S’agissant de la question des ventes de branche (première ligne de l’ERE), l’étude de quelques cas d’entreprises montre des cas divers. Par exemple, ces flux internes concerneraient plus des activités secondaires comme dans le cas de l’entreprise « France télécom ». Dans ce cas, cette entreprise profilée serait relativement plus mono-active que celle comme somme des unités légales (UL). Elle aurait une activité principale relativement plus importante : Il y aurait moins de branches secondaires. Le montant de flux internes sur le chiffre d’affaires est de l’ordre de 7 milliards d’euros (7,6 milliards en 2010 et 7 milliards en 2011). Près de 4 milliards de flux internes s’expliquent par la vente d’équipements entre filiales du contour. En 2010, le Chiffre d’affaire « Agrégation des liasses fiscales » est de près de 36 milliards et celui des comptes de l’Entreprise Profilée IFRS est de 28,4 milliards soit la différence de 7,6 milliards. Le profilage a pour effet de modifier les données des secteurs. Au niveau de l’ensemble de l’économie, le secteur de la téléphonie mobile 6120Z décroît au profit du secteur d’appartenance de l’entreprise profilée (6110Z) ; puisque la société Orange SA est intégrée au contour de l’entreprise profilée. Le niveau du chiffre d’affaires des branches est modifié du fait de la neutralisation des flux internes au contour.
Autre exemple, dans l’ entreprise profilée Lactalis, les branches qui disparaissent sont des activités secondaires. La disparition du commerce de gros s’explique par les flux importants entre toutes les sociétés de production et celles de commercialisation.
Il convient toutefois d’éviter de généraliser. Ainsi, pour Saint-Gobain Vitrage, c’est un peu différent. Les branches qui disparaissent sont en grande partie des produits du vitrage. Il s’agit dans ce cas d’une production intégrée. La production de verre plat est intégrée au processus de production (fabriquée par des filiales de l’EP et vendue à d’autres UL du contour); c’est donc un contre-exemple.
Ainsi, le profilage concerne «l’ intégration verticale » mais aussi des sociétés auxiliaires (holdings, sièges sociaux,) ou des UP qui exercent production et commercialisation « diversification horizontale » (voir les 2 exemples fictifs )un peu plus loin.
Concernant les profilées industrielles, l’INSEE a maintenu les enquêtes au niveau des UL car les groupes n’étaient pas capables de renseigner le questionnaire de l’EAP au niveau de la nomenclature Prodcom. De plus, ça présentait l’avantage de ne pas perturber les séries de l’IPI (le champ correspond à toute la production y. c. celle intégrée).
Toutefois, le profilage ne remet pas en cause le principe du travail en branche homogène : les ERE déclinent de façon cohérente, en volume et en prix, la séquence « branche d’activité – branche homogène – produit », en utilisant intensivement les indicateurs conjoncturels « produit » et en intégrant des données exogènes « produit » (consommation des ménages, commerce extérieur). Même dans le cadre du profilage, on doit être en mesure d’établir des ERE en branches homogènes, plus petites et (éventuellement) moins nombreuses pour lesquelles on peut appliquer les indices de prix/volume eux-mêmes élaborés en produit/branche homogène. Toutefois, cela ne garantit pas un partage volume/prix du PIB identique dans une évaluation en UL et une évaluation en EP : en effet, la structure par branche de la VA est différente dans chaque évaluation et les évolutions de prix sont pondérées différemment dans les deux cas. Mais on pourrait dire qu’il s’agit d’un inconvénient du même ordre que la discussion sur les pondérations de l’IPI (par les productions – dé-consolidées – ou par les VA (naturellement consolidées).
Sous cette réserve, il n’y aurait pas de contre-indication majeure à poursuivre la construction d’un TEI en EP selon la même technique que jusqu’à présent.
À l’autre bout du processus, les comptes trimestriels s’appuient sur le (même) TEI (que celui) des comptes annuels, utilisent les mêmes indicateurs de court terme, les mêmes données « produit » exogènes. Toutefois, la mécanique bien rodée des comptes trimestriels devrait permettre aussi d’absorber des chocs qui seraient liés à une perte de cohérence des indicateurs : grâce à l’étape d’étalonnage, les comptables trimestriels savent entretenir le lien statistique entre les indicateurs et les comptes dont ils retracent l’évolution. Il reste que la robustesse de cette approche repose pour partie sur la cohérence des unités statistiques sous-jacentes aux statistiques de court terme, d’une part, aux sources utilisées pour produire les comptes annuels d’autre part. Une difficulté réelle devrait apparaître néanmoins dans la période de transition, compte tenu du manque de recul sur les données pour réaliser des étalonnages, qu’il conviendra d’anticiper.
VIII – UL OU EP COMME UNITÉS DE BASE DU TABLEAU ÉCONOMIQUE D’ENSEMBLE (TEE) ?
C’est dans le TEE qye les flux non consolidés sont le plus difficiles à interpréter (voir page Financiarisation). L’impact du passage à la définition économique de l’entreprise peut être séparé en deux effets majeurs5 :
- un effet dit de « réallocation » : pour une entreprise donnée, les résultats de l’ensemble des unités légales qui la composent vont contribuer au secteur de l’entreprise, alors que dans la vision en unités légales, elles contribuaient à leur propre secteur ;
- un effet de « consolidation » : une réduction liée aux flux intragroupe pour les variables non additives.
Pour ce qui concerne le chiffre d’affaires, l’effet de réallocation est beaucoup plus fort que l’effet de consolidation. L’industrie est le secteur dont le poids augmente le plus avec le passage à l’entreprise au sens économique. Ces entreprises industrielles rassemblent en leur sein des unités légales industrielles, mais aussi de commerce et de services qui sont des activités « support » de l’activité principale industrielle de l’entreprise.
À l’inverse, dans le cas des dividendes, l’effet de consolidation est beaucoup plus important (le total des dividendes baisse de l’ordre de 43 % du fait de nombreux flux financiers intragroupes, contre 7 % pour le chiffre d’affaires) (graphqiue suivant). Par ailleurs, les titres sont souvent concentrés dans les unités légales têtes de groupes qui peuvent être de simples sociétés civiles immobilières et en général des holdings. En prenant en compte l’entreprise au sens économique, les caractéristiques de ces unités légales sont regroupées avec celles des unités légales « cœur de métier », ce qui conduit donc à une réallocation des produits financiers vers les secteurs « productifs » au détriment des facteurs financiers qui sont classés dans les services.
Impact de la prise en compte des groupes sur la répartition des dividendes par grands secteurs
1/ Consolidation des variables du bilan : l’exemple des dividendes et produits de participation
Soit une entreprise {A+B+C+D} constituée de quatre unités légales A, B, C, et D.
Produits de participation et dividendes au sein du groupe
L’unité légale A détient B à 100 % (on note WAB le taux de détention de A sur B) et D à 55 %. B détient 40 % de C et D, 30 % de C (figure). Chaque unité légale (A, B, C et D) reçoit des produits de partici‑ pation (PP) et distribue des dividendes (DI). L’algorithme a pour objectif d’estimer ces deux quantités au niveau de l’entreprise {A+B+C+D} en supprimant les échanges intragroupe.
Pour l’unité terminale C
Les produits de participation sont tous externes au groupe : Ppextra(C) = 30 000 euros Réciproquement l’unité terminale C verse des dividendes en partie internes à l’entreprise, au prorata de la détention que chaque niveau supé‑ rieur de cette unité terminale. Les dividendes extra‑groupe sont donc le complément : Diextra(C) = DI(C) – (WDC + WBC) * DI(C) = 10 000 – (40 % + 30 %) * 10 000 = 3 000 euros.
Pour les unités intermédiaires B et D
Elles reçoivent, d’une part, des produits de par‑ ticipation internes et, d’autre part, des produits de participation externes qui correspondent au solde de ce qu’elles ont reçu au total moins ce qu’elles ont reçu de l’interne :
Ppextra(B) = PP(B) – WBC * DI(C) = 85 000 – 40 % * 10 000 = 81 000 euros
Ppextra(D) = PP(D) – WDC * DI(C) = 75 000 – 30 % * 10 000 = 72 000 euros
Pour les dividendes versés, c’est la même formule qui est appliquée :
DIextra (B) = (1 – WAB) * DI(B) = (100 % – 100 %) * 40 000 = 0 euros
Diextra(D) = (1 – WAD) * DI(D) = (100 % – 55 %) * 25 000 = 11 250 euros
Pour la tête de groupe A
Pour les produits de participation, le raisonnement est le même que pour les unités intermédiaires :
Ppextra(A) = PP(A) – WAB * DI(B) – WAD * DI(D) = 100 000 – 100 % * 40 000 – 55 % * 25 000 = 46 250 euros
En revanche, les dividendes versés à l’extérieur sont les dividendes versés par A :
Diextra(A) = DI(A) = 80 000 euros
Au total, les dividendes et les produits de participation consolidés de l’entreprise correspondent à ceux réalisés à l’extérieur de l’entreprise et sont :
PP(E) = Ppextra(A) + Ppextra(B) + Ppextra(C) + Ppextra(D) = 46 250 + 81 000 + 30 000 + 72 000 = 229 250 euros
Diextra(E) = Diextra(A) + Diextra(B) + Diextra(C) + Diextra(D) = 80 000 + 0 + 3 000 + 11 250 = 94 250 euros
In fine la consolidation qui correspond à la somme des produits de participations des UL (100 000 + 85 000 + 30 000 + 75 000 = 290 000 euros) moins les produits de participa‑ tion consolidés (229 250 euros), soit 60 750 euros, représente une réduction de 21 % des produits de participations et 46 % des dividendes.
Produits de participation et dividendes au sein du groupe
2/ Le passage aux comptes nationaux avec des EP
Le passage aux comptes (PAC-ENF) à partir des données individuelles éventuellement corrigées enchaîne des traitements multiformes propres à prendre en compte certaines contraintes ou normes exogènes à la statistique d’entreprises :
– calage sur les données des finances publiques (impôts) ;
– complétude du champ (agriculture, action sociale) ;
– évaluation de la fraude et de l’activité non déclarée ; la sous-déclaration du CA, la sur-déclaration des CI, le travail au noir, l’écart TVA (entre TVA aux taux théoriques et TVA collectée), contrebande (tabac) représentent quelque 6 % du PIB national ;
– nombreuses corrections « conceptuelles » : capitalisation des logiciels et de la R&D, passage aux prix de base, SIFIM, crédit-bail, primes d’assurances, appréciation sur variations de stocks…
– traitement de la masse salariale : c’est la source fiscale qui est privilégiée par rapport à d’autres sources pour assurer la cohérence avec les autres variables du compte.
Ces traitements peuvent dépendre directement du choix des unités statistiques retenues : c’est le cas au moins de deux d’entre eux:
– La correction au titre de la fraude ou de l’économie informelle repose sur l’application aux données de production ou de valeur ajoutée issues de la statistique d’entreprise des taux de redressements sectoriels issus d’informations sur les redressements fiscaux et d’ajustements économétriques. Un reclassement sectoriel peut donc modifier l’évolution globale de la valeur ajoutée.
– La correction pour appréciation sur stocks consiste à défalquer de l’évolution des stocks tout ce qui résulte de l’évolution des prix. Cette évolution de prix est liée au secteur d’appartenance de l’entreprise. Elle peut avoir un rôle important. Si une entreprise est reclassée avec ses stocks dans un autre secteur du fait du profilage, la valorisation de ses stocks et donc de sa valeur ajoutée peuvent en être modifiées
3/ Ne faudait-il-pas s’attendre à des difficultés pour le PAC basé sur les EP ?
– les contrôles seraient plus difficiles en partant des EP que des UL, y compris pour les rubriques « additives » VA ou masse salariale.
– il faudrait probablement recalculer de nombreux taux sectoriels (fraudes, pourboires, avantages en nature…).
Plus généralement, les travaux de passage aux comptes sont jugés lourds et doivent être reprogrammés chaque année : ils peuvent dépendre de questions liées à des mesures économiques ou fiscales circonstancielles toujours renouvelées. Au cas où il serait décidé de conserver un TES en unités légales, ne faudrait-l pas effectuer une double opération de passage aux comptes pour le secteur des ENF ?
3/ Cohérence temporelle et questions de champ.
Les questions de champ peuvent être à l’origine de ruptures temporelles dans la fourniture des données ÉSANE aux comptables nationaux, en raison de l’ajustement progressif du champ ÉSANE aux besoins de la statistique d’entreprises.
Des travaux sur le champ des sociétés financières n’ont guère avancé. Il reste que la frontière entre SNF et SF n’est pas encore clairement stabilisée dans ÉSANE, ce dont se plaignent à la fois les comptables natioanux (contour du sous-secteur S127 : Institutions financières captives et prêteurs non institutionnels) et les statisticiens d’entreprises (partage entre holdings financiers et holdings de service).
Le traitement des holdings dans le cadre d’une procédure de profilage est une pomme de discorde entre comptables nationaux et statisticiens : les premiers entendent explicitement tenir compte de la production de ces structures dans le décompte final de la production ; les seconds sont plutôt enclins à intégrer systématiquement les holdings aux entreprises profilées, sans les isoler. En unité légale, on devrait distinguer clairement des holdings « purs » à classer en institutions financières (comptes nationaux établis par la Banque de France) et les sièges sociaux qui relèvent des services aux entreprises (NAF 641Z qui correspond à un ERE des comptes des services). Les exercices de profilage ne respectent pas toujours cette distinction, car on se voit imposer un découpage par l’entreprise.