on veut avoir une idée de cette production, il convient de répondre à deux questions :
– quelle est la notion de production retenue ?
– comment se définissent les unités ?
* La notion de production retenue dans un compte satellite peut être plus large que celle du cadre central, par exemple, la production domestique non rémunérée ou le bénévolat. Elle peut aussi se référer à des effets externes non monétarisés, par exemple le temps de transport qu’on peut alors considérer comme une production négative ou qu’on peut inclure dans les effets-qualité ce qui entraînera une modification des évolutions en volume. Il peut s’agir enfin de modifier conceptuellement certains agrégats du cadre central pour avoir une image complète d’une activité. Par exemple, on peut considérer l’achat et l’utilisation de véhicule comme une production pour compte propre. D’autre part, les productions des établissements pour compte propre de services non identifiés dans ,1e cadre central peuvent faire partie de la production. Dans une analyse satellite, leur valeur sera mesurée par les coûts de production.
* De manière générale, tout compte satellite définit le secteur de production de son domaine par l’ensemble des unités qui produisent des biens et services caractéristiques, et elles seules. En conséquence, toutes les unités qui produisent des biens et services connexes sont exclues du secteur de production. Pour mener l’analyse du secteur de production, on est conduit à définir deux ensembles : celui des unités de production d’une part, celui des opérations d’autre part. Poux décrire la production dans un compte satellite, on doit théoriquement s’appuyer sur la notion « d’unités homogènes de production de biens et services caractéristiques du domaine » (UHPC). Ces unités peuvent être tout ou partie d’une unité de production homogène. Tout, si l’activité de l’unité de production homogène est « caractéristique » et qu’elle se confond avec l’UHPC. Une partie, dans deux circonstances distinctes :
– l’activité de l’unité de production homogène est « caractéristique » mais pas entièrement. L’UHPC correspond à la partie purement « caractéristique » de l’unité de production homogène (c’est le cas d’une partie importante du tourisme où un bien ou service ne devient touristique que lorsqu’il est consommé par un touriste).
– l’activité « caractéristique » est auxiliaire pour l’unité de production homogène. L’UHPC correspond à cette partie (c’est le cas du transport routier pour compte propre).
On peut donc mener l’analyse de la production dans une optique analogue à une optique de branche, une activité caractéristique, équivalente d’une branche dans le cadre central, se définissant par l’ensemble des UHPC qui exercent cette activité.
Toutefois, cette analyse ne se limite pas en général à celle de la production; elle cherche souvent à décrire un secteur de production, avec notamment une séquence complète de comptes. Il lui faut donc utiliser comme dans le cadre central, l’unité institutionnelle comme unité d’observation et non plus l’UHPC. En effet, s’il est possible d’estimer la production, voire la valeur ajoutée de l’UHPC, il est difficile d’en connaître les autres opérations, notamment celles du compte de revenu et de capital. Ce problème est évidemment encore plus compliqué que pour une unité de production homogène. On distingue les opérations courantes (compte des opérations courantes) et les opérations en capital (compte de capital).
Ces comptes sont simplifiés par rapport à ceux du cadre central. On peut toutefois distinguer la production de produits caractéristiques et d’autres produits, et reprendre cette distinction pour les CI, les rémunérations, l’excédent d’exploitation net, et surtout la FBCF afin de ne pas comptabiliser la FBCF en produits caractéristiques dans le calcul de la dépense nationale sans doubles comptes. Par ailleurs, il ne faut comptabiliser que la FBCF des producteurs caractéristiques : dans la dépense en capital de la SNCF pour le transport, il ne faut pas retenir les investissements qu’elle effectue pour la restauration aux usagers, car elle n’est pas une activité caractéristique du domaine des transports.
3/ La dépense nationale du domaine
L’objet d’un compte satellite est d’abord d’évaluer la dépense consacrée au domaine. La dépense mesure l’effort consacré à un domaine par les différents agents de la collectivité et se définit comme la somme des dépenses effectives concernant les produits caractéristiques, les achats de biens et services connexes et les opérations de répartition spécifiques au domaine. La 13 dépense se définit donc du point de vue des financeurs. C’est la somme des dépenses que ces derniers engagent à ce titre.
Pourtant, la méthode comptable d’évaluation de la dépense du domaine n’est pas unique pour tous les comptes satellites. Certains comptes entendent par « dépenses », les consommations finales et intermédiaires de ces produits par les différents agents (ménages, entreprises, administrations publiques,…) et les autres dépenses qu’ils effectuent pour le domaine (transferts). Ces achats ou ces transferts constituent les recettes des producteurs caractéristiques. D’autres comptes considèrent que la dépense pour un domaine s’analyse comme la somme des dépenses des producteurs caractéristiques (leurs coûts) sur le territoire national quelle que soit l’origine de leurs financements.
Ainsi, si le domaine ne comprend que des produits caractéristiques, l’exemple suivant montre que la dépense pour le domaine est de 18 (12 de ventes + 6 de dépenses en capital) dans la méthode du SCN. Dans la méthode de l’ancien compte satellite de la R&D, la dépense était mesurée par l’ensemble des coûts des producteurs caractéristiques (10 + 6). La dépense intérieure (mais aussi nationale) est égale à 16. L’écart est représenté par l’épargne brute des producteurs.